Le « jardin » est synonyme de paradis. Étymologiquement, il signifie espace clos, fermé sur lui-même. C’est un lieu de représentation du monde et d’expérimentation. Enfin, il sous-entend un travail permanent de gestion. La Réunion de demain peut-elle être regardée - mais aussi aménagée et gérée - comme un jardin ?
La Réunion conçue comme île-jardin propose de reprendre à l’échelle du territoire ce que la culture réunionnaise traditionnelle porte de meilleur à l’échelle de la parcelle : cette capacité à composer un cadre de vie délicieux, où s’imbriquent savamment la case, la cour et le jardin, l’intérieur et l’extérieur, l’architecture et le végétal, l’intime et l’offert, la production et l’agrément. Cette valeur est fondatrice d’une culture partagée, profondément chevillée au cœur des Réunionnais. Elle tient dans une même affection toutes les couches sociales, de la grande case ancrée dans ses terres agricoles au plus modeste bois-sous-tôle fiché au bord de la route. Elle est le point de convergence des différentes cultures. En cœur de ville ou en cœur d’îlet, dans les Bas comme dans les Hauts, riche ou pauvre, d’origine européenne, africaine, malgache, indienne ou chinoise, chacun a su, avec ses moyens, composer avec une nature à la fois prodigue, violente et fragile pour organiser amoureusement sa parcelle de bonheur et l’offrir au passant ou à ses proches. C’est ce paradis là, fruit de la fécondation de la nature par la culture, qui est à réussir pour l’île tout entière.
La Réunion n’est plus un farwest, une terre de conquête, une colonie ; en étant petite, fermée sur elle-même et isolée dans l’Océan Indien, elle n’a pas d’autre solution que de se développer de façon durable : pas d’espoir illusoire de gagner d’autres terres, d’autres ressources, que celles en place, si celles-ci viennent à s’épuiser par gaspillage. La Réunion sera durable ou ne sera pas. La voici condamnée à l’excellence environnementale. Elle constitue le paradigme de la planète terre, isolée dans le vide abyssal de l’espace, sans échappatoire.
Bénéficiant des soutiens de l'Europe et de la métropole, La Réunion peut mieux qu'ailleurs inventer son devenir, ouvrir des voies, montrer l'exemple. Ici, la conscience de la finitude, de la petitesse et de la fragilité du cadre de vie commun est plus sensible qu'ailleurs : on vit nombreux sur une terre exigüe, dans une situation isolée, au contact d'une nature belle mais rude (volcanique, océanique et cyclonique) et fragile. C'est ainsi que La Réunion expérimente déjà les concepts de développement durable en matière d'énergie renouvelable, au travers du projet "Réunion 2030-GERRI". Il s'agit d'un programme partenarial conduit conjointement par l'Etat, le Conseil Régional et le Conseil Général. Il associe l'ensemble des collectivités territoriales, des industriels et investisseurs. Il consiste à faire de La Réunion un espace d'excellence internationale sur le développement durable, dans les domaines de la maîtrise, de la production et du stockage de l'énergie, des déplacements, de l'urbanisme et de l'aménagement durable. En matière de gestion environnementale, La Réunion a aussi innové en créant le premier Parc National nouvelle génération, issu de la Loi Parc qui a spécifiquement introduit la préservation des paysages dans les missions des Parcs. En matière d'habitat, La Réunion est le seul département d'outre-mer à porter un projet d'EcoCité (TCO) ; une politique puissante d'innovation en matière d'architecture durable tropicale trouverait tout son sens dans le contexte de fort enjeu de construction et de requalification que connaît l'île ; de même en matière de transports et déplacements, qui pourrait totalement renouveler le rapport des Réunionnais à l'espace en sortant du tout-voiture et de la dépendance au pétrole.
La Réunion n’est pas une terre simplement à protéger, à mettre sous cloche, à soustraire aux hommes. Même ses espaces les plus naturels doivent faire l’objet de projet, au-delà de leur seule protection, pour orienter les choix de gestion : par exemple les choix des dosages et des formes d’accueil du public, ou de lutte contre les plantes envahissantes. Le volcan et la forêt primaire de Bébour font ainsi partie de l’île-jardin parce qu’ils doivent être gérés.
Cette terre fragile, aussi intensément habitée et parcourue, nécessite d’être soignée partout, quel que soit l’espace considéré, pour constituer un cadre de vie équitable, viable et vivable. Comme un jardin, elle demande un travail permanent pour offrir de façon renouvelée et pérenne ce qu’elle peut offrir de meilleur : jardin à parcourir et à découvrir par ses chemins et par ses routes, jardin habité pour ses villes et ses bourgs, jardin cultivé et de production pour ses espaces agricoles et pour ses espaces d’activités, jardin sauvage pour ses espaces de nature.