Globalement l'agriculture prend place principalement entre l'urbanisation littorale et les forêts ou espaces naturels d'altitude, sur les longues pentes extérieures de l'île, entre 0 et, selon les pentes, 400, 800 ou 1200 m d'altitude. De ce fait, elle est en concurrence directe avec la pression du développement de l'habitat et des activités, des infrastructures et des équipements, principalement concentrés sur les 800 premiers mètres d'altitude. La SAU a d'ailleurs diminué, passant de 53 200 ha en 1980 à 43 700 ha en 2000. Chaque année, l'urbanisation consomme 500 ha de terres agricoles : soit l'équivalent de 3 terrains de football par jour tous les jours…
Cette situation se lit aujourd'hui dans le grand paysage, avec une présence presque systématique du semis d'urbanisation blanche piquant les étendues vertes agricoles, dans une imbrication parfois très étroite et complexe. Partout où porte le regard, le bâti est largement présent dans le grand paysage agricole ; il faut cadrer serré pour échapper à la présence des constructions. Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, les paysages agricoles de La Réunion sont de fait presque partout périurbains voire urbains, et les logiques de développement ne peuvent ignorer les concepts d'agriculture périurbaine et urbaine.
Jusqu'à présent, cette cohabitation forcée s'est traduite de deux façons selon la structure foncière rencontrée :
lorsque les parcelles agricoles sont petites, l'imbrication entre bâti et cultures est forte, traduite par un mitage qui met en péril la vocation agricole des terres, et tend à banaliser le paysage dans un flou généralisé ; le problème marque les mi-pentes de l'ouest de La Possession à Saint-Leu, les pentes du Tampon depuis l'océan jusqu'à la Plaine des Cafres, les pentes du sud, la plaine de Saint-André ;
lorsque les parcelles agricoles sont vastes, constituant de grandes propriétés foncières d'un seul tenant, la décantation entre l'espace agricole et l'espace urbain est plus claire, et les paysages de meilleure qualité : vastes champs ouverts d'un côté sur les horizons montagneux, et de l'autre sur le bleu abstrait de l'océan, villes et quartiers plus composés, plus urbains, moins consommateurs d'espace et moins dispendieux en services. Ce sont les paysages des pentes basses de l'ouest en voie d'irrigation (l'Hermitage), les pentes de Piton Saint-Leu, les pentes de Saint-Pierre, les pentes du nord-est de Sainte-Marie/Sainte-Suzanne.
La valeur agronomique stratégique des terres, l'importance de la filière canne dans l'économie et la culture réunionnaises, la qualité des paysages produits au bénéfice du cadre de vie et du tourisme, nécessitent des protections plus solides que le seul héritage incertain de la structure foncière, par définition fluctuante. Les mesures prises par les communes ou les intercommunalités dans leurs documents d'urbanisme apparaissent insuffisantes sur le long terme face à la pression du développement.
Au-delà et en complément des protections, des dispositions d'aménagement doivent émerger pour penser le développement agricole et urbain concomitamment et non séparément par opposition.
Actuellement, la situation périurbaine de l'agriculture Réunionnaise apparaît encore peu reconnue économiquement et socialement. Outre son avenir économique même, c'est l'image de l'agriculture qui apparaît fragilisée, voire dégradée par la présence non maîtrisée d'urbanisation diffuse dans les parcelles ; mais c'est aussi l'usage socio-économique de l'espace agricole qui apparaît aujourd'hui décalé. Alors que les espaces naturels des hauts (volcan, cirques, forêts) comme ceux des plages sur le littoral, sont publics et largement appropriés par la population, les espaces agricoles sont privés et l'appropriation est au mieux visuelle : hormis leur rôle premier d'espaces de production, ils constituent de simples « décors » pour les habitants et visiteurs, visuellement sensibles mais vides d'usages. Cette absence d'appropriation économique et sociale contribue à leur fragilité.
L'appropriation physique, par les chemins, par les « séjours à la ferme », par l'achat direct chez le producteur, ou par tout autre moyen favorisant l'échange entre agriculteurs et visiteurs, mais aussi entre espaces agricoles et urbains, reste un enjeu fort pour faire de l'agriculteur un acteur reconnu du cadre de vie, et de l'agriculture une pièce maîtresse de l'aménagement du territoire.
Ainsi, c'est un agro-urbanisme qu'il faudrait penser, protégeant les espaces agricoles en « parcs », maîtrisant leur fréquentation par le public, encourageant les circuits courts de commercialisation et la vente directe, développant l'agri-tourisme, aménageant des transitions spécifiques entre espaces urbanisés (ou urbanisables) et espaces agricoles : les lisières urbaines, et préservant et aménageant les rebords de ravines dans des dispositions paysagères et environnementales.