1. NAISSANCE DES PAYSAGES MARINS.
A la suite de la montagne, les paysages marins de La Réunion prennent naissance à leur tour sous les yeux des hommes du XIXe siècle.
Au cours de son tour d’île de 1863, Jacob de Cordemoy, qui, on l’a vu, est resté si insensible au charme de la campagne de l’île presque entièrement dévolue à la canne à sucre, note en revanche, lorsqu’il franchit la ravine de Manapany :
“Cette gigantesque gorge a déjà le caractère le plus imposant, mais arrivé au haut de la montée, un peu avant la sucrerie de Manapany, on jouit d’un des plus beaux points de vue de l’île.
Au-dessous, la ravine béante avec sa cascade échevelée ; à droite, la mer bleue et calme se prolonge jusqu’à la pointe du baril, découpée en petits golfes, un récif de lave, simulant la jetée d’un port, s’avance dans les flots, couronné d’un débarcadère ; au fond, Saint-Joseph laisse entrevoir au milieu de ses pitons aux croupes arrondies, les blanches maisons perdues dans le feuillage, à gauche, les montagnes lointaines dessinent leurs pics élancés sur l’azur du ciel.”
Et il est sensible au même attrait pour le paysage de la baie de Saint-Leu :
”Nous recommençons à descendre, et avec quel magnifique panorama sous nos yeux!
C’est la baie de Saint-Leu.
De bas promontoires la découpent en petites criques, où l’eau, protégée par une barre de récifs, se ride à peine sous le vent. Ces promontoires s’élèvent en contreforts qui vont rejoindre les montagnes ; le sol lui-même est ainsi partagé en vallées ; au fond de l’une d’elle on aperçoit Saint-Leu, dont les maisons sont abritées par quelques rares taillis. C’est une position exceptionnelle dans l’île.”
2. LA THERAPIE PAR LES BAINS DE MER.
Avec l’attrait des paysages de la mer et du spectacle qu’elle offre, s’ajoute, comme les sources d’eau sulfureuse pour la montagne, l’intérêt thérapeutique de l’Océan par les bains d’eau salée qu’on peut y prendre. Mais les bains sont encore pris pour raisons médicales. C’est ainsi qu’on peut lire sur Saint-Gilles dans l’Album de la Réunion :
“Délaissé par la route de ceinture qui s’élève en cet endroit jusqu’à 511 mètres au dessus du niveau de la mer, pour franchir le Cap La Houssaye, le Cap Noir et le Cap des Chameaux, Saint-Gilles forme une sorte d’impasse avec un petit nombre d’habitants à résidence fixe, la plupart pêcheurs. Les rares voyageurs qu’on y rencontre sont conduits par la curiosité, ou bien ils y viennent, par ordonnance du Médecin, prendre des bains de mer, derrière les bancs de coraux qui, formant une barrière depuis le Cap la Houssaye jusqu’à la Grande Ravine, mettent les baigneurs à l’abri des lames et des requins.”
L’auteur ajoute quelques paroles prémonitoires :
“Au moment où nous écrivons ces lignes, Saint-Gilles va se transformer complètement : la route de ceinture qui s’avance chaque jour de quelques pas en se déroulant au bord de la mer, reliera le pauvre hameau à ses voisins et lui donnera une vie nouvelle avec l’activité qui lui manquait quand il dormait solitaire au fond de sa vallée.”
Certes, un siècle plus tard, on n’ira plus à Saint-Gilles se baigner “par ordonnance du Médecin”!
Très vite d’ailleurs, le bain de mer est perçu comme un plaisir et non comme une contrainte médicale. Ainsi P. de Monforand (Album de la Réunion T.4) évoque-t-il élégamment les “maladies de convention” qui permettent de jouir de la mer :
“Avec sa plage unie et sablonneuse, Saint-Gilles sera bientôt une véritable ville de bains, comme Trouville et Etretat ; là viendront les familles que les vacances sollicitent de quitter la ville ; là se réuniront les malades, ou plutôt ceux qui se prétendront malades pour se faire ordonner une saison de bains, c’est-à-dire de repos et de plaisir.