1807-1860, l'âge d'or cannier

la création des domaines, la conquête des hauts, l'embellissement des villes et le développement des infrastructures



Au XIXe siècle, la population gagne un peu plus de 100 000 habitants : elle passe de 67 569 habitants en 1805 (52 188 esclaves) à 110 000 en 1848 (62 000 esclaves) et à 173 000 en 1900.  Cette croissance est toutefois ralentie à partir des années 1860 par les maladies favorisées par l'arrivée des engagés : les épidémies de variole, de choléra, de typhus et surtout de paludisme, vont durer jusqu'au lendemain de la première guerre mondiale.

Cheminée d’ancienne usine à Piton Saint-Leu
Cheminée d’ancienne usine à Piton Saint-Leu

En termes de paysage, la transformation est surtout le fait des cultures elles-mêmes, puisque la canne se substitue rapidement aux autres cultures du XVIIIe siècle : café, mais aussi blé, coton, riz, épices, etc. (voir le chapitre « les paysages et l'agriculture »). La canne s'accompagne d'un essaimage extraordinaire des usines, avant qu'un mouvement de fermeture et de concentration irréversible s'engage : on en compte 120 en 1860 et déjà deux fois moins en 1880, seulement 20 en 1915. Pour certaines, leurs ruines marquent encore aujourd’hui les paysages des pentes basses de l'île, notamment les cheminées. Toutes servent de repères dans le paysage local, certaines ont même fait l’objet d’une inventive réhabilitation comme le centre nautique de La Saline.

Si le paysage agricole est profondément transformé au XIXe siècle, le paysage habité quant à lui évolue également, mais la poussée démographique ne conduit pas à un développement urbain massif. C'est une économie de plantation qui est en place, beaucoup plus que de services et de commerces. L'habitat ne s'agrège pas vraiment en centres urbains. L'enrichissement se lit dans les villes centres de Saint-Denis et de Saint-Pierre par l'édification de monuments, mais la transformation du paysage habité est surtout le fait de la colonisation des hauts et de la création de domaines agricoles, avant que, dans la seconde moitié du siècle, se développent les infrastructures.

Les paysages habités des hauts, les îlets


Quatre  raisons au moins expliquent la conquête des hauts au XIXe siècle : la fin du danger représenté par le marronnage, la pauvreté qui pousse à la conquête de nouvelles terres, le thermalisme dans les cirques, et l'hygiénisme qui incite à rechercher le bon air.
La colonisation des cirques est lente après le marronnage. Elle s'opère d'abord de façon individuelle, puis par des concessions. Elle est le fait des « pauvres blancs », ou « petits créoles », qui deviendront les « petits blancs des hauts », ruinés par la disparition de la main d'oeuvre esclave à partir de 1848, ainsi que par la réduction des tailles d'exploitations au fil des héritages et des partages successifs. Le développement du thermalisme va favoriser le processus de conquête : Salazie est fondée en 1831, l'année même de la découverte des sources ; le village compte 1700 habitants en 1848, 6000 en 1880. Cilaos se développe à partir de 1840 (la source est connue depuis 1816), plus lentement que Salazie du fait des difficultés d'accès : un premier chemin permet d'atteindre Cilaos en 1832, à pied ou ... en chaise à porteur! Il est complété par un dangereux chemin cavalier en 1842. Il faut compter trois jours de voyage pour atteindre le cirque depuis Saint-Denis. Le village compte 2000 habitants en 1880. A Mafate, la source du Bronchard est trop difficile d'accès pour permettre le développement du thermalisme ; seulement quelques centaines d'habitants  peuplent le cirque en 1880. Quant aux Plaines (plaine des Palmistes et plaine des Cafres), leur colonisation est difficile malgré l'octroi de concessions de 3 à 40 ha dans les années 1850. 

Le Domaine de Montgaillard en ruine, avant sa réhabilitation : ancien domaine de villégiature, au frais sur les pentes de Saint-Denis
Le Domaine de Montgaillard en ruine, avant sa réhabilitation : ancien domaine de villégiature, au frais sur les pentes de Saint-Denis

Au cours de ce siècle hygiéniste, l'attraction des hauteurs est renforcée par le bon air qu'on y respire, et qui favorise le développement de résidences d'altitude : dans les hauteurs de Saint-Denis, sur les Plaines, dans les hauts de l'Ouest : le Tévelave, les Avirons, Trois-Bassins, Piton Saint-Leu, la Saline. Des hauteurs d'autant plus recherchées que les maladies, notamment le paludisme, sévissent tout au long de la deuxième moitié du siècle.

Les grands domaines

Le Domaine des Colimaçons, repérable dans le paysage à ses grands araucarias-signaux
Le Domaine des Colimaçons, repérable dans le paysage à ses grands araucarias-signaux

L'enrichissement grâce au développement de la canne à sucre conduit à la création de domaines agricoles qui marquent encore les paysages des pentes basses de l'île aujourd'hui : allée de palmiers à travers champs, vaste jardin protecteur, grande maison accueillant par la varangue sur la façade principale et dépendances cachées à l'arrière : cuisines, magasins, logements des domestiques, basse-cour, ... Certains de ces domaines sont restés privés, comme le Grand Hazier sur les pentes de Sainte-Marie, d'autres sont devenus publics : Villèle, Bois Rouge, les Colimaçons, ... De grandes propriétés foncières se constituent, la plus vaste étant celle des Kervéguen, dont on retrouve aujourd'hui le toponyme en plusieurs endroits. En 1860, cet « empire » comprend des usines et domaines principalement dans le sud-ouest de l'île : le Portail, le Gol, la Chapelle, Etang Salé, Le Tampon, Terre Rouge, les Casernes, Mahavel, Mon Caprice, Ravine Blanche, Ravine des Cabris, Rivière Saint-Etienne, Langevin et Vincendo ; mais aussi dans l'est avec Quartier Français et Champ-Borne

Les monuments des villes

Belle case rue de Paris (Conseil Général, Direction de la Culture)
Belle case rue de Paris (Conseil Général, Direction de la Culture)
Ancienne case Deramond-Barre rue de Paris, siège du SDAP
Ancienne case Deramond-Barre rue de Paris, siège du SDAP


La ville coloniale qui prend corps n'est fondamentalement pas « urbaine ». Elle apparaît comme « la reproduction de la structure agraire d'habitation, dans la mesure où l'on y retrouve cette disposition spatiale caractéristique, marquée par l'opposition : demeure du maître-centre, camps des travailleurs-périphérie. » (JM Jauze).
La richesse produite par la canne permet néanmoins la construction de monuments civils, religieux et militaires. C'est ainsi que Saint-Denis construit sa nouvelle mairie, sa cathédrale et son immense caserne. Les bâtiments en pierre se multiplient. La ville est stratifiée d'aval en amont : bas de la ville maritime et militaire, pris par les batteries, les magasins et les marines ; rues intermédiaires mêlant logements et commerces ; rues hautes partagées entre demeures de l'élite sucrière et commerçante et maisons plus modestes.

Les routes et les ponts


Il faut attendre les années 1850 pour que les routes commencent réellement à desservir de façon fiable le territoire réunionnais : la route de ceinture côtière (actuelles RN 1 et RN 2) est bouclée en 1854, avec le franchissement du Grand-Brûlé (la route des laves). Sous l'impulsion de l'énergique Henri Hubert-Delisle, gouverneur de 1852 à 1858, la route d'altitude créée à 500-800 m d'altitude et qui porte aujourd'hui son nom, est ouverte en 1857 ; il est également le créateur de la route des plaines (actuelle RN 3), seule route à traverser de part en part l'intérieur de l'île. Des ponts permettent de franchir les ravines. D'abord construits en bois, ils seront détruits par les cyclones et progressivement reconstruits en pierre.