En 1957, l'urbanisation est à la fois linéaire autour de la route nationale (que longe le Ti Train) et diffuse sur les pentes et dans la plaine de Champ Borne, toujours à la faveur des voies. Saint-André reste une bourgade encore essentiellement linéaire, inféodée à la route principale.
En 1980, la déviation de Saint-André s'accompagne d'un épaississement et d'un début de structuration de la ville.
En 2006, le paysage urbain s'est densifié, la ville est constituée. Malheureusement, les allongements se sont poursuivis dans la plaine, au nord (Cambuston) et au sud. A l'est la plaine apparaît fragilisée par le phagocytage des espaces agricoles progressivement enclavés dans l'urbanisation. Les pentes apparaissent mieux maîtrisées, sans mitage, offrant de beaux paysages agricoles de canne.
Saint-Benoît, vue d’avion
Après la guerre et ses privations, plusieurs cyclones dévastateurs, dont celui de 1948, ont achevé de donner au paysage de l'habitat réunionnais le visage de la misère. La majeure partie des habitants vit dans des paillotes insalubres, sans eau courante ni électricité.
Dans ce contexte d'extrême dénuement, un arrêté ministériel du 4 octobre 1949 crée la Société immobilière du département de la Réunion (SIDR): une société d'économie mixte dont les principaux actionnaires sont l'Etat et le Département, et qui est chargée de développer l'habitat social en favorisant l'accession à la propriété. Elle sera suivie d'autres sociétés à partir des années 1960.
C'est d'abord un phénomène urbain – et non de périurbanisation - qui marque le paysage de l'île à compter de cette époque. Les villes se structurent, les espaces agglomérés sont les premiers à ressentir les effets de cette croissance urbaine. « Entre 1946 et 1967, la population urbaine enregistrera une croissance annuelle de 4,7%, ce qui ne se rencontrera plus jamais de nos jours » (JM Jauze).
Ce phénomène urbain n'est pas lié qu'à la croissance naturelle, il est aussi alimenté par l'exode rural à partir de 1950. Avec leurs équipements de réseaux d'eau et d'électricité, de services de santé, de commerces, les villes attirent irrésistiblement les populations rurales des hauts des communes, des cirques de Salazie et de Cilaos, de la Plaine-des-Palmistes.
Tandis que le paysage urbain se modifie profondément en se « durcissant » (voir ci-dessous « Les risques et les problèmes »), les bidonvilles se forment également, alimentés par les ruraux en exode ; « et la gêne de vivre dans les taudis du « Butor », de la « Rivière », ou du « Camp Ozoux », était largement compensée à leurs yeux par le fait qu'ils pouvaient aller au cinéma le dimanche avec un beau complet et des souliers jaunes, et que c'était moins pénible que d'être « haleur de pioche » (J. Defos du Rau).
Au total, six nouveaux centres s'ajoutent aux trois principaux d'avant-guerre : Saint-Louis, Saint-Joseph et Le Tampon dans le sud, Saint-Paul à l'ouest, Saint-Benoît et Saint-André au nord-est.
Les immenses efforts entrepris de création de logements sociaux, de résorption d'habitat insalubre, d'encouragement fiscal, ont été relatés dans l'ouvrage « 60 ans d'histoire urbaine » paru en 2010 (SIDR, Bernard Leveneur).
Sur des terrains souvent fournis par les municipalités, les lotissements poussent à travers l'île, offrant des « logements individuels à simple rez-de-chaussée, jumelés ou réunis en bande ». En 1958, la SIDR en possède 701. Ils commencent fortement à marquer les paysages aux abords des villes. De nouveaux quartiers naissent, avec leurs équipements publics.
Dans les années 1960, la disparition des grands bidonvilles en périphérie des centres urbains réunionnais devient une priorité. Ceux de Petite-Ile à Saint-Denis et de la rue Fémy à Saint-Louis ont déjà disparu. D'autres sont visés : les bidonvilles Rivière-Viadère, en bordure du nouveau quartier des Camélias, et Vauban, à Saint-Denis ; à Saint-Pierre, deux bidonvilles proches du front de mer, dont celui baptisé « l'ancien asile », situé à l'ouest de la prison ; au Port, le bidonville « terrain Curatelle »...
Dans les années 1960-1970, la puissance du développement démographique et économique conduit à la création de nombreux grands ensembles (au Chaudron, aux Camélias, à la Source, à Ravine-Blanche, au Port...), en écho à la politique nationale. L'urgence sociale conduit souvent à des aménagements durs, et les premières crises violentes, comme les événements du Chaudron en 1973, contraindront à rechercher un « mode d'habiter » plus humain.
De 1972 à 1976, la SIDR et la SHLMR réunies produisent 2 000 logements par an.
A la fin des années 1970, un nouveau concept apparaît : le LTS (logement très social), remplacé en 1986 par le LES (logement évolutif social). Il s'agit de permettre l'accession des ménages, même démunis, et ainsi de réglementer les lieux d'habitation et les normes de construction minimales. Un financement est accordé sous certaines conditions :
- des normes minimales d'habitabilité (les normes du code de la construction, auxquelles s'ajoutent les normes un peu plus strictes qui permettent l'octroi de l'allocation logement),
- la surface considérée est évolutive (plus importante que la surface habitable, elle permet au ménage d'agrandir au fur et à mesure de ses besoins),
- les ménages doivent rendre l'habitation plus confortable par leur propre travail.
Dans les années 1980 démarre la politique volontariste de résorption de l'habitat insalubre (RHI).
Aujourd'hui une soixantaine de RHI ont été réalisées (permettant la réalisation effective de 7 700 logements hors logements réhabilités) et autant sont en cours de réalisation. Plusieurs générations de RHI ont vu le jour (chiffres étude AGORAH).
Les premières RHI (année 1980) ont porté sur les bidonvilles spontanés des communes de Saint-Denis, Saint-Pierre et du Port, sous forme de grosses opérations de démolition/reconstruction : Saint-Ange Doxile, Patate à Durand, Moufia, Ravine Blanche… Ces opérations ont nettement contribué à l'amélioration des conditions de vie.
Puis, dans les années 1990, le dispositif s'est étendu à une grande partie des communes avec dans un premier temps des opérations importantes sur des quartiers périphériques : Terre-Sainte, Portail…
A partir du milieu des années 1990, les opérations engagées sont de taille plus réduite (petits périmètres d'intervention, notamment dans le Sud de l'île) même si des opérations d'envergure sont encore en cours de résorption actuellement (Basse Terre, Rivière des Galets).
Sur le plan social, pour les familles concernées c'est un changement radical de mode de vie, une réelle rupture avec leur ancien mode d'habiter.
Aujourd'hui, 90% des cases insalubres recensées sont d'anciennes cases. Certaines présentent une réelle qualité architecturale qui contribue à valoriser le paysage Réunionnais, grâce à leur type de construction et à l'usage de matériaux issus des modes de construction traditionnels (lambrequins, bardeaux, toit à quatre pans….). Elles sont particulièrement nombreuses sur la micro-région Sud, où se concentre un tiers des cases de valeur (d'après l'AGORAH). Il y a là en réel enjeu pour que la « résorption » de l'insalubrité se traduise non pas par une démolition mais par une réhabilitation/reconstruction.
Tous les efforts des dernières décennies se traduisent en chiffres. Rien qu'entre 1990 et 2004, le nombre de logements a crû de 55%, pour atteindre 286 000 logements (2006). L'étude de l'AGORAH (Inventaire des Zones d'Habitat Précaire et Insalubre) note une baisse de 28 % de l'insalubrité entre 1999 et 2008. Désormais cette insalubrité est essentiellement diffuse : 75% des logements insalubres sont dans des espaces urbains de faible densité.
Pourtant les efforts sont loin d'être terminés : les besoins en logements exprimés au projet de SAR 2009 sont de 9 000 par an pour les 20 prochaines années : soit + 180 000 logements : cela correspond à 60% du parc existant, et représente trois fois le rythme de construction métropolitain ! La Réunion n'a pas fini de s'urbaniser, et ce processus est au cœur des enjeux de paysage : saura-t-on préserver les espaces agricoles et naturels, notamment dans les mi-pentes et les bas soumis à cette pression ? Saura-t-on créer des villes durables agréables à vivre, socialement équitables, économiquement viables ?
Colonisation des pentes au-dessus de l’étang de Saint-Paul (Bois de Nèfles Saint-Paul) (photo février 2005)
Urbanisation de Saint-Denis, vue des pentes de la Montagne
Outre l'amorce et le développement de la structuration urbaine des « grandes » villes, un essaimage du bâti beaucoup plus large s'observe sur les dernières décennies, autour des villes, sur le littoral, dans les pentes basses et intermédiaires. Le bâti diffus progresse au fil de la route, colonisant les espaces agricoles, matérialisé par un semis de cases conquérant : on parle désormais de
« mitage » et non plus d'habitat dispersé, traduisant une connotation qui prend un caractère de plus en plus négatif au fur et à mesure que le phénomène prend de l'ampleur (voir dans la partie «
Connaître et comprendre » le chapitre «
les paysages et l'urbanisation » : le paysage de l'habitat dispersé et le paysage du mitage).
C'est désormais l'ère de l'urbanisé généralisé, qui succède à celle d'urbain localisé. Plusieurs raisons expliquent ce puissant phénomène :
- la modernisation du milieu rural, après celle des villes, le rend à son tour attractif, une fois équipé des réseaux indispensables au confort moderne ;
- les facilités de déplacements offertes par la voiture individuelle, qui se généralise, rendent possible cet éloignement croissant entre habitat et travail ;
- le coût élevé du foncier bâti oblige les ménages moyens ou modestes à s'éloigner des secteurs les plus prisés ;
- l'écart croissant de la valeur entre terrain constructible et terrain inconstructible pousse à l'ouverture à l'urbanisation des terrains agricoles ou naturels ;
- la réforme agraire des années 1970 parcellise les grandes propriétés de la « plantocratie » : la plus grande part des anciens « grands domaines » est acquise par des sociétés de type SAFER, qui les redistribuent à de petits propriétaires. Cette atomisation de la propriété foncière facilite le mitage ;
- les lois de défiscalisation successives, à partir de 1986, dopent le bâtiment ;
- enfin le laxisme en termes de police de l'urbanisme encourage l'urbanisation sauvage et spontanée des terres, malgré leur rareté.
Aujourd'hui les agglomérations urbaines présentent toujours une occupation lâche, avec 6,6 logements/ha et le processus de mitage reste une réalité : habitat spontané incontrôlé, manque d'offre alternative de logements, perpétuation d'un mode « culturel » d'habiter répondant par ailleurs aux attentes supposées de la population (maison et jardin), même si le paysage produit n'a plus rien à voir entre l'habitat dispersé traditionnel et le lotissement contemporain.
Toutefois, la conscience des risques et problèmes liés à cette forme d'urbanisme, grandissante au cours des années 1990 et 2000, conduit à un ralentissement du phénomène (étude AGORAH) et à l'émergence d'un désir d'urbanité : la densification, la rénovation urbaine, l'offre récente d'espaces publics urbains, contribuent à cette évolution naissante.