2.3. L’omnipotence des paysages routiers


2.3.1. La dépendance à la voiture et le coma circulatoire : baisse de la qualité de vie et de l’attractivité de l’île, frein à l’organisation paysagère et urbaine de l’île

Bouchon à Saint-Joseph
Bouchon à Saint-Joseph
La création de grands centres commerciaux hors centres-villes accroît la dépendance à la voiture (Sainte-Suzanne)
La création de grands centres commerciaux hors centres-villes accroît la dépendance à la voiture (Sainte-Suzanne)



L’envahissement de l’espace public par les voitures rend impossible la qualité de vie urbaine (Etang-Salé)
L’envahissement de l’espace public par les voitures rend impossible la qualité de vie urbaine (Etang-Salé)
Cas de centre-ville déqualifié par l’omniprésence de la voiture (Saint-André)
Cas de centre-ville déqualifié par l’omniprésence de la voiture (Saint-André)


La diffusion de l'urbanisation dans l'espace rend les habitants entièrement dépendants de leur voiture pour leurs déplacements. Selon le profil des ménages, il faut un, deux voire trois véhicules par foyer. Cette dépendance a conduit à l'explosion du parc automobile et à la saturation des axes de circulation. Près de 90% des déplacements s'opèrent en voiture individuelle (chiffre Agorah, observatoire des transports et des déplacements 2007).

De gigantesques bouchons engorgent l'île à partir des années 1980. Gilles Lajoie (Université de La Réunion) parle de « coma circulatoire ».
Les investissements routiers pour y faire face ressemblent à une fuite en avant, un puits sans fond. Le cercle vicieux de l'urbanisation et de la route s’est enclenché : l’une et l’autre s'alimentent sans fin de proche en proche. L'urbanisation exige la route qui, une fois créée ou aménagée, favorise l'urbanisation qui exige la route qui, etc. On le mesure à nouveau avec l’ouverture de la Route des Tamarins en 2009, longtemps attendue et vécue comme une libération par tous les habitants victimes des interminables bouchons des dernières années on pressent que cette route peut avoir des conséquences positives en termes de développement économique et urbain structurant pour les paysages à travers le  développement vraisemblable du sud en matière d’activités et d’habitat, notamment du secteur Pierrefonds, offrant des espaces peu pentus et désormais bien desservis, ainsi qu’à travers le développement touristique d’Etang-Salé-les-Bains, par sa meilleure accessibilité pour les populations du nord de l’île.

Problème da la route comme vitrine commerciale : dégradation et banalisation des paysages de La Réunion (entre La Saline-les-Bains et Souris Chaude)
Problème da la route comme vitrine commerciale : dégradation et banalisation des paysages de La Réunion (entre La Saline-les-Bains et Souris Chaude)

Cependant, il y aura également des conséquences négatives  comme la pression sur les abords de la Route des Tamarins, en commençant par les abords des échangeurs, avec le risque de création de vitrine commerciale banalisante, et le développement de l’urbanisation des mi-pentes de l’Ouest dans une situation déjà très conflictuelle entre vocation urbaine et vocation agricole des terres, dont une bonne part mises en irrigation par le Projet ILO. Ainsi, sans même parler de pollution et de réchauffement climatique, la Route des Tamarins risque d’apparaître globalement déstructurante en matière de paysage, favorisant une nouvelle fois la diffusion du bâti et l’usage individuel de la voiture, grâce à l’amélioration des temps de parcours offerts entre domicile et services/lieux de travail Les conséquences de cette facilité des déplacements dans l'Ouest se mesurent déjà : elle provoque désormais des bouchons d'une nouvelle importance à l'entrée de Saint-Denis, sur la route du littoral, qui a vu son trafic bondir de 15% en 2009 ; la Route des Tamarins rend donc plus urgente la création de la nouvelle route du littoral … Le cercle vicieux du tout voiture poursuit son cours.

Le même risque guette le projet de liaison rapide Saint-Pierre/Saint-Benoît par les plaines (nouvelle RN 3) : la belle et fragile plaine des Cafres (laissée hors territoire du Parc National) va se retrouver desservie de façon efficace et ses terres plates, malgré l’austérité du climat, pourront devenir attractives pour le développement de l’urbanisation. De même les pentes hautes du Tampon, déjà marquées par l’urbanisation diffuse.

Quant aux déviations, chacune est une porte ouverte à l’étalement urbain, posant à terme des conflits de vocation et d’usage entre logique routière de transit et logique urbaine de cabotage.


Un problème d’inconfort pour les transports en commun qui les rendent insuffisamment attractifs comparés au confort de la voiture individuelle. Ici arrêt de bus route Hubert-Delisle.
Un problème d’inconfort pour les transports en commun qui les rendent insuffisamment attractifs comparés au confort de la voiture individuelle. Ici arrêt de bus route Hubert-Delisle.

La diffusion du bâti dans l’espace rend très difficile le développement efficace des transports en commun, dont l’exploitation est impossible à équilibrer financièrement faute de poids d’usagers suffisant sur les lignes. Il faudra du courage politique et de la capacité financière pour casser ce cercle vicieux au profit de transports en communs structurants, quels qu’ils soient. Les conflits autour du projet Tram Train en ont témoigné.

2.3.2. L’urbanisation linéaire d’habitat.
De la route ligne de vie à la ville-route : crise culturelle du paysage habité

Saint-André et le passage de la RN 2 dans le tissu construit de la ville
Saint-André et le passage de la RN 2 dans le tissu construit de la ville
Problème d’urbanisation allongée autour de la RN 2 à Bras-Panon
Problème d’urbanisation allongée autour de la RN 2 à Bras-Panon



L’urbanisation linéaire : exemple à Saint-Joseph.
L’urbanisation linéaire : exemple à Saint-Joseph.

En 1950, la RN2 au sud de Saint-Joseph vers la Pointe Langevin est occupée par quelques cases égrenées. En 1984, l’urbanisation est presque continue. En 2008, l’urbanisation est continue, privant l’usager de la route des ouvertures sur le grand paysage des pentes et du littoral, faisant disparaître le paysage rare de la canne descendant jusqu’à la mer. L’épaississement de l’urbanisation est en marche.

La forme linéaire traditionnelle de l’habitat, volontiers greffé sur la route jusqu’à constituer une « ligne de vie », a donné d’heureux résultats tant que la route restait peu passante et sillonnée par des gens ou des engins lents, peu bruyants et peu dangereux : piétons, charrettes à bœufs, premières voitures. Cette forme a perduré jusqu’à récemment dans les écarts ; on peut en prendre la mesure dans les voies traditionnelles encore peu empruntées, dans les îlets, … Ses qualités paysagères et sociales ont été mises au jour dans « Paysage Côte Est » (B. Folléa, CAUE 1990) à propos de la RN2 dans sa partie la moins circulée de Sainte-Rose/Saint-Philippe.

Pour ne pas que les traditionnelles routes « lignes de vie » deviennent des lignes de mort : des routes à réhabiliter au bénéfice des piétons.
Pour ne pas que les traditionnelles routes « lignes de vie » deviennent des lignes de mort : des routes à réhabiliter au bénéfice des piétons.
Saint-André, difficile passage piéton sous la RN 2 …
Saint-André, difficile passage piéton sous la RN 2 …



Durcissement du paysage lié à la route : minéralisation complète des espaces
Durcissement du paysage lié à la route : minéralisation complète des espaces
Problème de durcissement de l’espace de vie par la route « fonctionnalisée » : minéralisation complète des sols, absence de végétal, absence d’ombrage (lycée à Saint-Louis)
Problème de durcissement de l’espace de vie par la route « fonctionnalisée » : minéralisation complète des sols, absence de végétal, absence d’ombrage (lycée à Saint-Louis)



Des aménagements purement techniques qui dégradent le paysage quotidien du bord de route
Des aménagements purement techniques qui dégradent le paysage quotidien du bord de route
Des aménagements purement techniques qui dégradent le paysage quotidien du bord de route
Des aménagements purement techniques qui dégradent le paysage quotidien du bord de route


Le paradoxe du développement récent vient de ce que la route est devenue de moins en moins vivable (bruit, danger, pollution avec l’accroissement du trafic et des vitesses de circulation)  tout en étant de plus en plus construite, par la commodité des réseaux en place. Le phénomène d’urbanisation linéaire a atteint de telles proportions qu’il est possible aujourd’hui de parcourir des dizaines de kilomètres de route en restant pris dans un manchon construit, sans échappée visuelle pour respirer ou pour se repérer.  L’exemple de la route Hubert-Delisle dans les hauts de l’Ouest est à ce titre significatif et bien connu.

Les problèmes engendrés sont nombreux :
  • une perte de qualité de vie pour les habitants, riverains de voies routières, dangereuses, bruyantes et polluantes ;
  • une perte d'efficacité et de sécurité de la voie, balançant entre sa vocation de transit et sa vocation de desserte locale ;
  • un coût renforcé d'entretien des voiries et de services à la parcelle pour la collectivité, sur de longues étendues ;
  • une perte d'identité pour les bourgs, noyés dans un continuum bâti anonyme ;
  • un durcissement du paysage habité et circulé (voir ci-dessus) ;
  • une disparition des espaces de respiration et coupures d'urbanisation, qui ouvrent des vues sur le grand paysage, structurent l'urbanisme et jouent le rôle de corridors écologiques pour la circulation des espèces ;
  • une perte de centralité des bourgs (dévitalisation), étirés à l'excès et ne pouvant fédérer leur développement autour d'un lieu de vie constitué ;
  • une aggravation de la dépendance à la voiture pour les habitants riverains des routes, dépourvus de services de proximité accessibles à pied.

2.3.3. L’urbanisation linéaire d’activités.
De la route-paysage au boulevard commercial : la disparition des grands paysages

Débordement de Saint-Louis dans la plaine du Gol par les activités commerciales le long de la route d’entrée/sortie de ville
Débordement de Saint-Louis dans la plaine du Gol par les activités commerciales le long de la route d’entrée/sortie de ville
Exemple de route paysage : montée de Saint-Louis vers Les Makes par la RD 20
Exemple de route paysage : montée de Saint-Louis vers Les Makes par la RD 20



Route paysage ouverte sur l’échancrure spectaculaire de Cilaos, pentes basses du Tampon/Saint-Pierre
Route paysage ouverte sur l’échancrure spectaculaire de Cilaos, pentes basses du Tampon/Saint-Pierre
La route du littoral entre Saint-Denis et La Possession
La route du littoral entre Saint-Denis et La Possession



Ouverture vers Cilaos depuis la RN3 entre Le Tampon et Saint-Pierre
Ouverture vers Cilaos depuis la RN3 entre Le Tampon et Saint-Pierre
Route-paysage sur la côte sud, entre Grande Anse et Manapany
Route-paysage sur la côte sud, entre Grande Anse et Manapany



Développement commercial autour de la RN1 à Saint-Louis
Développement commercial autour de la RN1 à Saint-Louis
Piton Saint-Leu avant la Route des Tamarins, juin 2000
Piton Saint-Leu avant la Route des Tamarins, juin 2000



Problème d’entrée de ville (Saint-Joseph)
Problème d’entrée de ville (Saint-Joseph)
L’ouverture de Mafate depuis la RN 1, parasitée par l’urbanisation commerciale en bord de route
L’ouverture de Mafate depuis la RN 1, parasitée par l’urbanisation commerciale en bord de route



Problème de collage d’activité commerciale le long de la route RN 1, occultant les grandes perspectives paysagères sur les pentes des Makes et du Dimitile
Problème de collage d’activité commerciale le long de la route RN 1, occultant les grandes perspectives paysagères sur les pentes des Makes et du Dimitile
Linéaire de publicité, entrée nord de Saint-Leu (photo octobre 2006)
Linéaire de publicité, entrée nord de Saint-Leu (photo octobre 2006)



Problème de surenchère commerciale au bord de la RN 1 (Le Port/La Possession)
Problème de surenchère commerciale au bord de la RN 1 (Le Port/La Possession)
Problème surenchère commerciale au bord de la RN 2, côte nord-est
Problème surenchère commerciale au bord de la RN 2, côte nord-est



Curiosité géologique sur la route de l’Entre-Deux, dégradée par des parcelles privatives médiocrement clôturées
Curiosité géologique sur la route de l’Entre-Deux, dégradée par des parcelles privatives médiocrement clôturées

Les grandes infrastructures, RN1, RN2 notamment, jouent un rôle essentiel pour la perception des grands paysages des pentes de l'île. Or l'urbanisation d'activités a eu tendance, au cours des 15 dernières années, à se développer autour de ces infrastructures, en recherchant à la fois la commodité de desserte et l'effet de vitrine. C'est ainsi que les ouvertures visuelles vers les grandes échancrures de l'intérieur de l'île, majeures en termes de paysage, se dégradent ou disparaissent :
  • Mafate et la rivière des Galets vers Le Port/La Possession,
  • Piton Defaud et Savanna vers Saint-Paul,
  • Cilaos et la rivière Saint-Etienne vers Saint-Louis,
  • la rivière des Pluies vers Saint-Denis/Sainte-Marie,
  • Salazie et la rivière du Mât vers Saint-André/Bras Panon,
  • ...
Le même phénomène guette la Route des Tamarins, notamment autour des échangeurs, si des mesures fortes d’inconstructibilité et de reculs d'implantations ne sont pas prises.

Le Portail à Piton Saint Leu en 1994, avant la construction de l’échangeur de la route des Tamarins
Le Portail à Piton Saint Leu en 1994, avant la construction de l’échangeur de la route des Tamarins
La ZAC du Portail à Piton Saint Leu depuis la mise en service de la route des Tamarins en 2010
La ZAC du Portail à Piton Saint Leu depuis la mise en service de la route des Tamarins en 2010