Les paysages et le littoral
Un héritage maritime
Bornage
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les chaloupes, les goélettes, les chasse-marées, les lougres et les bricks transportent les hommes et les marchandises par voie de mer, tout autour de La Réunion : c'est le « bornage », forme de cabotage de quartier à quartier, qui contribue à l'animation du paysage littoral de l'île, ainsi qu'à son aménagement. Cet usage permanent de la mer pour se déplacer influence la perception des paysages de l'île, dont les pentes sont vues à distance comme en témoignent quelques représentations anciennes de paysages (voir « les fondements culturels des paysages de La Réunion » dans le présent Atlas).
Au XVIIIe siècle, le café et les vivres sont embarqués depuis les différents quartiers et les bateaux convergent vers Saint-Denis, Saint-Paul et Saint-Pierre pour être embarqués sur des navires de plus fort tonnage qui les exportent. Au XIXe siècle, c'est le sucre qui est ainsi transporté, tandis que les importations, débarquées surtout à Saint-Denis, sont ensuite distribuées partout dans l'île grâce au bornage.
Marines, ponts-débarcadères, phares et ports
Remontée de canot dans une marine. Dessin B. Folléa - agence Folléa-Gautier
La pesée du poisson, marine d’Anse des Cascades. Dessin B. Folléa - agence Folléa-Gautier
Le phare de Sainte-Suzanne
Marine d’Anse des Cascades
Les salines de Pointe-au-Sel, avec Stella Matutina au loin
Jusqu’au XIXe siècle, le littoral, peu accueillant du fait de la force de la mer et de l’absence de rade véritablement protectrice pour les bateaux, oblige à un accostage à même la plage, et dans les endroits les plus faciles d’accès pour accoster : les marines. Ces modestes marines, où une rampe permet aux pêcheurs de tirer les canots, font toujours partie du paysage littoral aujourd’hui et contribuent à son charme et son animation.
Dès 1738 toutefois, le gouverneur Mahé de Labourdonnais fait construire à Saint-Denis un « pont volant » (suspendu par deux grandes fourches) afin d’éviter aux chaloupes le franchissement de la barre qui se brise sur les galets. Ce système se développe au XIXe siècle avec le besoin grandissant de transport, notamment pour la canne et le sucre, et les ponts de débarcadères se multiplient partout autour de l’île, construits le plus souvent en bois.
Un phare est érigé à Sainte-Suzanne en 1845-46, toujours en place aujourd’hui, tandis que celui du Port a disparu à la fin des années 1970 du fait de l’érosion du trait de côte.
A proximité des marines et des ponts, des bâtiments d’entrepôts fleurissent sur le littoral. Certains existent encore aujourd’hui, marquant par exemple le paysage urbain des basses pentes littorales de Saint-Denis, jusqu’à la Préfecture, autrefois bureau des Messageries Maritimes.
La construction du Port de la Pointe des Galets, à partir des années 1880, modifie l’animation du paysage littoral par la navigation, drainant progressivement la totalité du trafic maritime de l’île, tandis que le train, puis le camion font progressivement disparaître le bornage.
Aujourd’hui une île assez peu maritime ?
Ouverture sur l’abstraction bleue de l’océan (Les Avirons)
Toile de fond bleue de l’océan, au large de Saint-Pierre
La disparition du bornage a profondément modifié la perception et la représentation des paysages littoraux de La Réunion. Aujourd’hui, l’île n’apparaît pas aujourd’hui comme très… maritime. Et globalement le paysage de l’océan, très perceptible par le fait des planèzes inclinées vers lui, apparaît comme une abstraction, une grande page au bleu virginal, à peine troublée par la silhouette d’un cargo par-ci par-là. Outre l’abandon de la mer comme voie de transport entre quartiers, plusieurs facteurs naturels expliquent la dimension surtout terrienne de l’île :
- elle est isolée dans l'Océan Indien, sans système d'archipels qui favoriserait le cabotage ;
- l'Océan reste assez peu accueillant, sujet à des houles amples ou fortes, voire à des tempêtes et à des cyclones dévastateurs. Le « lagon » protecteur reste embryonnaire ; autant de facteurs limitant les usages sur l'eau ; les bateaux, y compris de plaisance restent rares ;
- l'absence de hauts fonds limite la présence de poisson en abondance, surtout pêché autour des points artificiels que sont les D.C.P. (dispositifs de concentration des poissons) ; la pêche et l'activité des bateaux ou des ports qui y est liée reste ainsi limitée ;
- l'île est globalement ronde, avec des baies et des caps peu marqués, des ports naturels inexistants ; par ailleurs les marées restent à peu près insensibles ; cette géographie littorale simple limite les échanges entre terre et mer, restreint les possibilités d'appropriation physique et visuelle du littoral ;
- enfin l'océan ne sent pas l'iode et les oiseaux marins, magnifiquement représentés par les pailles-en-queue, sont rares ou nocturnes, leur discrétion contribuant au relatif effacement de la perception de la mer.
La marine d’Anse des Cascades
Pour toutes ces raisons, les paysages de l'île vus depuis l'Océan apparaissent à peu près effacés de la mémoire collective ; c'est une perception historique, datant de l'époque antérieure à l'avion, où toutes les arrivées et tous les départs s'effectuaient par bateau, et antérieures au tout-voiture, lorsque les chaloupes, les gabares et les goélettes assuraient une part des déplacements.
Pêcheurs à la marine Langevin
Nouvel appontement de Saint-Paul, en phase travaux
Surf à Saint-Gilles-les-Bains
Toutefois, depuis quelques années, le renforcement du tourisme balnéaire gagne peu à peu en mer : création ou agrandissement des ports, bateaux à fonds de verre, pêche au gros, observation des baleines à bosse, observation des dauphins, …, s’ajoutent à la modeste plaisance et permettent de redécouvrir l’île vue de l’océan.
Sur la côte même, des appontements se recréent (Saint-Paul), les cales et les marines sont remises en valeur, les ports sont créés ou agrandis (Saint-Gilles, Sainte-Rose, …), tandis qu’un véritable tourisme littoral s’est développé pour découvrir les facettes contrastées des sites littoraux, à la faveur d’un tour d’île. Enfin, outre la puissance d’attraction des plages magnétisent désormais la grande majorité des Réunionnais, au point que des problèmes de surfréquentation se posent (voir Les enjeux dans la partie « Diagnostiquer et agir » du présent Atlas).
La diversité des paysages littoraux
Le tour du littoral de l’île
Les rivages de La Réunion bénéficient de conditions naturelles favorables à la diversité et aux contrastes des paysages de l’île :
La plage de sable corallien à Saint-Pierre
La Plage de Saint-Gilles-les-Bains
La côte rocheuse des Souffleurs (Saint-Leu)
Parenthèse de sable blanc dans la côte sud rocheuse : Grande Anse
- Vieux de 8 000 ans, les récifs coralliens sont très localisés, à l'Ouest de l'île, et constituent une ceinture discontinue d'une longueur totale de 25 km, répartis du Cap La Houssaye à Souris Chaude, à Saint-Leu, à Saint-Pierre, à Grande Anse et à Grand Bois : au total à peine 8% du périmètre de l'île. Leur superficie est de 12 km2 soit un rapport d'environ 0,5% de lagon pour 99,5% de terres émergées. La destruction de ces paléo-récifs coralliens donne les plages de sable blanc. Ce sont de petits espaces naturels fragiles, qui concentrent l'essentiel des pratiques touristiques et de loisirs du littoral, et de l'urbanisation balnéaire, au point que se posent aujourd'hui des problèmes de surfréquentation ;
La côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-BainsLa côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-Bains
les sables noirs basaltiques, aux reflets verdâtres liés à la présence d'olivine, sont issus de l'érosion torrentielle et de déplacements des éléments les plus fins par les courants littoraux ; ils nappent l'essentiel de la baie de Saint-Paul ; ils forment de véritables dunes littorales à l'Etang-Salé, issues du remaniement des sables par le vent, après leur transport par la rivière Saint-Etienne et dépôt par la houle de secteur sud ; ces dunes sont aujourd'hui fixées par les plantations, notamment de filaos ;
La côte sud rocheuse, vue depuis Terre Sainte
Le Cap Méchant
La côte rocheuse de Sainte-Rose
Océan et vacoas à Vincendo
La côte rocheuse entre L’Etang-Salé-les-Bains et Saint-Louis
La côte rocheuse des Colimaçons, et l’ouvrage de franchissement de la Petite Ravine
La côte rocheuse des Souffleurs (Saint-Leu)
- les côtes rocheuses constituent de magnifiques paysages littoraux, sauvages et puissants : le basalte noir contraste avec la blancheur de l'écume et le bleu dense de l'océan, dans une vive lumière ; au sud et sud-est, entre la rivière d'Abord et la rivière de l'Est, le caractère sauvage de la côte rocheuse est renforcé par la houle et les vagues qui viennent s'y écraser ; mais les rochers marquent également les paysages de l'Ouest : autour de Saint-Leu, avec les Souffleurs et la Pointe au Sel au sud de la baie, et la pointe des Châteaux et les falaises du Rocher des Colimaçons au nord ; le Cap la Houssaye entre Saint-Paul et Boucan Canot ;
- entre Saint-Denis et La Possession, la route du Littoral permet de découvrir les hautes falaises de 150 m de hauteur qui séparent Saint-Denis de La Possession sur une quinzaine de kilomètres ; instable du fait de la superposition de couches basaltiques massives et de couches scoriacées friables, la falaise est spectaculairement nappée de filets métalliques pour protéger l'artère vitale que constitue la route du Littoral ;
Côte de galets à Manapany
La côte de galets au Port
La côte de galets à Saint-Louis
- les galets, arrachés à la montagne puis roulés par les ravines et par l'océan, se trouvent aux débouchés des principales ravines ; ils bordent notamment toute la côte nord-est, de Saint-Denis à Saint-Benoît (exutoire des grandes ravines de Saint-Denis et de Salazie par la rivière du Mât) ; mais aussi la côte de La Possession et du Port (exutoire de Mafate), la côte de Saint-Louis (exutoire de Cilaos), et plus ponctuellement celle de Manapany, de Saint-Joseph (exutoires de la Rivière des Remparts et de la Rivière Langevin). Ces galets forment des paysages littoraux plus ingrats, plus gris et plus difficiles d'appropriation. Le moindre patrimoine naturel ou culturel y prend d'autant plus de valeur : phare de Sainte-Suzanne, zone humide de Bois-Rouge, étang du Gol, marines, …
Côte mixte de rochers et sable au Cap La Houssaye
Côte mixte de Saint-Pierre/Pierrefonds : rochers, sables et galets
Côte mixte sablo-rocheuse de Grand-Bois
- enfin entre toutes ces formations, de courts paysages de transition associent les éléments entre eux : c'est le cas par exemple du Cap La Houssaye, transition entre les sables basaltiques noirs de la baie de Saint-Paul et les sables coralliens blancs de Boucan Canot, mêlés au rocher basaltique du Cap lui-même
Chacune de ces côtes est riche de sites particuliers, où se concentre la fréquentation : outre les plages baignables, les bassins de baignade artificiels, les spots de surf, les spots de plongée, les pointes et caps, les anses et baies, les ports.
Le précieux sentier littoral entre Sainte-Rose et Anse des Cascades
L'ensemble du littoral devrait progressivement devenir parcourable par un sentier littoral ; il offre déjà de belles continuités, comme au nord est de Saint-Denis à Sainte-Suzanne (21 km) ou comme à Sainte-Rose entre le port et l'anse des Cascades.
L’excessive attractivité du paysage littoral
Il a fallu l'invention du tourisme balnéaire pour que les paysages littoraux prennent toute leur attractivité. Né au XIXe siècle, il s'agit au départ d'un tourisme réservé à quelques favorisés qui viennent en villégiature à Saint-Gilles, jusqu'alors modeste village de pêcheurs sur la grande concession Desbassyns, et coupé de Saint-Paul par les falaises littorales du Cap Champagne et du Cap La Houssaye. C'est la route qui change la physionomie de Saint-Gilles, commencée par l'ingénieur Bonnin en 1863, à la fois depuis Saint-Paul et depuis Saint-Leu. Elle est suivie par le train, dont un premier tronçon est inauguré en 1882.
Jour d’affluence sur la plage de l’Hermitage-les-Bains
Le lagon à La Saline-les-Bains, sillonné par les kitesurfs
Aujourd'hui, le tourisme et les loisirs liés à la mer ont élargi leur spectre d'intérêt : baignade, mais aussi marche et vélo sur la côte, plongée et snorkling, pêche à la ligne et pêche au gros, bateaux à fond de verre, surf, planche à voile et kite surf, sans oublier le rituel pique-nique. Le littoral attire non seulement les touristes mais l'ensemble de la population de l'île. Cet attrait se concentre principalement sur les plages baignables, rares dans l'île.
L'attractivité est devenue telle que la côte, notamment la côte ouest balnéaire, est victime de surfréquentation. Cela se traduit par des problèmes multiples de circulation et de stationnement des véhicules, de dégradation et de banalisation des espaces d'accueil, d'érosion des plages, de dégradation des fonds marins et lagonaires, de pollution. Le Conservatoire du Littoral et la Loi Littoral sont des outils mis en place à peu près à temps pour éviter une urbanisation massive des côtes.
Le Conservatoire est propriétaire d'une dizaine de sites qui couvrent environ 800 ha : Chaudron, Grande Chaloupe, Rocher des Colimaçons, Pointe au Sel, Etang du Gol, Terre Rouge, Grande Anse, Anse des Cascades et Bois-Blanc. Quant à la Loi Littoral, elle a efficacement freiné le développement urbain littoral des vingt dernières années, qui s'est reporté plus à l'intérieur des terres sur les pentes.
La côte des Souffleurs, sauvage mais parasitée par l’excessive proximité au rivage de la RN1
Néanmoins les paysages littoraux s'abstraient difficilement de la présence du bâti, les pentes des planèzes étant propices à de vastes covisibilités. Aussi les espaces littoraux proprement sauvages sont-ils rares et précieux sur une côte très densément habitée. Parmi les plages coralliennes, les plus fréquentées, seule celle de Grande Anse échappe à l'omniprésence du bâti ; le long du lagon de l'Ermitage-les-Bains, les filaos peuvent faire illusion et constituent de précieux espaces tampons entre le rivage et l'urbanisation balnéaire ; la plage noire de l'Etang-Salé-les-Bains, de belle ampleur, bénéficie de vrais espaces sauvages grâce à la forêt à laquelle elle s'adosse ; parmi les côtes rocheuses, seule celle de l'est échappe à la présence continue du bâti dans le paysage ; au nord-est, les champs de canne parviennent encore à descendre jusqu'au rivage, constituant des coupures d'urbanisation indispensables ; enfin la savane du Cap La Houssaye, bien que coupée par la Route des Tamarins et mangée partiellement par des projets d'aménagement, offre de vastes espaces de respiration sur un littoral en partie déchargé du trafic de transit lié à la RN1.
Accès confidentiel et peu valorisé au littoral de Souris Chaude
La RN-1 au coeur de la station balnéaire de Boucan Canot
Outre l'urbanisation, les paysages littoraux souffrent en certains points de privatisation, et presque partout de l'intense circulation des véhicules concentrés sur les routes littorales historiques que sont les RN 1 et RN2. Sur l'Ouest, les élus sauront-ils profiter de la Route des Tamarins pour rendre la côte aux circulations douces, piétonnes et cyclables ? Des propositions ont été faites en ce sens dans le cadre de la charte paysagère du tco.