Les fondements naturels et humains des paysages de La Réunion
Une diversité paysagère ancrée dans la géographie et dans l'histoire
Cette partie explique l’origine de la diversité des paysages de La Réunion et des contrastes qu’ils présentent, dans leurs dimensions géographiques et historiques. Il met en évidence leur constitution fondatrice, ainsi que les évolutions qui ont conduit à leur aspect actuel, par huit chapitres successifs :
Les paysages et la géologie
Les paysages et la géologie
Schémas d’explication de la formation de l’île (source : maison du volcan)
Deux volcans pour enfanter l’île
Les sommets du piton des Neiges, ruines du volcan ancien
L'île de La Réunion est toute entière fille de l'activité volcanique. Elle a été « conçue » au fond de l'Océan Indien il y a 5 millions d'années, lorsqu'un point chaud a favorisé la remontée du magma de l'intérieur de la terre jusqu'au plancher océanique fracturé. L'activité volcanique sous-marine a peu à peu conduit à des empilements énormes de coulées de laves. Il y a 3 millions d'années, l'île est née réellement, lorsque l'empilement des laves a atteint la surface de l'océan. Elle s'est agrandie et a monté en altitude avec l'activité volcanique poursuivie à l'air libre par ce qui deviendra le « Piton des Neiges ». Les ruines de cet ancien volcan culminent aujourd'hui à 3070 m d'altitude.
Le volcan fumant, pentes du Grand Brûlé, août 200
Il y a 1 million d'années, un deuxième volcan est né dans le flanc sud-est du Piton des Neiges et constitue aujourd'hui
le Piton de la Fournaise, à 2 631 m d'altitude. Les deux volcans ont longtemps été actifs simultanément, jusqu'à ce que le Piton des Neiges s'endorme il y a 22 000 ans après d'ultimes éruptions violentes, à caractère explosif. Les sources hydrothermales de Cilaos témoignent de ses entrailles encore chaudes, avec une température estimée à 200° C à 2 000 m de profondeur. Le Piton de la Fournaise quant à lui poursuit le façonnage de l'île par ses éruptions ; il est même considéré comme un des volcans les plus actifs de la planète.
Aujourd'hui, l'île émergée n'est finalement qu'une petite tête hors de l'eau : elle représente à peine1/32e de la masse du volcan posée sur le plancher océanique. Mesuré depuis ce point, le volcan de La Réunion serait ainsi le plus grand du monde.
En termes de paysage, l'histoire géologique nous livre fondamentalement deux grands ensembles :
- le paysage neuf et sans cesse renouvelé du Piton de la Fournaise, où le minéral domine largement : sans doute le paysage le plus spectaculaire de l'île, d'autant plus attirant pour les visiteurs que ses éruptions sont fréquentes et considérées comme relativement peu dangereuses car non explosives ;
- et le paysage plus ancien du restant de l'île, conquis par le végétal et creusé par l'érosion.
De la géologie aux aménagements : le basalte comme marqueur d’identité
Paysage de lave dans l’Enclos
Sculpture de basalte sur un rond-point de la RN3
Murs de basalte sur la Route des Tamarins
L'origine volcanique de l'île apparaît donc en première approche plutôt un facteur d'unité des paysages, qui fait le caractère général de l'île. Les hommes jouent largement avec l'affichage de cette personnalité, au travers notamment des
matériaux utilisés dans les aménagements, où le basalte sombre est roi, dans les murs des bâtiments anciens, dans les anciennes cheminées d'usines, dans les chaînages d'angle, dans les « murets créoles » et les murs de soutènement, dans les pavés et les dalles au sol, dans les scories des sols, voire dans la sculpture.
Incontestablement, le basalte, avec ses tonalités sombres et denses, contribue ainsi à dessiner le cœur de la personnalité des paysages Réunionnais.Toutefois, au-delà de cette unité d'ensemble, deux phénomènes liés à la géologie viennent contribuer à diversifier les paysages :
- la nature géologique des roches issues des volcans
- les apports fluviaux et marins complémentaires.
Les roches géologiques et les variations de paysages
Rencontre des blocs de basalte, des blocs coralliens et des sables qui en sont issus ; ici à Grande Anse
Erosion du basalte par la mer (Vincendo)
Route d’accès à L’Entre-Deux
Les falaises de la Montagne, montrant l’empilement de couches hétérogènes de basalte, massives et scoriacées
Les roches issues des volcans prennent des natures variées qui contribuent à diversifier les paysages. Sans rentrer dans le détail minéralogique de la composition des basaltes, l'œil même profane distingue sur les parois des remparts des couches de nature variable, où alternent des basaltes massifs et des scories friables. Cet empilement hétérogène crée une instabilité générale du socle géologique, particulièrement sensible au jeu des failles et à l'érosion pluviale. Les vertigineux paysages des cirques et des grandes ravines viennent de cette instabilité géologique. Du haut du Maïdo, de la Roche Ecrite et des Makes, ce sont des ruines en quelque sorte vivantes que l'on admire.
La rivière des Galets et son lit de galets à sec, vue depuis le pont de l’axe mixte
Cette érosion puissante provoque des formations superficielles et des dépôts alluviaux qui vont s'accumuler en cônes de déjection à l'exutoire des ravines : la plaine du Port ou plaine des Galets à la sortie de Mafate, la plaine de Saint-André ou plaine de Champ Borne à l'exutoire de Salazie et celle du Gol ou de Saint-Louis/Saint-Pierre en sortie de Cilaos, sont les principales de l'île, auxquelles on peut ajouter les plaines de Saint-Denis/Sainte-Marie. Engraissées à leur base par ces dépôts alluviaux, les pentes de l'île, globalement régulièrement inclinées de 6 à 8°, s'adoucissent enfin au contact avec l'océan et rendent plus facile le développement de l'urbanisation comme le passage des infrastructures.
La plage corallienne de Trou d’eau et la pointe basaltique de Trois-Bassins
Aux dépôts alluviaux s'ajoutent les dépôts marins, encore modestes étant donnée la jeunesse géologique de l'île, mais décisifs pour l'attractivité de ses paysages. Sur l'Ouest à la fois plus abrité et plus ensoleillé, un récif frangeant a commencé à se former au cours du Pléistocène, et plus précisément depuis 8 500 ans, à une vitesse moyenne de croissance verticale de 0,4 cm/an. Il a contribué à créer un « lagon » (terme abusif pour les spécialistes, car un lagon est l'espace marin situé entre la terre et un récif barrière, or le récif de La Saline / l'Hermitage est un récif frangeant) et des plages de sable corallien blanc. Sur 16 kilomètres, entre la Pointe de Trois-Bassins à la Pointe Barre à Mine (Saint-Paul) s'étend la zone principale des plages coralliennes de La Réunion avec un continuum sableux partant de Trois-Bassins jusqu'à Boucan Canot. Le massif du Cap La Houssaye fixe la limite Nord de ces plages.
L'ensemble enrichit la palette des paysages de l'île et rend possible les loisirs et le tourisme balnéaire, complémentaires aux activités liées à la montagne.
L’étang du Gol et son ourlet de sable et de galets, qui le sépare de la mer
A la rencontre des dépôts fluviaux et des dépôts marins, des étangs aujourd'hui résiduels et fragiles se forment : la houle entretient un cordon littoral qui contrarie l'écoulement des eaux des pentes vers l'océan : elles s'accumulent alors sur les plaines littorales alluviales jusqu'à former des étangs : l'étang Saint-Paul dans la baie de Saint-Paul, l'étang du Gol dans la plaine du même nom, l'étang de Bois-Rouge dans la plaine de Saint-André. Rares dans l'île, plutôt discrets, ces zones humides enrichissent précieusement la diversité des milieux et des paysages de l'île.
Enfin quelques curiosités géologiques enrichissent encore les paysages de l'île, formant des sites particuliers là encore précieux :
Sables noirs aux reflets verts de la plage de l’Etang-Salé-les-Bains
- les sables basaltiques de l'Etang-Salé, noirs et aux reflets verdâtres du fait de leur richesse en olivine, se sont accumulés au point de former des dunes, aujourd'hui fixées par la plantation de forêt entreprise au XIXe siècle ;
Les « collines » du Cap La Houssaye, de part et d’autre du petit bras Canot, vues depuis la route des Tamarins
- les brèches d'avalanches de débris, au Cap La Houssaye, génèrent ces reliefs plutôt doux et arrondis en « collines », très inhabituels à la Réunion, et magnifiquement révélés par la savane à Heteropogon contortus qui les couvrent ;
Orgues basaltiques sur les flancs d’un rempart du cirque de Salazie
Orgues basaltiques au Bassin La Paix
Orgues basaltiques au Bassin La Paix
- à échelle plus précise encore, des orgues basaltiques sont visibles ponctuellement sur les parois des remparts, notamment sur la rivière des Roches (Bassin La Paix, Bassin La Mer) ;
Lave cordée dans l’Enclos Fouqué
Lave de la coulée 2007, dans le Grand-Brûlé
Lave en coulée épaisse, figée dans l’Enclos au pied du cône du Piton de la Fournaise
- enfin les laves « fraîches » du Piton de la Fournaise captivent les visiteurs en prenant des formes variées, en cordes, en grattons, en coulées épaisses : sur le volcan comme dans le Grand-Brûlé, on marche volontiers les yeux rivés au sol.
Les paysages et les reliefs
Les paysages et les reliefs
Avec les climats, les reliefs de La Réunion contribuent de façon majeure à la diversité des paysages et à l'organisation du territoire.
Pour le premier touriste venu, il suffit d'être monté au Maïdo pour comprendre que les reliefs apparaissent particulièrement spectaculaires et contribuent largement à l'attractivité de l'île, notamment de La Réunion intérieure (les « hauts »).
L'introduction au présent Atlas, qui présente l'organisation des paysages de l'île, rappelle à quel point ce sont les reliefs qui différencient les paysages les uns des autres, notamment les paysages de La Réunion extérieure (les pentes) de ceux de La Réunion intérieure (cirques, ravines, plaines d'altitude et volcan). Elle précise également l'importance des points de basculements de l'extérieur vers l'intérieur de l'île part les remparts, particulièrement vertigineux
L'ensemble de la topographie s'explique à la fois par l'origine volcanique de l'île et par le jeu puissant de l'érosion. Globalement la richesse paysagère vient des reliefs à la fois gigantesques et chaotiques de l'intérieur des terres, plutôt que des pentes extérieures globalement régulières.
Les planèzes
Les pentes du Tampon, longue planèze régulière
Les volcans du Piton des Neiges et du Piton de la Fournaise ont donné ces pentes extérieures, ou planèzes, inclinées de 6 à 8° vers l'Océan. En termes de relief, ce ne sont pas elles qui font l'originalité et la diversité des paysages de La Réunion : d'une part parce qu'on les retrouve sur toutes les îles volcaniques de la planète, d'autre part parce qu'elles sont relativement régulières, de 0 à 1 000, 2 000 et jusqu'à 2 896 m au Grand Bénare. Sur l'ouest en particulier, elles apparaissent même plutôt monotones en étant particulièrement régulières, longues et fastidieuses à grimper en lacets multiples. A l'échelle « macropaysagère », leur régularité, l'absence de cassures ou d'élévations particulières les rendent plutôt pauvres en « sites », et tend à les fragiliser, face notamment à la pression de l'urbanisation : lorsque le bâti commence à conquérir ces pans réguliers, rien ne vient physiquement l'interrompre et l'arrêter dans le sens de la pente : c'est le problème de l'ouest, qui tend à devenir une gigantesque banlieue de 0 à 800 m d'altitude, et des pentes du Tampon, subissant le même phénomène d'urbanisation diffuse de l'océan à la Plaine des Cafres, sur une amplitude de plus de 1 000 m d'altitude. Là, il faut les kilométrages de la RN3 pour se repérer dans l'urbanisation conquérante, qui ont donné leurs noms aux centralités successives s'enchaînant au fil de la route : le Onzième, le Douzième, le Quatorzième, le Dix-septième, le Dix-neuvième.
A échelle précise toutefois, on s'aperçoit que les micro-variations de reliefs dans les pentes sont le plus souvent à l'origine des centralités bâties. Autrement dit, même sur les pentes régulières, les bourgs ou « villages », du moins leurs centres, occupent des positions précises liées au relief. Le confortement des centralités, qui est un leitmotiv de l'aménagement du territoire depuis de nombreuses années, passe donc par la reconnaissance et l'identification de ces sites bâtis, afin que les extensions les confortent.
Quelques paysages de pentes se distinguent sur l'ensemble du pourtour :
Premier aperçu sur les pentes au sortir de l’aéroport de Gilot : l’échancrure magnifique de la rivière des Pluies
- au sortir de l'aéroport de Saint-Denis, l'ouverture vers l'échancrure de la rivière des Pluies et ses rebords cultivés constitue la première image saisissante de celui qui découvre ou redécouvre l'île ;
- les pentes de Bras Panon, également ravinées finement par le chevelu qui descend de la Plaine des Lianes, composent une toile de fond originale dans l'est ;
Les pentes du Grand Brûlé, coulée de 2007
- les pentes du Grand-Brûlé, marquées par les coulées les plus récentes, marquent spectaculairement la rencontre du volcan et de l'océan ;
La côte sud, magnifiée par les cônes volcaniques qui la parsèment
- les pentes de Petite-Ile, entre Saint-Pierre et Saint-Joseph, ont la chance de bénéficier de petits cônes volcaniques, qui animent les pentes de façon remarquable et contribuent à la qualité paysagère du sud ;
Les pentes des Makes et du Dimitile, peut-être les plus belles de l’île
- les pentes des Makes et du Dimitile, au-dessus de Saint-Louis, cultivées en canne, laniérées par les ravines et boisées sur les hauteurs, mettent en scène l'ouverture du cirque de Cilaos, avec la silhouette du Piton des Neiges dressée dans l'horizon bleuté comme une forteresse ; l'ensemble offre une composition paysagère particulièrement remarquable, peut être la plus belle des pentes de l'île ;
Le littoral du Cap La Houssaye vu depuis la mer
- le Cap La Houssaye offre un paysage unique à La Réunion, avec ses reliefs doux et arrondis en « collines » (un terme étranger à la géographie Réunionnaise), révélés par la végétation rase de savane à Heteropogon, entretenue par la feu et le pâturage. Selon Jean-Pierre Blanck, ils résultent de la « mise en place de brèches le long de rift zones puis de leur dissection par des cours d'eau dont le tracé a été guidé par ces fissures » ;
Les falaises de la Montagne vues de la route du littoral
- les pentes de la Montagne, au contraire de toutes les autres, s'achèvent brutalement sur le littoral en hautes falaises verticales de 150 m de haut, sur une douzaine de kilomètres de rivage. Entre Saint-Denis et La Possession/Le Port, l'obstacle physique qu'elles représentent dans la circulation du tour de l'île constitue un défi majeur et permanent pour l'aménagement du territoire (voir le chapitre « Les paysages, l'urbanisation et les infrastructures »). Ces falaises sont mises en scène par la route du littoral, vital mais fragile cordon ombilical construit en 1976, sur la base de la route « en corniche » de 1963 ; pour limiter les risques d'éboulement, ces falaises ont été habillées au fil du temps d'une cotte de maille faite de filets de protection contre les chutes de blocs rocheux, qui font ressembler l'ensemble à une curieuse intervention de land-artiste démiurge.
Les plaines littorales
La plaine de Saint-Denis/Sainte-Marie, avec l’aéroport de Gillot
A l'aval des pentes, les cônes de déjection formés par l'érosion à l'embouchure des ravines dans l'Océan, ont façonné des plaines dont les plus importantes sont étalées aux exutoires des trois cirques : plaine du Port ou plaine des Galets (exutoire du cirque de Mafate), plaine du Gol (exutoire de Cilaos) et plaine de Saint-André ou plaine de Champ Borne (exutoire de Salazie). Les ravines serrées de Saint-Denis, avec la rivière des Pluies, ont également créé à leur exutoire une plaine de moindre dimension sur Saint-Denis/Sainte-Marie. Ces plaines, rares replats développés sur le littoral, ont logiquement cristallisé le développement le plus important de l'urbanisation en facilitant l'implantation des équipements, des infrastructures et du bâti : aéroport Roland-Garros à Gillot, aérodrome de Pierrefonds, port ouest et nord de la Pointe des Galets, réseau maillé des routes et villes les plus importantes de l'île : Saint-Denis, Saint-Pierre, Saint-Louis, le Port, Saint-Paul, Saint-André. Seul Le Tampon forme une ville importante sur les pentes, positionnée sur la planèze de couture entre le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise, régulière et pas trop raide.
Les ravines
Les paysages puissants des ravines : ici le Bras de la Plaine
Le fond rocheux à sec de la Grande Ravine
Ravine dans la forêt de Bébour
Les paysages des planèzes sont largement enrichis par les ravines qui viennent les sillonner en creux. Taillée comme des canyons, chaque ravine compose un monde en soi, coupé du monde de la planèze : un paysage d'intérieur fait de falaises ou remparts, de végétation plus exubérante qu'ailleurs, de lits de rivières encombrés de chaos rocheux, parfois d'eau dormante ou torrentueuse selon les saisons, parfois même de bassins et de cascades, et partout d'ombre et de fraîcheur. Protectrices et généreuses, les ravines sont les jardins naturels de la Réunion. Pour les écologues, il s'agit même de jardins naturels botaniques, par les rôles de refuges et de corridors biologiques qu'elles jouent pour la flore et la faune.
Dans cette situation, on ne s'étonnera pas de la valeur non seulement écologique, mais aussi sociale et culturelle dont jouissent les ravines ; profondément attractives, elles ont été largement représentées dans la littérature et l'iconographie Réunionnaises : Patu de Rosemont, l'un des « inventeurs » des paysages de La Réunion, les a largement représentées en aquarelles à l'aube du XIXe siècle ; Leconte de Lisle, dans ses poèmes barbares, consacre une poésie au Bernica ; etc (voir la partie « Fondements culturels des paysages de La Réunion »). Socialement, les ravines cristallisent les loisirs simples de proximité que sont les pique-niques, la promenade et la baignade, dans des ambiances rafraîchissantes, encore très fréquentées malgré la puissance d'attraction concurrente du littoral balnéaire.
La Grande Ravine, la plus vaste de l’Ouest, reste assez discrète dans le grand paysage de la planèze
Toutefois, dans la perception générale des paysages des pentes, les ravines apparaissent globalement plutôt discrètes malgré leurs dimensions souvent imposantes. C'est qu'elles ne forment pas des « vallées », un terme quasiment étranger à la géographie Réunionnaise, mais des cassures en creux brutales, spectaculaires certes lorsque l'observateur se retrouve en bord de cassure, mais discrètes car cachées et incisées en creux lorsqu'on observe les pentes dans leur ensemble. Cette discrétion visuelle est accentuée par la limitation naturelle de leur fréquentation : il est souvent impossible d'accéder au fond des ravines, encaissées entre des parois de remparts infranchissables. Les ravines apparaissent ainsi dans le paysage des pentes depuis l'aval, où le recul offert par le littoral les donne à voir « de face », et où leur embouchure les rendent plus accessibles. Les points de vue vers ces entailles deviennent alors précieux pour la qualité des paysages de l'île, sans parler des linéaires d'entrées dans ces ravines, souvent extraordinaires. Un des enjeux forts de l'aménagement qualitatif de l'île tient dans la reconnaissance de la valeur des paysages des ravines, au-delà de leur valeur biologique : capacité à leur donner une épaisseur, par des rebords hauts appropriables par les habitants et favorables à leur protection, protection et mise en scène des ouvertures visuelles vers les pentes hautes depuis le littoral, notamment vers les paysages des ravines les plus remarquables, aménagement des accès aux fonds des ravines, notamment depuis le littoral, en maîtrisant la fréquentation, etc.
L’étagement des paysages des pentes
L’étagement autour de Stella Matutina : zone sèche au premier plan ; ligne d’urbanisation des mi-pentes ; canne à sucre ; ligne d’urbanisation de la route Hubert-Delisle (en haut à gauche) ; les hauts dans les nuages.
Vu d’avion, l’étagement de l’est : urbanisation littorale (en bas de l’image) ; RN2 ; champs de canne ; urbanisation des mi-pentes
Sur les pentes extérieures de l'île, c'est moins la variété du relief qui compose des paysages différenciés que le gradient des altitudes, à lui seul facteur d'une grande variété de milieux naturels et de paysages. Il faut dire que les pentes sont globalement longues, de 0 à 1000, 2 000 et même près de 3 000 m d'altitude.
Ces milieux naturels, mis en valeur de façon différenciée par les hommes, ont conduit à une organisation elle-même étagée du territoire, qui a longtemps contribué à dessiner les paysages des pentes en strates successives.
Sur l'ouest par exemple, où les pentes sont particulièrement longues, on peut lire de bas en haut au moins neuf étages de paysages :
Trois étages visibles sur cette photo prise depuis La Saline : l’urbanisation littorale, les champs de canne irrigués, l’urbanisation des mi-pentes.
- le littoral, aujourd'hui urbanisé et balnéaire, de 0 à 50 m d'altitude
- les pentes littorales sèches, anciennement couvertes de savane pour le pâturage des animaux, aujourd'hui partiellement mises en culture par l'irrigation liée au basculement des eaux
- l'urbanisation des mi-pentes, à l'interface des secteurs historiques d'élevage en savane (à l'aval) et des secteurs cultivés (à l'amont), à 300 / 500 m d'altitude
Les mi-pentes cultivées et habitées et, à l’amont, l’urbanisation linéaire de la route Hubert-Delisle
- les mi-pentes cultivées, où domine aujourd'hui la canne
- l'urbanisation des hauts, autour de la route Hubert-Delisle, vers 800 m d'altitude
Les pâturages, dans les hauts de l’ouest
- les hauts agricoles, autrefois cultivés – notamment en géranium-, aujourd'hui pâturés, jusqu'à 1 200 m d'altitude,
La forêt de Tamarins, dans les hauts de l’ouest
- la forêt des hauts de l'ouest, privée, puis publique plus en altitude, jusqu'à 1 800 m environ,
Les brandes des hauts de l’ouest, au-dessus des nuages
- les branles ou brandes, landes d'altitude à ambavilles, « fleurs jaunes » et philippia (P. montana), plus ou moins envahies par l'ajonc d'Europe, jusqu'à 2 500 m d'altitude,
- les laves nues au-dessus de 2 500 m d'altitude, à peine colonisées par les lichens, les ambavilles blanches et de minuscules fougères, et où les branles blancs se réfugient dans les crevasses.
Le mitage en cours sur les pentes de Saint-Denis/Sainte-Marie, au-dessus de Gillot. Vue d’avion
Cet « ordre étagé », pour reprendre une expression de Serge Briffaut et Emmanuelle Heaulme (Ecole d'architecture et de paysage de Bordeaux), est fragilisé aujourd'hui par deux phénomènes :
- le « mitage », ou diffusion de l'urbanisation dans l'espace, qui quitte les lignes d'altitude originelles de 0, 400 et 800 m pour se répandre en continu sur les bas et les mi-pentes de la planèze ;
- dans une moindre mesure l'irrigation liée au basculement des eaux, qui unifie les pentes basses et les mi-pentes dans un même ensemble de canne à sucre dominante, en faisant disparaître les paysages de zone sèche, notamment de savane.
Les reliefs de l’intérieur de l’île
Tout à l'inverse des pentes extérieures de l'île, globalement régulières, les reliefs intérieurs composent des paysages radicalement contrastés, où l'érosion, couplée aux fractures des calderas et aux effondrements, est le grand sculpteur des paysages. C'est parce que l'érosion n'a pas agi sur la même durée qu'il convient de distinguer les « vieux » paysages du Piton des Neiges, de ceux encore jeunes du Piton de la Fournaise.
Remparts, pitons, mornes et ilets : les trois cirques de Mafate, Salazie et Cilaos
Le cirque de Mafate vu depuis le Sentier Scout
Paysage de rempart : celui du Maïdo vu depuis Mafate
La citadelle du Piton des Neiges, vue depuis la fenêtre des Makes
Paysage de remparts à Cilaos
Ilet à Cordes, isolé dans les ravinements de Cilaos
Ilet des Orangers, Mafate
Ilet à Malheur, cirque de Mafate
Les reliefs les plus saisissants de l'île se concentrent sur les deux tiers nord-ouest, correspondant aux ruines géantes de l'ancien volcan du Piton des Neiges. Là, les reliefs apparaissent brutalement fractionnés en remparts vertigineux, isolant des pans entiers de l'île en trois cirques. Chacun se présente de haut comme un monde en creux, mais leur parcours à pied ou en voiture révèle une foisonnante complexité de reliefs, composés de ravins profondément encaissés, de pics, de pitons et de mornes dressés au-dessus du vide, et, entre toutes ces verticales torturées, de modestes et miraculeux replats comme suspendus dans les airs, qui reçoivent les îlets où se réfugient les fragiles implantations humaines.
Les reliefs profondément ravinés du cirque de Salazie
Les reliefs torturés de Mafate
Les cirques sont le royaume de l'érosion, puissante et destructrice, qui casse et déblaye obstinément ce qui a surgi du cœur de la terre. A l'intérieur de chacun, des reliefs spécifiques contribuent à fractionner le paysage en ambiances différentes.
La chaîne de Peter Both, isolant Palmiste Rouge
A Cilaos, c’est la chaîne de Peter Both, remarquable par la dentelle de sommets qu’elle découpe, et qu’il faut franchir en voiture par un tunnel, qui sépare le cirque de Cilaos proprement dit du cirque de Bras Rouge.
A Cilaos, c'est la chaîne de Peter Both, remarquable par la dentelle de sommets qu'elle découpe, et qu'il faut franchir en voiture par un tunnel, qui sépare le cirque de Cilaos proprement dit du cirque de Bras Rouge.
Le Piton d’Enchaing vu depuis Hell-Bourg
A Salazie, c'est le Piton d'Enchaing, dressé au plein coeur du cirque, qui organise les paysages en sous-unités distinctes, avec Hell-Bourg au sud, Grand Ilet au nord, Salazie à l'est qui commande l'exutoire magnifique du cirque par la rivière du Mât.
La crête des Calumets, vue de Grand Place /Cayenne
La crête des Calumets avec La Nouvelle, vue depuis les pentes du col du Taïbit
Le canyon de la rivière des Galets, partie ouest du cirque de Mafate ; vue des environs de Cayenne
Le Piton Cabris, qui commande la partie nord du cirque de Mafate
A Mafate enfin, c'est la Crête des Calumets, découpée entre le Piton des Calumets et le Morne de Fourche, qui sépare le cirque entre le sud (Roche Plate, la Nouvelle, Marla) et le nord (Grand Place, Ilet à Bourse, Ilet à Malheur, Aurère). Quant à la Rivière des Galets dans la partie Ouest, elle constitue un troisième ensemble en formant un imposant et austère canyon minéral au pied du vertigineux rempart du Maïdo/Grand Bénare. Mais, dans la partie nord, d'autres crêtes complexifient le découpage : la crête des Orangers, en contrebas du Maïdo, sépare l'Ilet du même nom du restant du cirque ; les crêtes d'Aurère et de la Marianne découpent l'aval du cirque en portes étroites avant le défilé de la rivière des Galets, l'ensemble étant couronné par le majestueux Piton Cabris, visible du littoral par l'échancrure de la rivière.
Les hautes plaines, le volcan, les calderas
Le tiers sud-est de l'île, occupé par le massif du Piton de la Fournaise, n'offre pas la même configuration. Il propose de nouvelles formes de reliefs, moins attaquées par l'érosion. Complémentaires aux trois grands cirques, elles font une part de la diversité de l'île.
A la couture entre les deux volcans, deux « plaines » d'altitude offrent de surprenants paysages presque plats : la plaine des Cafres et la plaine des Palmistes.
La plaine des Cafres
La Plaine des Cafres, à 1 600 m d'altitude, et la Plaine des Palmistes en contrebas du rempart de Bellevue, à 900/1200m d'altitude. La Plaine des Cafres, bien aplanie, couverte de pâtures et de landes où l'ajonc d'Europe s'est étendu, ponctuellement boursouflée par de multiples petits cônes volcaniques, balayée par les nuages qui la rendent souvent irréelle, mystérieuse et plus grande qu'elle n'est en réalité, compose sans doute un des paysages les plus originaux de l'île, fragile en n'étant pas incluse dans le périmètre du Parc National.
La plaine des Palmistes
La Plaine des Palmistes, cernée par les reliefs au nord, à l'ouest et au sud, s'ouvre vers l'est sur les pentes qui dominent Saint-Benoît. Elle est occupée par le bourg de Plaine-des-Palmistes, étiré en tous sens le long du carroyage militaire qui lui a donné naissance. Ce sont d'abord ces perspectives sur les reliefs des rebords de la plaine, que composent les lignes devenues routes et rues, qui font la qualité du paysage de la Plaine des Palmistes.
La rivière des Remparts, vue depuis Notre-Dame-de-la-Paix
Le rebord de la plaine des Sables et les coulées de lave pétrifiées dans la caldera de la rivière des Remparts
Les anciennes calderas du Piton de la Fournaise, reprises par l'érosion puissante liée à l'abondance des précipitations à l'est de l'île, sont aujourd'hui devenues de profondes ravines, plus vastes encore que celles des pentes extérieures du Piton des Neiges : rivière des Remparts, rivière Langevin et ravine basse Vallée vers le sud, rivière de l'Est (vers l'est comme son nom l'indique). A nouveau des contrastes puissants se dessinent à l'amont de ces vallées : elles se creusent brutalement en remparts vertigineusement verticaux à partir de plaines perchées presque horizontales, sans coup férir : plaine des Remparts, où la végétation commence à laisser place aux basaltes et scories à nu, et plaine des Sables, paysage lunaire de sables et scories rougeoyants, sur le chemin du volcan.
Le cône du volcan, isolé dans l’enclos Fouqué, flanqué du Formica Leo
Le volcan lui-même se dessine comme un cône massif, dressé de façon isolée dans l'Enclos Fouqué par la caldera actuelle des remparts de Bois Blanc et du Tremblet, tournés en fer à cheval vers l'océan.
La route du volcan
Ainsi, par ce jeu de plaines successives et de calderas, le volcan actif de la Réunion jouit d'une incomparable mise en scène dans son approche, qui contribue autant au plaisir de la découverte que le piton de la Fournaise lui-même, point d'orgue d'une composition paysagère jouée dès la Plaine des Cafres et composée autour de la fameuse route du volcan. Longtemps d'ailleurs, gagner le massif volcanique actif représentait une véritable expédition : on parlait de « voyage au Volcan ».
Les paysages d’érosion et les risques
Le cirque de Mafate raviné par la rivière des Galets ; vue entre Roche Plate et Cayenne
Erosion sur les pentes de Salazie, partiellement reconquise par le filao
Erosion à vif, cirque de Mafate
La puissance des reliefs, l'instabilité des sols et l'importance des pluies cycloniques constituent ensemble un cocktail explosif, ou plutôt … érosif, facteur de risques importants. On considère que La Réunion est un des secteurs de la terre les plus soumis à l'érosion. Elle se lit particulièrement dans les cirques, où la végétation ne parvient pas à couvrir les flancs râpeux et minéraux qui glissent et s'éboulent de façon récurrente ; ceci même et surtout à Salazie, réputé pour être le cirque le plus vert.
Le large lit de la rivière des Galets, exutoire de Mafate
Elle se lit aussi sur le littoral par les dimensions imposantes des exutoires des cirques, où les lits majeurs, tapissés de blocs et de galets basaltiques, dépassent le kilomètre de largeur quand les lits mineurs, hors pluie cyclonique, se réduisent à un mince filet d'eau perdu dans un désert de roches.
Les filets sur les falaises de la Montagne, route du Littoral
Elle est révélée enfin par les aménagements coûteux qu'elle impose, notamment pour sécuriser les voies de circulation : murs de gabions, filets métalliques gigantesques couvrant les falaises. En un siècle, deux éboulements catastrophiques ont plus particulièrement marqué les mémoires : celui de Grand Sable en 1875, et celui de Mahavel en 1965 (18 millions de M3). Plus récemment, ceux qui affectent obstinément la route du Littoral entre La Possession et Saint-Denis ont provoqué la mort de 21 personnes en 30 ans (1976-2006) ; en particulier celui du 24 mars 2006 (20 000 m3, 2 morts), a cruellement rappelé les limites des coûteux filets de protection, et relancé les recherches et choix d'alternatives pour garantir cette liaison vitale de façon plus sûre (voir le chapitre « les paysages, l'urbanisation et les infrastructures »).
Filao déchaussé à l’Ermitage-les-Bains, témoin de l’érosion de la plage
Enfin il faut évoquer l'érosion littorale, facilement lisible par le déchaussement des filaos, dont les racines deviennent bizarrement aériennes avec la disparition du sable (voir le chapitre « les paysages et l'eau »).
Les paysages et les climats
Conjuguées à l'importance des reliefs, les données climatiques contribuent de façon majeure à la diversité et aux contrastes de l'île.
Côte au vent, côte sous le vent : l’importance des vents et de la pluie dans le façonnage des paysages de l’île
Une côte au vent très arrosée et une côte sous le vent très sèche
L’arrivée des nuages sur les hauts de la rivière des Remparts, fin de matinée
C'est par une différence marquée entre une côte au vent très arrosée et une côte sous le vent très sèche que se façonnent des paysages étonnamment contrastés à La Réunion. Aussi est-il nécessaire de comprendre l'origine de ces précipitations si irrégulières dans l'espace, liées au jeu des vents. Cette compréhension est d'autant plus nécessaire à La Réunion que le jeu des nuages est souvent un vrai spectacle qui fait indissociablement partie des paysages que l'on observe.
Les trois types de vents : les brises de mer/terre, les brises de pentes et les alizés - Schéma réalisé d’après (…)
Trois types de vents conjuguent leur énergie pour répartir de façon très inégale les précipitations : les brises de mer/terre, les brises de pentes et les alizés.Les brises de mer et de terre se forment par différence de température entre l'océan et la terre. Le jour, la terre se réchauffe davantage que l'océan, provoquant une brise de mer, c'est-à-dire une brise soufflant de la mer vers la terre. La nuit, la terre se refroidit plus vite que l'océan : c'est alors une brise de terre qui souffle (de la terre vers la mer).
Les brises de pente sont, quant à elles, provoquées par le relief. Elles remontent les pentes en journée ; la nuit, l'air qui se refroidit au contact du sol redescend par simple gravitation et s'écoule vers la côte. Brises « de mer » ou « de terre » et « brises de pente » jouent dans le même sens, conjuguant leurs effets.
Aux brises s'ajoutent les alizés. Dans l'hémisphère sud, ils soufflent d'est en ouest, courent longuement sur la surface de l'Océan Indien entre l'Australie et l'Afrique. Lorsqu'ils atteignent la côte est de La Réunion, ils sont chargés d'une humidité venue de l'évaporation des eaux de l'océan. En rencontrant les hauts reliefs de la Réunion, l'humidité se refroidit, se condense et génère la formation des nuages.
La conjugaison de ces trois types de vents organise de façon caractéristique le cycle de l'eau sur une journée à La Réunion :- en cours de matinée, la terre se réchauffe avec le soleil qui monte ; la brise de mer et les brises de pente montantes s'établissent et se renforcent progressivement ; l'alizé s'accélère sur la côte est exposée au vent ; les formations nuageuses se développent et se concentrent sur le relief ; suivant l'instabilité de la masse d'air, ces nuages pourront ou non occasionner des averses dans les hauts ;
- dans l'après-midi, poussés par le vent qui souffle en altitude, les nuages ont tendance à déborder, éventuellement accompagnés d'averses, vers le littoral sous le vent qui bénéficiait jusqu'alors de conditions privilégiées ; le spectacle des nuages qui franchissent les crêtes et basculent en grandes nappes blanches dans les cirques est caractéristiques des paysages Réunionnais ; à partir de 900 m d'altitude, les pentes hautes se retrouvent encapuchonnées de nuages, masquant les paysages des hauts aux yeux des visiteurs insuffisamment matinaux ;
- en fin d'après-midi et soirée, le sens des brises s'inverse : la brise de terre redevient dominante ;
- la nuit, la brise de terre et les brises de pente descendantes tendent à rejeter plus au large le flux d'alizé ; pour une île elliptique comme La Réunion, l'ensemble a tendance à créer une large circulation divergente et subsidente qui, en situation non perturbée, favorise la dissipation des nuages ; c'est la raison pour laquelle les débuts de matinée sont souvent ensoleillés et lumineux à la Réunion, magnifiant les paysages qui s'offrent dans toute leur étendue ;
- en fin de nuit et début de journée, les brises de terre disparaissent ; les brises de mer reprennent ; l'alizé peut de nouveau gagner la côte au vent de l'île, et le cycle des nuages et des pluies recommence.
Des différences de précipitations caricaturales entre Est et Ouest
Au final, la côte au vent, à l'Est, directement soumise aux alizés, présente une pluviométrie très importante quelle que soit la saison. La côte sous le vent, à l'Ouest, protégée par les reliefs de l'île, est à l'abri des alizés. Le climat y est beaucoup moins humide, les régimes de brise sont prédominants. Entre Est et Ouest, les différences de précipitations sont caricaturales. Sur un mois plusieurs mètres d'eau peuvent tomber sur la côte Est alors que pas une goutte ne tombera sur la côte Ouest.
Le site impressionnant de Takamaka, qui bat les records mondiaux de pluie
A l'est, deux zones sont particulièrement arrosées : la région de Takamaka (7 m/an) et tout l'est du volcan ou l'on enregistre les valeurs les plus élevées (plus de 11 m/an sur les Hauts de Sainte-Rose). L'île possède tous les records mondiaux de pluies pour les périodes comprises entre 12 heures et quinze jours. Par exemple, lors du cyclone Hyacinthe en janvier 1980, il est tombé :
1,17 m d'eau en 12 heures à Grand Ilet le 26,
6,08 m d'eau en 15 jours à Commerson entre le 14 et le 28.
Les couleurs chaudes de la côte sous le vent, ici à Piton Saint-Leu
La savane en train de « s’armer », photo octobre 2006
A l'ouest, c'est sur le littoral qu'il pleut le moins, en particulier autour de Saint-Gilles-les-Bains (525 mm/an). La pluie peut être absente pendant plusieurs mois et tomber ensuite en abondance sur une courte période à la suite du passage d'une dépression ou d'un cyclone. La rareté de ces précipitations a donné lieu à un milieu sec qui enrichit le kaléidoscope des paysages de l'île : la forêt sèche à benjoins et lataniers, à peu près disparue, et la savane, entretenue par le pâturage et les feux ; c'est un paysage fragile, en voie de disparition du fait de l'urbanisation, de l'irrigation des terres et de la baisse de l'élevage provoquant des enfrichements de Prosopis ou Zepinard (Prosopis juliflora. Cet arbuste, originaire du Mexique et du nord de l'Amérique du Sud est maintenant naturalisé dans nombre de zones sèches des régions tropicales. Il a été introduit à la Réunion depuis Hawaii en 1913 pour nourrir le bétail avec les gousses. Ses rameaux sont garnis d'épines foliaires redoutables). La pluviosité augmente au fur et à mesure que l'on s'élève. On note ainsi, par exemple, un petit noyau pluvieux au niveau de la plaine des Makes (2 m/an).
Pour un secteur donné, quand on s'élève du littoral au sommet de l'île, les foyers de précipitations les plus intenses sur l'île, se rencontrent aux altitudes intermédiaires, entre 1000 et 2000 mètres : Plaines des Makes, Petite France, Takamaka, Hauts de Sainte-Rose et Forêt de Saint-Philippe. Ils favorisent le développement de la forêt.
La plage de l’Ermitage-les-Bains, abritée par le récif frangeant
Le littoral rocheux sauvage vers Grand-Bois, côte sud
L'écart climatique entre l'est et l'ouest contribue de façon essentielle à la diversité contrastée des paysages littoraux ; il explique pourquoi le « lagon » et les plages de sable blanc, issues des coraux du récif frangeant, se concentrent à l'ouest : il faut des conditions climatiques précises pour que le corail se développe, qu'il trouve sur la côte ouest ensoleillée et plus abritée ; à l'est, les vagues atteignent directement la côte, offrant un spectacle de jaillissement d'écume plus sauvage et non moins beau : radicalement contrasté.
Depuis le XXe siècle et le développement du tourisme balnéaire, le soleil de l'ouest – couplé à la présence des plages baignables – explique largement pourquoi le poids de population a basculé en faveur de la côte occidentale de l'île, après des premiers développements plutôt concentrés au nord-est plus fertile. Les aménagements : création du Port, irrigation du littoral Ouest (ILO), route des Tamarins, futur Tram Train, …, renforcent cet héliotropisme (voir le chapitre « Les paysages, l'urbanisation et les infrastructures »).
Le soleil et la nébulosité : paysages des hauts, paysages des bas
Le soleil et la nébulosité : paysages des hauts, paysages des bas
Au-dessus de la mer de nuages, route du Volcan
Nuages sur les flancs de la rivière des Remparts
La nébulosité contribue à différencier les paysages des hauts, des mi-pentes et des bas. L'importance des nuages accrochés aux reliefs de l'île confère une part de la personnalité des paysages des hauts, lumineux en début de matinée puis voilés dans les nuages le restant de la journée. Le contraste climatique radical entre ces heures du jour donnent une valeur toute particulière aux lumières du matin, d'autant plus belles et appréciables qu'on les sait fugaces. Dans les hauts de La Réunion, le grand paysage appartient à celui qui se lève tôt.
Forêt de Bébour, forêt des nuages
Mais la nébulosité est créatrice d'ambiances bien particulières qui font une part de la valeur des paysages de forêt, notamment de forêt primaire. On parle d'ailleurs joliment de « forêts des nuages ». La brume qui les nimbe contribue à la création d'un paysage mystérieux, paradis végétal foisonnant et évanescent, qu'elle rend possible par l'humidité qu'elle distille délicatement, et dont témoignent les plantes épiphytes : un paysage fantastique de début du monde se devine, un voyage dans le temps autant que dans l'espace.
La barrière nuageuse des hauts en fin de journée, vue depuis le littoral de Saint-Louis
Habituellement le plafond nuageux s'établit environ à 900m d'altitude, marquant la limite entre hauts et mi-pentes ; l'ombre portée du plafond nuageux sur les pentes contribue à distinguer les mi-pentes des bas : le littoral reste ensoleillé, alors que les mi-pentes se retrouvent à l'ombre des nuages ; sur l'ouest, il faut attendre le soir, avec un soleil bas sur l'horizon, pour que les mi-pentes soient à nouveau caressées par le soleil.
Arc-en-ciel au contact du soleil et des nuages, dans les mi-pentes de l’ouest
Arc-en-ciel vers Grand Bois
Arc-en-ciel sur les pentes de Saint-Pierre
Le jeu permanent des nuages et du soleil fait de La Réunion un haut-lieu d'arcs-en-ciels. Ils contribuent fugacement mais fréquemment à la beauté des paysages, apparitions quelque peu mystérieuses et surnaturelles dans leur géométrie ronde parfaite.
Plus anecdotique mais symptomatique : ce jeu rendent indispensables les parapluies qui, selon l'humeur du temps, protégeront de la pluie ou du soleil. Leur floraison colorée fait partie du paysage habité et vivant de La Réunion.
Les reliefs, la température et l’étagement des paysages
La décroissance des températures avec l'altitude favorise la diversité des paysages
Le climat de La Réunion est caractérisé par la douceur de ses températures. La position géographique de l'île, ni trop près ni trop loin de l'équateur, et surtout le rôle régulateur de l'océan et des alizés, sont les principales causes de cette douceur.
Aussi l'amplitude thermique est assez faible entre la saison fraîche, de mai à octobre, et la saison chaude, de novembre à avril : elle n'excède pas 10°C pour un lieu donné.
C'est surtout la décroissance des températures avec l'altitude qui favorise la diversité des paysages. Le long des pentes de l'île, le gradient thermique varie de -0,7 à -0,8°C pour 100 m. Comme le relief est très accentué sur l'île, les isothermes suivent le plus souvent la carte hypsométrique, participant, avec les précipitations, à l'organisation étagée des paysages, en strates altitudinales successives.
Période sèche et fraîche, période chaude et humide : les saisons et les paysages
Période sèche et fraîche, période chaude et humide : les saisons et les paysages
La Réunion a la chance de bénéficier d'une saisonnalité, qui rythme le cycle annuel entre la saison des pluies, de janvier à mars, et la saison sèche de mai à novembre. Les mois de décembre et d'avril, également bien arrosés, sont intermédiaires.
Le parc boisé du Port en hiver
Savane du Cap La Houssaye, de couleur bronze en avril
Cette alternance des saisons des pluies et des saisons sèches anime les paysages de l'île. Elle est particulièrement sensible sur l'ouest, où une partie de la végétation des bas perd ses feuilles ou jaunit en saison sèche, marquant l'hiver austral : c'est le cas par exemple d'Albizzia lebbeck, le Bois Noir, effeuillé et couvert de gousses sèches et jaunes en hiver, puis vert tendre en été ; du flamboyant, qui fleurit rouge de façon spectaculaire à Noël, en début de saison des pluies, lorsque ses feuilles commencent à repousser ; des fourrés épineux de Prosopis ou zépinards, également caducs, de la graminée Heteropogon contortus, qui couvre les étendues de savane, variant du vert tendre pendant la saison des pluies à l'orangé flamboyant en pleine saison sèche, en passant par le bronze.
Platanes hivernaux le long de la RN 3, Plaine des Palmistes
On lit bien également les changements de saison en altitude, lorsque des plantes caduques de climat tempéré, introduites, parviennent à boucler leur cycle de quatre saisons : les platanes des bords de route, les hortensias des jardins, etc.
Dans l'Est, les saisons sont tranchées de façon moins sensible. Même si l'on parle de saison « sèche », il pleut tout de même plus de 700 mm sur le volcan au cours du mois le moins arrosé : soit plus qu'à Paris en une année! En revanche les saisons des fruits contribuent à rythmer agréablement le cours du temps : les letchis de Noël, les goyaviers de juin, etc.
Le manteau riche et complexe de la canne en août, avec la toile de fond du Piton des Neiges. Vue depuis la RN 2 sur les pentes de Sainte-Suzanne/Saint-André
Mais partout la canne rythme les saisons et contribue aux variations des paysages dans le temps : champs blafards en fin de saison sèche, après la coupe, bien vite reverdis aux premières pluies ; champs pleins et verts lumineux tout le reste de l'année, laissant des vues dégagées en début de pousse, puis noyant l'observateur lorsqu'elle atteint sa maturité en fin de saison des pluies ; champs allumés par la soie mauve des fleurs qui accroche magnifiquement la lumière du soleil, … . L'étalement de la saison de la coupe, de juillet à novembre, contribue à enrichir les paysages en faisant se côtoyer des champs d'aspect divers et bigarrés.
Le régime cyclonique, facteur limitant pour la qualité paysagère de l’île
Globalement, par les destructions qu'il opère, le régime cyclonique de la Réunion, est un facteur limitant de la richesse paysagère de l'île. Outre les dégâts lisibles directement après son passage sur le bâti, le végétal et les infrastructures, il a deux conséquences plus pérennes qui expliquent une partie de la configuration particulière des paysages de l'île :
- des ravines souvent minérales d'aspect : les cyclones contribuent à la très grande variabilité des précipitations dans le temps ; ils expliquent ces déconcertants paysages de ravines, à la fois énormes par leurs dimensions et ridicules par le mince filet d'eau qui s'y écoule la plupart du temps, voire par l'absence totale d'eau apparente. Il faut avoir vu les crues impressionnantes remplir d'eau furieuse ces vastes étendues minérales pour comprendre leur importance. Hors de ces périodes, très courtes dans le temps, des paysages minéraux démesurés de gros blocs de galets gris s'étendent ainsi en fond de ravines, notamment sur le littoral peu arrosé où les arbres, faute d'eau, ne parviennent pas à accompagner les ravines jusqu'à leur embouchure : rivière des Galets, Bras de Cilaos et rivière Saint-Etienne, rivière du Mât, etc. ;
- des forêts et des parcs sans grands arbres : globalement, les arbres à la Réunion restent de hauteurs modestes, n'atteignant jamais l'ampleur des arbres de forêts tropicales ou équatoriales épargnées par les vents cycloniques destructeurs ; si certains parviennent malgré tout à atteindre des tailles respectables (par exemple les araucarias des parcs), ils vieillissent mal, agressés par la violence des vents jusqu'à casser ou être « déplumés » ;
Grands Bois Noirs, parc de la Providence à Saint-Denis (ONF) : une situation fraîche et très abritée en pied de pente, qui permet la croissance de grands arbres, situation rarissime à La Réunion
il faut des situations très abritées, rares dans l'île, pour que de grands arbres soient perceptibles ; c'est notamment le cas des parcs comme celui de la Providence à Saint-Denis (sièges de l'ONF, DIREN, DAF), où de remarquables bois noirs (Albizzia lebeck) s'épanouissent dans toute leur majesté ; au final, dans les bas, ce sont les cocotiers qui dominent la strate arborée de leurs élégantes silhouettes, fines et souples, bien adaptées aux cyclones ; dans les hauts, les tamarins enchevêtrés les uns aux autres, mêlés aux bois de couleurs et colonisés par les épiphytes, composent ce paysage très particulier de la forêt primaire de Bébour-Bélouve, à la fois basse et dense ;
Les cyclones et les grosses dépressions sont destructeurs par la puissance des vents et parfois aussi par l'importance des précipitations. Ces pluies torrentielles provoquent inondations, coulées de boue et glissements de terrains. Elles sont renforcées par la force du relief. A La Réunion, cet aspect donne une importance considérable aux pluies qui atteignent tous les records. Les cyclones sculptent ainsi les spectaculaires reliefs ruiniformes de l'île, et les pluies sont leur bras armé.
Les paysages et l’eau douce
Les paysages et l'eau
La valeur paysagère des ravines et de l’eau douce
La ravine, une invitation à la promenade dans un havre de fraîcheur
Morphologiquement, les 750 ravines de l’île sont plutôt un facteur d’unité entre les paysages des pentes de l’île : on les trouve partout. Il n’y a guère que les flancs jeunes du volcan actif de la Fournaise, entre Sainte-Rose et Saint-Philippe, qui n’apparaissent pas scarifiés par les profonds sillons des ravines. Même sans eau (il n’y a qu’une vingtaine de ravines en eau permanente), elles composent parmi les paysages les plus précieux de l’île : profondeur des gorges, fraîcheur, ombrage, chaos rocheux, végétation arborée, s’ajoutent à leur valeur écologique de refuge d’espèces végétales et animales rares et menacées.
La ravine Saint-Gilles au cœur de la station balnéaire : un parc naturel urbain
La rivière Sainte-Suzanne, rare paysage de rivière calme à La Réunion
Des embouchures de ravines soigneusement aménagées pour la pêche aux bichiques
L’eau douce des ravines, toujours merveilleusement attractive. Ici baignade au Moulin Kader (Tour des Roches, étang Saint-Paul)
Cette valeur est d’autant plus grande que, débouchant par définition sur le littoral, les ravines offrent leurs espaces de nature au cœur des secteurs les plus densément habités de l’île : c’est ainsi qu’elles deviennent de véritables jardins naturels accessibles aux habitants, dont la valeur est souvent renforcée lorsqu’elles sont cultivées à proximité de leur embouchure.
L’accessibilité des embouchures de ravines et leur qualité paysagère et écologique apparaissent ainsi comme un enjeu fort de l’aménagement qualitatif du littoral. S’y ajoute l’importance des préservations et des qualités des vues sur ces ravines depuis le littoral.
Plus haut sur les pentes, les ravines creusées en gorges deviennent peu accessibles, et finalement discrètes malgré leurs dimensions parfois spectaculaires, en étant cachées en creux. Ce sont les forêts linéaires qui accompagnent leurs abords, qui peuvent permettre de mieux les préserver et les mettre en valeur, en jouant le rôle d’espaces-tampons protecteurs
Pique-nique au Bassin la Paix
La présence permanente de l'eau douce dans les ravines, rare sur l'ensemble de La Réunion, contribue à différencier les paysages de l'est et du sud, de ceux de l'ouest. Si l'ouest a les plages, l'est a l'eau douce. Or l'eau douce est un puissant facteur d'attraction des paysages ; les Réunionnais apprécient les pique-niques, les bains, la pêche dans l'ambiance fraîche des ravines. Avec le développement des sports d'eau vive, les rivières sont devenues également attractives pour les loisirs et le tourisme sportifs : canyoning, rafting, escalade. Trou blanc,Fleur jaune, Bras rouge, rivières des Roches, Sainte-Suzanne, ravine Grand-mère, ravine Blanche, Takamaka, le Trou de Fer,…, sont quelques noms de descentes mythiques locales.
Le Voile de la Mariée, Salazie
Cascade de la Grande Ravine à Grand Galet (rivière Langevin)
La rivière des Galets à sec
Plus ingrates sont les trois rivières exutoires des cirques à leur débouché sur la plaine littorale : le lit majeur dessine de vastes lits de galets, secs et déserts, sur plusieurs centaines de mètres de large, alors que le lit mineur, en période d’étiage, se réduit à un mince filet d’eau.
La rareté des lacs et étangs
L’étang du Gol
Les reliefs puissants de la Réunion laissent peu de place à des plaines où pourraient se développer des lacs et des zones humides. Il faut l’action des courants marins dressant des cordons littoraux pour que les eaux soient bloquées dans leur course à l’océan, jusqu’à former des étangs : l’étang de Saint-Paul, l’étang du Gol, l’étang de Bois Rouge, chacun proche des cônes de déjection des trois cirques sur le littoral. L’importance des apports d’alluvions, aggravée par le déboisement et la minéralisation croissante des sols à l’amont, rend ces étangs fragiles, largement atterris, où l’eau libre reste peu présente visuellement dans le paysage. La survie de ces précieuses zones humides, sources de richesse biologique et de diversité paysagère, dépend de l’efficacité de leur gestion, au-delà de leur protection.
L’étang de Cilaos
Quelques reliefs particuliers ont réussi néanmoins à bloquer l’eau de pluie en petits lacs :
- le Grand Etang, sur la côte est, est un lac de barrage volcanique, très variable dans ses dimensions selon les saisons sèche et humide ;
- le lac du Piton de l’Eau est le seul lac de cratère de l’île ;
- les mares des cirques (Mare à Poules d’Eau à Salazie, mares de Cilaos), occupent de petites dépressions.
La gestion de l’eau et les paysages
Travaux d’irrigation vers Grande Ravine en 2005
Champs de canne récemment irrigués sur les pentes de l’Ermitage, soulignés par les andains de pierres de basalte
A La Réunion, la gestion de l'eau s'avère délicate du fait d'une répartition naturelle très irrégulière, dans l'espace comme dans le temps :
- irrégulière entre est et ouest de l'île : pluviométrie moyenne à l'Est : 4 900 mm ; à l'Ouest : 1 300 mm,
- irrégulière entre les Hauts et les Bas : une eau de surface intermittente dans les Hauts et des nappes littorales pérennes dans les Bas,
- irrégulière entre les saisons : alternance de saison sèche et de saison des pluies.
Cette inégale répartition des précipitations dans l'île a entraîné, depuis le XVIIIe siècle, des travaux hydrauliques pour corriger les déséquilibres. Avec l'ère du sucre, des canaux d'irrigation gravitaires ont été créés : dérivation de la ravine à Marquet à La Possession en 1797, dérivation de la rivière Saint-Etienne en 1816, creusement du canal Lemarchand à Savanna en 1829, dérivation de la rivière du Mât en 1860, pour l'irrigation de la plaine du Champ Borne, qui devenait maraîchère. Les plus connus de ces canaux sont ceux de la ravine Saint-Gilles, qui ont un temps été parcourables à pied de façon ludique pour rejoindre les bassins (Bassin des Aigrettes, Bassin Malheur, Bassin Bleu), tantôt suspendus en bord de falaise, tantôt creusés en tunnels. Ils sont aujourd'hui fermés au public. Les anciens canaux constituent aujourd'hui de discrètes traces dans le paysage, rarement remises en valeur malgré la qualité des réalisations et les parcours confortables, quasi-horizontaux, qu'ils offrent.
A partir des années 1960-1970, l'irrigation devient majeure dans la politique agricole. Elle s'opère désormais par des canalisations enterrées. Ce sont moins les ouvrages qui marquent le paysage que les effets même de l'irrigation, capable de transformer des pans entiers de territoires, grâce à de grands périmètres à vocation régionale : Bras de la Plaine 5 500 ha, Champ-Borne 1 800 ha, Bras de Cilaos 3 400 ha.
A l'heure actuelle c'est l'Ouest qui, depuis quelques années, vit une profonde transformation de ses paysages avec l'irrigation des terres des mi-pentes et des bas. Les étendues sèches de savane plus ou moins arbustive cèdent peu à peu la place aux vertes étendues de canne à sucre. Le Conseil Général, avec des financements européens, met en œuvre l'ambitieux
projet ILO (irrigation du littoral ouest) de transfert des eaux pour irriguer l'ouest.
Cascade de Bassin La Paix
Cascade Niagara, Sainte-Suzanne
Aux ravines s’ajoutent les cascades pour magnifier les paysages des remparts et contribuer au mythe de l’Eden vert diffusé par les cartes postales, guides et livres touristiques : même si elles ne sont pas permanentes, les grandes cascades blanches tombant des hauts remparts verts contribuent de façon essentielle à la valeur et à la singularité remarquables des paysages du cirque de Salazie, notamment de son entrée par la RD 48 : rocher du Pisse-en-l’air, cascade du Bras de Caverne, cascade du Voile de la Mariée, auxquelles s’ajoute le Trou de Fer.
Les paysages et le littoral
Un héritage maritime
Bornage
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les chaloupes, les goélettes, les chasse-marées, les lougres et les bricks transportent les hommes et les marchandises par voie de mer, tout autour de La Réunion : c'est le « bornage », forme de cabotage de quartier à quartier, qui contribue à l'animation du paysage littoral de l'île, ainsi qu'à son aménagement. Cet usage permanent de la mer pour se déplacer influence la perception des paysages de l'île, dont les pentes sont vues à distance comme en témoignent quelques représentations anciennes de paysages (voir « les fondements culturels des paysages de La Réunion » dans le présent Atlas).
Au XVIIIe siècle, le café et les vivres sont embarqués depuis les différents quartiers et les bateaux convergent vers Saint-Denis, Saint-Paul et Saint-Pierre pour être embarqués sur des navires de plus fort tonnage qui les exportent. Au XIXe siècle, c'est le sucre qui est ainsi transporté, tandis que les importations, débarquées surtout à Saint-Denis, sont ensuite distribuées partout dans l'île grâce au bornage.
Marines, ponts-débarcadères, phares et ports
Remontée de canot dans une marine. Dessin B. Folléa - agence Folléa-Gautier
La pesée du poisson, marine d’Anse des Cascades. Dessin B. Folléa - agence Folléa-Gautier
Le phare de Sainte-Suzanne
Marine d’Anse des Cascades
Les salines de Pointe-au-Sel, avec Stella Matutina au loin
Jusqu’au XIXe siècle, le littoral, peu accueillant du fait de la force de la mer et de l’absence de rade véritablement protectrice pour les bateaux, oblige à un accostage à même la plage, et dans les endroits les plus faciles d’accès pour accoster : les marines. Ces modestes marines, où une rampe permet aux pêcheurs de tirer les canots, font toujours partie du paysage littoral aujourd’hui et contribuent à son charme et son animation.
Dès 1738 toutefois, le gouverneur Mahé de Labourdonnais fait construire à Saint-Denis un « pont volant » (suspendu par deux grandes fourches) afin d’éviter aux chaloupes le franchissement de la barre qui se brise sur les galets. Ce système se développe au XIXe siècle avec le besoin grandissant de transport, notamment pour la canne et le sucre, et les ponts de débarcadères se multiplient partout autour de l’île, construits le plus souvent en bois.
Un phare est érigé à Sainte-Suzanne en 1845-46, toujours en place aujourd’hui, tandis que celui du Port a disparu à la fin des années 1970 du fait de l’érosion du trait de côte.
A proximité des marines et des ponts, des bâtiments d’entrepôts fleurissent sur le littoral. Certains existent encore aujourd’hui, marquant par exemple le paysage urbain des basses pentes littorales de Saint-Denis, jusqu’à la Préfecture, autrefois bureau des Messageries Maritimes.
La construction du Port de la Pointe des Galets, à partir des années 1880, modifie l’animation du paysage littoral par la navigation, drainant progressivement la totalité du trafic maritime de l’île, tandis que le train, puis le camion font progressivement disparaître le bornage.
Aujourd’hui une île assez peu maritime ?
Ouverture sur l’abstraction bleue de l’océan (Les Avirons)
Toile de fond bleue de l’océan, au large de Saint-Pierre
La disparition du bornage a profondément modifié la perception et la représentation des paysages littoraux de La Réunion. Aujourd’hui, l’île n’apparaît pas aujourd’hui comme très… maritime. Et globalement le paysage de l’océan, très perceptible par le fait des planèzes inclinées vers lui, apparaît comme une abstraction, une grande page au bleu virginal, à peine troublée par la silhouette d’un cargo par-ci par-là. Outre l’abandon de la mer comme voie de transport entre quartiers, plusieurs facteurs naturels expliquent la dimension surtout terrienne de l’île :
- elle est isolée dans l'Océan Indien, sans système d'archipels qui favoriserait le cabotage ;
- l'Océan reste assez peu accueillant, sujet à des houles amples ou fortes, voire à des tempêtes et à des cyclones dévastateurs. Le « lagon » protecteur reste embryonnaire ; autant de facteurs limitant les usages sur l'eau ; les bateaux, y compris de plaisance restent rares ;
- l'absence de hauts fonds limite la présence de poisson en abondance, surtout pêché autour des points artificiels que sont les D.C.P. (dispositifs de concentration des poissons) ; la pêche et l'activité des bateaux ou des ports qui y est liée reste ainsi limitée ;
- l'île est globalement ronde, avec des baies et des caps peu marqués, des ports naturels inexistants ; par ailleurs les marées restent à peu près insensibles ; cette géographie littorale simple limite les échanges entre terre et mer, restreint les possibilités d'appropriation physique et visuelle du littoral ;
- enfin l'océan ne sent pas l'iode et les oiseaux marins, magnifiquement représentés par les pailles-en-queue, sont rares ou nocturnes, leur discrétion contribuant au relatif effacement de la perception de la mer.
La marine d’Anse des Cascades
Pour toutes ces raisons, les paysages de l'île vus depuis l'Océan apparaissent à peu près effacés de la mémoire collective ; c'est une perception historique, datant de l'époque antérieure à l'avion, où toutes les arrivées et tous les départs s'effectuaient par bateau, et antérieures au tout-voiture, lorsque les chaloupes, les gabares et les goélettes assuraient une part des déplacements.
Pêcheurs à la marine Langevin
Nouvel appontement de Saint-Paul, en phase travaux
Surf à Saint-Gilles-les-Bains
Toutefois, depuis quelques années, le renforcement du tourisme balnéaire gagne peu à peu en mer : création ou agrandissement des ports, bateaux à fonds de verre, pêche au gros, observation des baleines à bosse, observation des dauphins, …, s’ajoutent à la modeste plaisance et permettent de redécouvrir l’île vue de l’océan.
Sur la côte même, des appontements se recréent (Saint-Paul), les cales et les marines sont remises en valeur, les ports sont créés ou agrandis (Saint-Gilles, Sainte-Rose, …), tandis qu’un véritable tourisme littoral s’est développé pour découvrir les facettes contrastées des sites littoraux, à la faveur d’un tour d’île. Enfin, outre la puissance d’attraction des plages magnétisent désormais la grande majorité des Réunionnais, au point que des problèmes de surfréquentation se posent (voir Les enjeux dans la partie « Diagnostiquer et agir » du présent Atlas).
La diversité des paysages littoraux
Le tour du littoral de l’île
Les rivages de La Réunion bénéficient de conditions naturelles favorables à la diversité et aux contrastes des paysages de l’île :
La plage de sable corallien à Saint-Pierre
La Plage de Saint-Gilles-les-Bains
La côte rocheuse des Souffleurs (Saint-Leu)
Parenthèse de sable blanc dans la côte sud rocheuse : Grande Anse
- Vieux de 8 000 ans, les récifs coralliens sont très localisés, à l'Ouest de l'île, et constituent une ceinture discontinue d'une longueur totale de 25 km, répartis du Cap La Houssaye à Souris Chaude, à Saint-Leu, à Saint-Pierre, à Grande Anse et à Grand Bois : au total à peine 8% du périmètre de l'île. Leur superficie est de 12 km2 soit un rapport d'environ 0,5% de lagon pour 99,5% de terres émergées. La destruction de ces paléo-récifs coralliens donne les plages de sable blanc. Ce sont de petits espaces naturels fragiles, qui concentrent l'essentiel des pratiques touristiques et de loisirs du littoral, et de l'urbanisation balnéaire, au point que se posent aujourd'hui des problèmes de surfréquentation ;
La côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-BainsLa côte de sable noir à L’Etang-Salé-les-Bains
les sables noirs basaltiques, aux reflets verdâtres liés à la présence d'olivine, sont issus de l'érosion torrentielle et de déplacements des éléments les plus fins par les courants littoraux ; ils nappent l'essentiel de la baie de Saint-Paul ; ils forment de véritables dunes littorales à l'Etang-Salé, issues du remaniement des sables par le vent, après leur transport par la rivière Saint-Etienne et dépôt par la houle de secteur sud ; ces dunes sont aujourd'hui fixées par les plantations, notamment de filaos ;
La côte sud rocheuse, vue depuis Terre Sainte
Le Cap Méchant
La côte rocheuse de Sainte-Rose
Océan et vacoas à Vincendo
La côte rocheuse entre L’Etang-Salé-les-Bains et Saint-Louis
La côte rocheuse des Colimaçons, et l’ouvrage de franchissement de la Petite Ravine
La côte rocheuse des Souffleurs (Saint-Leu)
- les côtes rocheuses constituent de magnifiques paysages littoraux, sauvages et puissants : le basalte noir contraste avec la blancheur de l'écume et le bleu dense de l'océan, dans une vive lumière ; au sud et sud-est, entre la rivière d'Abord et la rivière de l'Est, le caractère sauvage de la côte rocheuse est renforcé par la houle et les vagues qui viennent s'y écraser ; mais les rochers marquent également les paysages de l'Ouest : autour de Saint-Leu, avec les Souffleurs et la Pointe au Sel au sud de la baie, et la pointe des Châteaux et les falaises du Rocher des Colimaçons au nord ; le Cap la Houssaye entre Saint-Paul et Boucan Canot ;
- entre Saint-Denis et La Possession, la route du Littoral permet de découvrir les hautes falaises de 150 m de hauteur qui séparent Saint-Denis de La Possession sur une quinzaine de kilomètres ; instable du fait de la superposition de couches basaltiques massives et de couches scoriacées friables, la falaise est spectaculairement nappée de filets métalliques pour protéger l'artère vitale que constitue la route du Littoral ;
Côte de galets à Manapany
La côte de galets au Port
La côte de galets à Saint-Louis
- les galets, arrachés à la montagne puis roulés par les ravines et par l'océan, se trouvent aux débouchés des principales ravines ; ils bordent notamment toute la côte nord-est, de Saint-Denis à Saint-Benoît (exutoire des grandes ravines de Saint-Denis et de Salazie par la rivière du Mât) ; mais aussi la côte de La Possession et du Port (exutoire de Mafate), la côte de Saint-Louis (exutoire de Cilaos), et plus ponctuellement celle de Manapany, de Saint-Joseph (exutoires de la Rivière des Remparts et de la Rivière Langevin). Ces galets forment des paysages littoraux plus ingrats, plus gris et plus difficiles d'appropriation. Le moindre patrimoine naturel ou culturel y prend d'autant plus de valeur : phare de Sainte-Suzanne, zone humide de Bois-Rouge, étang du Gol, marines, …
Côte mixte de rochers et sable au Cap La Houssaye
Côte mixte de Saint-Pierre/Pierrefonds : rochers, sables et galets
Côte mixte sablo-rocheuse de Grand-Bois
- enfin entre toutes ces formations, de courts paysages de transition associent les éléments entre eux : c'est le cas par exemple du Cap La Houssaye, transition entre les sables basaltiques noirs de la baie de Saint-Paul et les sables coralliens blancs de Boucan Canot, mêlés au rocher basaltique du Cap lui-même
Chacune de ces côtes est riche de sites particuliers, où se concentre la fréquentation : outre les plages baignables, les bassins de baignade artificiels, les spots de surf, les spots de plongée, les pointes et caps, les anses et baies, les ports.
Le précieux sentier littoral entre Sainte-Rose et Anse des Cascades
L'ensemble du littoral devrait progressivement devenir parcourable par un sentier littoral ; il offre déjà de belles continuités, comme au nord est de Saint-Denis à Sainte-Suzanne (21 km) ou comme à Sainte-Rose entre le port et l'anse des Cascades.
L’excessive attractivité du paysage littoral
Il a fallu l'invention du tourisme balnéaire pour que les paysages littoraux prennent toute leur attractivité. Né au XIXe siècle, il s'agit au départ d'un tourisme réservé à quelques favorisés qui viennent en villégiature à Saint-Gilles, jusqu'alors modeste village de pêcheurs sur la grande concession Desbassyns, et coupé de Saint-Paul par les falaises littorales du Cap Champagne et du Cap La Houssaye. C'est la route qui change la physionomie de Saint-Gilles, commencée par l'ingénieur Bonnin en 1863, à la fois depuis Saint-Paul et depuis Saint-Leu. Elle est suivie par le train, dont un premier tronçon est inauguré en 1882.
Jour d’affluence sur la plage de l’Hermitage-les-Bains
Le lagon à La Saline-les-Bains, sillonné par les kitesurfs
Aujourd'hui, le tourisme et les loisirs liés à la mer ont élargi leur spectre d'intérêt : baignade, mais aussi marche et vélo sur la côte, plongée et snorkling, pêche à la ligne et pêche au gros, bateaux à fond de verre, surf, planche à voile et kite surf, sans oublier le rituel pique-nique. Le littoral attire non seulement les touristes mais l'ensemble de la population de l'île. Cet attrait se concentre principalement sur les plages baignables, rares dans l'île.
L'attractivité est devenue telle que la côte, notamment la côte ouest balnéaire, est victime de surfréquentation. Cela se traduit par des problèmes multiples de circulation et de stationnement des véhicules, de dégradation et de banalisation des espaces d'accueil, d'érosion des plages, de dégradation des fonds marins et lagonaires, de pollution. Le Conservatoire du Littoral et la Loi Littoral sont des outils mis en place à peu près à temps pour éviter une urbanisation massive des côtes.
Le Conservatoire est propriétaire d'une dizaine de sites qui couvrent environ 800 ha : Chaudron, Grande Chaloupe, Rocher des Colimaçons, Pointe au Sel, Etang du Gol, Terre Rouge, Grande Anse, Anse des Cascades et Bois-Blanc. Quant à la Loi Littoral, elle a efficacement freiné le développement urbain littoral des vingt dernières années, qui s'est reporté plus à l'intérieur des terres sur les pentes.
La côte des Souffleurs, sauvage mais parasitée par l’excessive proximité au rivage de la RN1
Néanmoins les paysages littoraux s'abstraient difficilement de la présence du bâti, les pentes des planèzes étant propices à de vastes covisibilités. Aussi les espaces littoraux proprement sauvages sont-ils rares et précieux sur une côte très densément habitée. Parmi les plages coralliennes, les plus fréquentées, seule celle de Grande Anse échappe à l'omniprésence du bâti ; le long du lagon de l'Ermitage-les-Bains, les filaos peuvent faire illusion et constituent de précieux espaces tampons entre le rivage et l'urbanisation balnéaire ; la plage noire de l'Etang-Salé-les-Bains, de belle ampleur, bénéficie de vrais espaces sauvages grâce à la forêt à laquelle elle s'adosse ; parmi les côtes rocheuses, seule celle de l'est échappe à la présence continue du bâti dans le paysage ; au nord-est, les champs de canne parviennent encore à descendre jusqu'au rivage, constituant des coupures d'urbanisation indispensables ; enfin la savane du Cap La Houssaye, bien que coupée par la Route des Tamarins et mangée partiellement par des projets d'aménagement, offre de vastes espaces de respiration sur un littoral en partie déchargé du trafic de transit lié à la RN1.
Accès confidentiel et peu valorisé au littoral de Souris Chaude
La RN-1 au coeur de la station balnéaire de Boucan Canot
Outre l'urbanisation, les paysages littoraux souffrent en certains points de privatisation, et presque partout de l'intense circulation des véhicules concentrés sur les routes littorales historiques que sont les RN 1 et RN2. Sur l'Ouest, les élus sauront-ils profiter de la Route des Tamarins pour rendre la côte aux circulations douces, piétonnes et cyclables ? Des propositions ont été faites en ce sens dans le cadre de la charte paysagère du tco.
Les paysages, la forêt et les espaces naturels
Des habitats naturels organisés en fonction des conditions physiques et climatiques de l’Île :
La Réunion, par son relief très marqué et sa dissymétrie climatique, favorise une grande hétérogénéité d’habitats et ainsi une diversité de paysages. Selon la région dans laquelle on se trouve, au vent ou sous le vent, dans les bas, sur les pentes ou dans les hauts, cette diversité engendre des habitats et des paysages variés. En effet, la répartition des milieux naturels est, si l’on ne tient pas compte des milieux azonaux, conditionnée principalement par l’altitude et la situation géographique : façade « au vent » et « sous le vent ».
Les variations climatiques (pluviométrie, nébulosité, température) organisent la répartition naturelle des habitats et de la végétation en fonction de l’altitude. Cette zonation altitudinale (étudiée et bien décrite par Rivals 1952 et Cadet 1977) diffère dans chacun des domaines au vent et sous le vent.
De même, la saisonnalité participe également à la différentiation des paysages, en jouant notamment sur les couleurs des essences présentes dans ces milieux naturels. Les périodes de floraison « habillent » certains arbres (Les mahots) et donc la forêt de diverses couleurs. C’est d’ailleurs cette variation qui est à l’origine de l’appellation de certains espaces naturels de l’Île « forêt de bois de couleurs ». Par ailleurs, bien que la grande majorité des habitats de l’Île soit sempervirents on observe dans les bas de la région sous le vent une variation de teinte selon les régimes pluviométriques, passant de la savane sèche fauve à la savane verdoyante.
Tous ces facteurs créent des paysages distincts selon leur répartition géographique et à moindre mesure selon la saisonnalité.
Différenciation de l’étagement de la végétation entre façades au vent et sous le vent
Le versant au vent- Sur la côte au vent, humide et pluvieuse, l'étagement présente la succession de végétations (sempervirentes) climaciques suivante :
- Forêt tropicale humide de basse altitude (ou forêt de bois de couleurs des bas) associée au secteur chaud (mégatherme) et humide (hygrophile) des basses terres jusqu'à 800m d'altitude, encore appelé « étage mégatherme hygrophile »,
- Forêt tropicale humide de montagne (ou forêt de bois de couleurs des hauts, ou encore « forêt néphéléphile », (« forêt de nuages ») correspondant au secteur frais et très humide de la zone des nuages. Cette zone constamment saturée d'humidité atmosphérique, s'étendant jusqu'à 1900 m d'altitude, est appelée « étage mésotherme hygrophile », ou « étage mésotherme néphéléphile ». La forêt de montagne à Tamarin des hauts s'inscrit dans cette potentialité climacique mais représente un stade de substitution plus ou moins rémanent après incendie.
- Complexe altimontain de fourrés, matorrals et landes riches en éricacées ; ce complexe est associé, au-dessus de 1900 m, au secteur froid et humide des hautes altitudes de La Réunion ou « étage oligotherme hygrophile ». Dans ce secteur aux forts contrastes climatiques (variations thermiques journalières et saisonnières importantes, périodes hivernales froides, fort ensoleillement), existe une succession fine de climax étroitement liée au gradient altitudinal, et marquée par un abaissement progressif et conjoint de la végétation et des températures depuis les fourrés altimontains hauts de plusieurs mètres aux landes basses et prostrées des sommets de l'île.
Le versant sous le vent- Sur la côte sous le vent, dans l'ouest et le nord de l'île, la végétation présente un étagement similaire modulé par l'effet de fœhn qui relève les limites altitudinales des étages. Les parties basses de la côte sous le vent voient en conséquence apparaître un type de secteur climatique particulier, chaud (mégatherme), ensoleillé, plutôt sec (semi-xérophile), à caractère général subhumide et qui représente l'étage mégatherme semi-xérophile. Cet étage, en fait complexe, est le domaine de la forêt mégatherme semi-xérophile, souvent qualifiée de « forêt semi-sèche », qu'il faut comprendre comme un complexe mettant en scène des habitats de planèzes, des hauts de pente, de vires et parois rocheuses, de falaises et de pieds de falaise, d'éboulis rocheux, alliant des aspects herbacés, arbustifs et forestiers.
- Au-dessus, on retrouve la forêt tropicale humide de montagne et le complexe altimontain du versant sous le vent, semblables à ceux du versant au vent, avec cependant quelques caractères propres.
A noter également la présence localement sur l'Île de microclimats, du fait du relief important et diversifié, favorisant localement le développement de « microhabitats » qui se distinguent de l'habitat principal dans lequel ils se trouvent. Exemple de la végétation arbustive à arborée présente sur les remparts de l'enclos du volcan, alors que la végétation dominante à ce niveau est caractérisée par une végétation basse, voir inexistante d'éricacées et de poacées. Il s'agit bien souvent de végétation dite azonale.
Les grands caractères paysagers des habitats naturels de La Réunion
Les habitats naturels primaires :
On retrouve selon les étages les habitats suivants :
L’étage de Basse altitude : - La forêt semi-sèche ou forêt mégatherme semi-xérophile
- La forêt tropicale humide de basse altitude ou forêt de bois de couleurs des bas
- Les reliques de végétations littorales indigènes
Carte 3_l'étage de basse altitude
L’étage de moyenne altitude : - La forêt tropicale humide de moyenne altitude ou forêt de bois de couleurs de moyenne altitude
- Les fourrés perhumides à Pandanus de moyenne altitude
l'étage de moyenne altitude
L’étage montagnard :- La forêt tropicale humide des montagnes
- La forêt à Acacia heterophylla
- Les fourrés perhumides de montagne à Pandanus
- La végétation éricoïde sur planèze de type avoune
Carte 5_l'étage montagnard
L’étage de Haute altitude :- Les prairies humides de haute altitude
- La végétation clairsemée de hautes altitudes sur lapillis
- La Végétation éricoïde de haute altitude
- Les fourrés à Sophora denudata
Les milieux dits azonaux : - Les milieux humides
- Les coulées de lave récentes
- Les ravines.
Carte 7_Les milieux dits azonaux
La végétation semi-sèche ou forêt mégatherme semi-xérophile :
On estime qu’il ne reste plus qu’1% de cette végétation sur l’Île, principalement réfugiée sous forme de reliques sur les flancs des remparts et des grandes ravines. Cet habitat ne participe donc que très peu à la diversification des paysages naturels. La superficie d’origine est estimée à 30 000 ha et l’aire de cet écosystème devait s’étendre jusqu’à 750m d’alt., exclusivement sur la côte sous le vent et pouvait atteindre des altitudes supérieures dans les cirques de Mafate et de Cilaos. Les reliques les mieux conservées se situent principalement sur le massif de la Montagne entre Saint-Denis et la Possession et ponctuellement sur les remparts des grandes ravines menant aux cirques.
Forêt semi-sèche de la Grand Chaloupe
Les arbres endémiques caractéristiques de ce type de forêt sont pour la plupart aujourd’hui considérés comme proches de l’extinction. C’est le cas de Poupartia borbonica, Dombeya populnea, Foetidia mauritiana, Zanthoxyllum heterophyllum, ou Gastonia cutispongia. Thérésien Cadet, éminent botaniste réunionnais, considérait également que 11 espèces d’arbustes héliophiles sont rares et certaines parmi elles menacées d’extinction, lesquelles représentent près d’un tiers des espèces menacées présentes dans « Flore en détresse » (DUPONT et al., 1989) : Obetia ficifolia, Ruizia cordata, Clerodendron heterophyllum, Croton mauritianus, Tabernaemontana persicariifolia, Hibiscus columnaris, Carissa xylopicron, Abutilon exstipulare, Eugenia mespiloides, Pyrostria oleoides, Dombeya acutangula.
Il en est de même concernant certaines espèces d’orchidées (Oeoniella polystachys, par exemple) et de fougères (Microsorum punctatum) associées à cette série de végétation.
Angraecum eburneum
La forêt mégatherme hygrophile ou forêt humide de basse et moyenne altitude encore appelée forêt de bois de couleurs des bas :
La forêt de bois de couleurs des bas ne couvre que 25 000 ha du territoire contre 75 000 ha à l’origine. La forêt mégatherme hygrophile de la Réunion appartient à la « Tropical rain forest » mais elle a une structure plus simple que les forêts des régions équatoriales, avec notamment un étage dominant inférieur à 15 mètres et une distinction peu marquée entre les strates arborée et arbustive.
La canopée dense, presque sans discontinuité, est dépassée ponctuellement de quelques grands arbres pouvant mesurer près de 20 m de haut, sans que l’on puisse réellement parler d’une strate arborée supérieure. La canopée ne laisse filtrer que peu de lumière et l’ambiance lumineuse du sous-bois est assez sombre.
Les ligneux des strates arborée et arbustive sont principalement constitués d’arbres au tronc droits et élevés.
La strate herbacée est pauvre en espèces, et se compose de jeunes ligneux et de fougères.
Contrairement aux autres forêts de La Réunion, on peut y circuler sans trop de difficultés.
L’humidité constante et élevée (80 à 100 % pratiquement en permanence) qui règne dans le sous-bois favorise le développement des épiphytes : fougères, lycopodes, Orchidées, Pipéracées. Beaucoup de ces plantes profitent de l’hygrométrie ambiante pour coloniser tous les supports disponibles : troncs et branches, souches et arbres morts, rochers, dalles.
Le peuplement forestier présente une grande diversité d’arbres et d’arbustes dont près d’un tiers sont particuliers à cette forêt. Les plus représentatifs sont le Petit natte (Labourdonnaisia callophylloides) qui domine souvent, le Grand natte (Mimusops maxima), le Bois de perroquet (Cordemoya integrifolia), le Bois de pomme rouge (Syzygium cymosum), le Bois de cabri (Casearia coriacea), le Bois de goyave marron (Psiloxylon mauritianum). Les fanjans, des fougères arborescentes atteignant, 10 à 15 mètres de haut lorsque les conditions sont favorables, sont également présentes en sous bois.
Ces formations sont surtout localisées à l’est et au sud de l’île. Sur la côte au vent de Sainte Suzanne à Saint Philippe elles sont encore bien représentées de 400 à 900 m d’altitude. La forêt de Mare Longue à Saint-Philippe, une des trois réserves naturelles de l’île est une des forêts mégathermes hygrophiles la mieux préservée.
Dans l’Est, il n’en subsiste aujourd’hui que quelques centaines d’hectares, plus ou moins bien conservés, installés sur des coulées volcaniques relativement récentes de la région de Saint Philippe. Les vestiges les mieux préservés constituent la Réserve Naturelle de Mare Longue.
Sur la côte sous le vent (Saint Denis, la Possession, Saint Paul et Saint Louis), ces formations s’étagent de 600 à 1100 m mais ont considérablement diminué pour laisser place à l’agriculture. Il s’agit de formations plus basses (6-10 m), la strate arbustive étant plus dense.
Remarque : De par son activité volcanique régulière, le Piton de la Fournaise offre des conditions favorables à l’étude des successions végétales (successions primaires) qui, à partir de lave nue et totalement refroidie, donnent la forêt de bois de couleurs du type de Mare Longue. Cette évolution ne demande que 300 à 400 ans.
De nombreuses coulées d’âges différents permettent de retracer l’histoire de l’installation de la forêt.
On assiste ainsi le long de la route du Brûlé à une succession de formations naturelles d’évolution différentes selon les dates des coulées.
Les reliques de végétations littorales indigènes
La végétation littorale
Il ne reste que quelques témoins de ces formations indigènes, sous forme de mosaïques d’habitats étouffés par de la végétation secondaire, contenant plusieurs espèces menacées. Ces milieux installés sur les falaises et les côtes rocheuses de bord de mer abritent une végétation soumise à l’action des embruns combinée aux vents et à une humidité constante. Ces conditions drastiques ont permis d'y maintenir une flore halophile caractéristique encore présente sur la côte Est et notamment entre Sainte-Rose et Saint-Philippe.
Tous ces habitats ont subi de plein fouet et très tôt, le développement démographique et économique de l’Île ayant abouti à leur dégradation et leur fragmentation progressives. Peu de sites littoraux ont échappé à cette tendance.
On distingue au sein de cette formation, différentes séquences de végétations selon leur position vis-à-vis du trait de côte :
Les groupements herbacés des rochers (trottoirs rocheux) et éboulis soumis aux embruns :
Sur les trottoirs rocheux littoraux fortement soumis aux embruns marins, sont présents au sein de fissures, une végétation littorale haline composée par : la fougère indigène rare, Ctenitis maritima, le Cochléaria du pays (Centella asiatica), espèce pantropicale, le Fimbristylis cymosa, cypéracée indigène de la Réunion, la lavangère (Delosperma napiforme) endémique de la Réunion et protégée et le Lysimachia mauritiana espèce indigène rare…
Lysimachia mauritiana
la lavangère
Formation sur falaise littorale
Les pelouses aérohalines à graminées :
Sur le front de mer dans les secteurs également directement soumis aux embruns, des végétations rases et discontinues colonisent les substrats rocheux ou s’accumule une faible couche humifère. L’espèce principale à fort recouvrement qui s’implante à ce niveau est, le Gazon bord de mer ou Herbe pique-fesses (Zoysia tenuifolia). Toute la frange côtière comprise entre le Grand Brûlé et Basse Vallée est constituée de trottoirs rocheux colonisés par cette pelouse aérohaline. En arrière de la zone soumise aux embruns, l’Herbe bourrique (Stenotaphrum dimidiatum) concurrence activement cette dernière jusqu'à la remplacer.
Les fourrés bas arbustifs halophiles :
La Salière ou Saliette (Psiadia retusa), endémique de l’Île est un petit arbrisseau d’1 mètre de hauteur, à feuilles charnues que l’on ne rencontre qu’en quelques endroits du littoral de Bois Blanc et de Saint-Joseph. Il est accompagné par le Manioc marron bord de mer (Scaveola taccada) et le Lycium mascarenense et plus rarement par le Bois de matelot (Pemphis acidula).
Fourrés bas arbustifs
Les fourrés arrières littoraux à Vacoas :
En arrière de ces fourrés halophiles, des communautés arborescentes à Vacoas (Pandanus utilis) pour la plupart plantés irrégulièrement étaient certainement un élément floristique de ces communautés côtières où il devait côtoyer le Latanier rouge (Latania lontaroides).
Fourrés arrière littoraux à Vacoas
Les fourrés perhumides à Pandanus ou pandanaies :
Cette formation végétale sur sols gorgés d’eau est unique au monde, elle se rencontre dans les secteurs très arrosés de l’île surtout sur les pentes du massif de la Fournaise, jusqu’à la Plaine des Palmistes et sur les contreforts du Mazerin.
On distingue 2 strates : une de 4 à 7 m de haut (Palmiste rouge des Hauts et Fanjan femelle) et une inférieure à 3 m dominée par le Pimpin des Hauts (Pandanus montanus) aux nombreuses branches tortueuses. Les racines échasses des Pandanus émergent d’un épais tapis de débris végétaux non décomposés qui s’accumulent en formant un horizon spongieux rendant ce milieu impénétrable. La strate basse enchevêtrée à Pimpin renferme aussi des arbustes comme le Bois de tabac, le Velours blanc…
Le Pimpin développe une canopée basse aux reflets bleutés, haute de 3-5 m, formée par l’enchevêtrement de ses branches tortueuses. Ici et là émergent quelques fougères arborescentes, surtout le Fanjan roux, (Cyathea glauca) et, plus rare le Palmiste des hauts (Acanthophoenix rubra).
Les Pimpins portent une flore épiphyte exceptionnellement riche et diversifiée d’orchidées et de fougères, alors que dans les formations denses à Pimpin, la strate épiphyte est habituellement peu développée.
Pandanus des hauts
La forêt de montagne, ou forêt mésotherme hygrophile ou forêt de bois de couleurs des hauts ou encore forêt des nuages :
Ces formations demeurent aujourd’hui l’un des écosystèmes les mieux conservés avec 50 000 ha contre 100 000 à l’origine. À partir de 800 – 900 m sur le versant au vent, et de 1 000 – 1 100 m sur le versant sous le vent, commence la ceinture presque continue de forêts tropicales humides de montagne qui marque l’étage mésotherme de La Réunion. C’est la zone fraîche et pluvieuse des brouillards et des nuages qui s’accrochent au relief, un monde ou règne une humidité constante propice à l’exubérance des mousses, des fougères et des épiphytes. C’est le domaine de la forêt de nuages ou «forêt néphéléphile» (du grec néphélê : le nuage), encore appelée «forêt de brouillards» (Nebelwald). L’ambiance de cette formation est caractéristique des milieux tropicaux, rappelant les paysages préhistoriques. À La Réunion, on lui donne le nom de «forêt de bois de couleurs des Hauts», parfois de «forêt à Sterculiacées» ou de «forêt à mahots», en raison de la présence de nombreuses espèces de Mahots (Dombeya sp.).
Du fait de ses conditions hygrométriques, de très nombreuses espèces de mousses, de fougères, et d’orchidées épiphytes composent ce milieu. La canopée haute de 5-10 m, parfois plus dans des conditions abritées (vallonnements, petites ravines) est généralement dominée par les Mahots, les Mapous, et les Fanjans.
Contrairement à la forêt mégatherme hygrophile, les fanjans émergent de la canopée comme autant de petits parasols perchés au-dessus de la forêt hygrophile de Montagne profitant de l’humidité permanente de l’air.
Fanjan male de forêt des montagnes
Forêt de bois de couleur des Hauts
Son caractère sempervirent et globalement luisant varie peu au cours de l’année. Les floraisons sont plutôt ternes ou peu visibles, à l’exception de celles des mahots qui, par l’abondance de leurs inflorescences, avivent de blanc, de rose et de rouge la nappe verte et luisante du feuillage de la forêt.
À l’intérieur de la forêt, règne une exubérance et un fouillis végétal sans ordre apparent. Dans une atmosphère constamment saturée d’humidité, mousses, lichens, plantes épiphytes ont envahi tous les supports disponibles. Dans cet univers enchevêtré, la stratification de la forêt est souvent peu lisible.
La forêt de Tamarins des hauts
Cette forêt qui ceinture la presque totalité de l’île entre 1500 et 1900 m est claire, homogène, souvent baignée par les brumes et les nuages. Elle est dominée par le Tamarin des Hauts, endémique de La Réunion. Cet arbre qui peut atteindre 20 à 25 m possède une ramure puissante, un feuillage de teinte claire qui donne une ombre peu dense. Malgré sa puissance, il se déracine facilement sous l’effet des cyclones, la croissance reprend sur la plupart des arbres couchés, si bien que la strate dépasse rarement 6 à 8 m. On distingue quatre principaux faciès de la forêt à tamarin appelés tamarinaies. Les tamarinaies ont en commun la dominance d’une même essence, le Tamarin des hauts qui, par son port incliné et tortueux, par son feuillage clair, imprime au sous-bois un aspect et une ambiance lumineuse caractéristiques. Ce phénomène donne à ces formations un caractère unique.
Plaine des tamarins
Tamarins des hauts
Le Tamarin des Hauts est souvent associé à une fougère pionnière en sous bois, la fougère bleue (Histiopteris incisa), à un bambou endémique le Calumet (Nastus borbonicus), à une bruyère, le Branle vert (Erica montana), ou à certaines espèces de la forêt de Bois de Couleurs. Cette formation s’observe sur un substrat géologique récent ou colonise des zones régulièrement soumises aux incendies.
Le bois de tamarin est très apprécié pour faire les toitures, les planchers et les meubles des maisons. Il est cultivé à Bélouve et dans les Hauts de l’Ouest par l’ONF.
Les fourrés à Sophora denudata
Le « Petit Tamarin de Hauts », est un petit arbre qui peut atteindre 7 à 10 m de hauteur, au port variable, en « parapluie » ou en « V ». Le houppier des Sophora prend une couleur claire et grisâtre ou sombre. Il se couvre de fleurs jaune vif en grappes au mois de juillet/août, qui se transforment en gousses, « chapelet » à la fin de l’hiver austral.
Les divers groupements à Sophora ont une répartition spatiale éclatée et se présentent sous la forme d’îlots dont la superficie est bien souvent inférieure à un hectare. On les retrouve principalement sur les planèzes du Grand Bénare, les remparts des Cirques, la Planèze de la Roche Ecrite et sur le massif de la Fournaise.
En fourrés ou petits groupes d’arbres insérés dans d’autres formations plus ou moins dominantes, le Sophora accompagne les espèces altimontaines entre 1800 et 2400 mètres d’altitude. (Jauze, 2003).
La végétation altimontaine
Émergeant de la « mer de nuages » qui ceinture l’île au-dessus de 2000 m, la végétation des sommets de La Réunion est le domaine des formations éricoïdes d’altitude (éricoïde : qui ressemble aux bruyères), marquées par l’absence d’arbres et le développement d’arbrisseaux à petites feuilles. A partir de 1800-1900 m, Cette végétation caractérise l’étage oligotherme (ou microtherme) aux conditions climatiques sévères et froides.
Il y a des domaines de création récente où elle n’a pas eu le temps de s’installer (Plaine des Sables, Enclos Fouqué, dans le massif de la Fournaise). Ailleurs, le « bed-rock » est souvent affleurant. C’est le cas sur les dernières pentes de la planèze de la Roche Ecrite, avec la présence de belles dalles polygonales, taillées dans les ignimbrites récentes du Piton des Neiges.
En ce qui concerne la flore, les traits floristiques sont une faible diversité, environ 60 espèces, mais une très grande originalité et un taux élevé d’endémisme dépassant les 90 %, avec des familles dominantes communes (Ericaceae, Asteraceae, Poaceae, Cyperaceae), de nombreux genres communs (Erica, Helichrysum, Stoebe, Carpha, Festuca, Poa, Panicum, Helictotrichon).
D’aspect assez homogène au premier abord, les végétations altimontaines présentent pourtant une organisation altitudinale, dynamique et géomorphologique bien tranchée. Ainsi, depuis les sommets de l’île (Piton des Neiges 3070 m et Gros Morne, 3019 m, Grand Bénare 2898 m, Piton de la Fournaise 2631 m), il est possible de suivre le passage progressif des végétations éricoïdes prostrées à Branle blanc (Stoebe passerinoides), Asteraceae, endémique de La Réunion aux forêts mésothermes à Tamarin des hauts (Acacia heterophylla, Fabaceae, endémique Réunion).
Fourré éricoïde des hauts
Les pelouses altimontainesLa séquence de végétation éricoïde, typique des affleurements rocheux des planèzes altimontaines, est fréquemment associée dans les dépressions et couloirs d’érosion à des pelouses et tomillars (ou garrigues) altimontains.
Selon la granulométrie de ces accumulations sédimentaires, deux types de végétation peuvent être distingués :
- Tomillars altimontains à Thym marron (Erica galioides, Ericaceae, endémique Réunion), Satyrium amoemum, orchidée endémique de l’Ouest de l’océan Indien sur graviers et cailloux, généralement au niveau de terrasses latérales dans les couloirs d’érosion ;
- Pelouses altimontaines à Poaceae et Cyperaceae endémiques (Festuca borbonica, Panicum lycopodioides, Pennisetum caffrum, Agrostis salaziensis, Ischaemum koleostachys, Costularia sp., Carex borbonica...) sur sédiments plus fins, souvent en position centrale du couloir.
Pennisetum caffrum
Milieux azonaux
Les milieux humides
Les milieux humides de basse altitude :
Les étangs et les marécages de basse altitude sont représentés principalement par trois étangs situés à proximité immédiate de la zone littorale : Saint-Paul, Le Gol et Bois Rouge. Ces étangs sont caractérisés par des formations végétales spécifiques comprenant une végétation aquatique, subaquatique (les roselières) et hygrophile qui se développe en ceintures concentriques caractéristiques en fonction de la profondeur de l’eau. Ces Etangs abritent et accueillent une faune à forte valeur patrimoniale dont la Papangue, la Poule d’eau, le Héron vert et des insectes d’intérêts.
Etang du Gol
Les milieux humides de moyenne altitude :
Les milieux humides de moyenne altitude sont essentiellement représentés par le Grand Etang.
Grand Etang
Les milieux humides de haute altitude :
Les milieux humides des hauts sont essentiellement représentés par des « mares » à végétation marécageuse (riche en Sphaignes et en espèces rares et endémiques). A ce titre on peut citer, la mare à jonc à Cilaos, la mare à Poule d’eau à Salazie, la mare du plateau du Kerval à Mafate, la mare à Boue dans les hauts de la Plaine des Cafres, de même que les petites mares d’altitude de la région du volcan de la fournaise, Piton de l’eau, mare Argamasse,….
Mare du Kerval
Les rivières pérennes de l’Île constituent également les rares zones humides de la Réunion.
Les ravines :
Les ravines et leurs remparts relativement nombreuses sur l’île constituent des trames vertes et bleues dans lesquelles s’étagent différentes formations ou reliques de formations indigènes plus ou moins continues du battant des lames au sommet des montagnes. Elles constituent à ce titre des réservoirs uniques de biodiversité. Par ailleurs, les ravines sont également des zones de refuge, de nidification et de migration pour de nombreuses espèces animales patrimoniales dont les oiseaux marins.
Ravine de la Grande Chaloupe
Ces différentes formations naturelles décrites ci-dessus recèlent bien entendu une faune endémique et indigène remarquable qui pour la plupart constituent de bons indicateurs biologiques car caractéristiques et spécifiques de ces milieux. A ce titre certains oiseaux ne se retrouvent que dans des formations naturelles primaires bien conservées comme le merle Pays ou le rarissime Tuit-tuit.
Des espaces naturels longtemps considérés comme dénués d’intérêt et aujourd’hui vecteurs et supports d’une « économie verte » :
Ces différents milieux naturels et espèces qui les constituent ont longtemps été considérés comme dénués d’intérêts car sans valeur réelle (économique), de même que les espèces présentes dans ces milieux dits non nobles.
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles de grandes superficies ont été défrichées et des espèces introduites pour remplacer et recréer des boisements « nobles » (cf. partie sur l’agriculture, sylviculture).
De même, le peu de connaissances sur ces milieux et leur fragilité et en particulier la conscience écologique parue seulement dans les années 70 n’a pas aidé à la préservation de ces milieux et paysages naturels.
Certaines essences ont tout de même, à leurs dépends pour certaines, été longtemps utilisées en tisanerie ou en délimitation de parcelles comme le Bois de chandelle (Dracaena reflexa).
De même, des essences locales ont donné leur nom à certains quartiers de la Réunion, à l’instar de Bois de Nèfle dans les hauts de Saint-Denis et de Saint-Paul, de Bois rouge à Saint-André, de Bois blanc à Sainte-Rose,….
Aujourd’hui ces milieux naturels sont des espaces de découverte, de pique nique, de respiration, d’études scientifiques et d’activités de nature comme la randonnée, le cannyoning, l’escalade,… et sont le support publicitaire du tourisme de nature.
Les habitats naturels secondaires :
Depuis la colonisation de l'Île, les milieux naturels n'ont cessé de régresser au profit de l'agriculture et de l'urbanisation, changeant quasi irréversiblement l'occupation des sols et donc les grands paysages naturels de l'Île. C'est ainsi que les plus grandes superficies de milieux naturels ne subsistent aujourd'hui que dans les hauts de l'île ou occasionnellement dans les bas sous forme de reliques. La destruction directe des habitats naturels n'est hélas pas la seule cause de disparition de ces milieux. En effet, l'introduction volontaire ou accidentelle d'un nombre important d'espèces exotiques pour les besoins de l'Homme (agriculture, Ornement, lutte contre l'érosion des sols, production) et la prolifération de certaines d'entre elles ont participé et participe encore à la disparition d'espèces et de milieux indigènes, offrant ainsi de nouveaux paysages naturels non sans conséquence sur les milieux /paysages naturels d'origine. Les invasions par les espèces exotiques constituent la seconde menace de mise en danger et d'extinction d'espèces endémiques et indigènes (Lowe et al., 2001 ; Strahm, 1999), après la destruction directe des habitats par l'Homme.
Ces espèces exotiques transforment par leur compétitivité et leur dominance les paysages naturels de l'Île et sont à ce titre responsables de l'uniformisation des milieux et donc de la banalisation des paysages.- Les milieux envahis par les espèces exotiques :
Une plante exotique envahissante est une plante introduite par l'Homme volontairement ou involontairement, dans une région où elle n'existait pas à l'origine et qui se propage spontanément (sans l'aide de l'Homme) dans les écosystèmes naturels peu ou pas modifiés par l'Homme ou dans des écosystèmes anthropisés, en provoquant des changements de structure et de composition du milieu d'origine (Cronk & Fuller, 1995).
A la Réunion, la flore des Mascareignes (Bosser et al., 1978) décrivait prés de 1100 espèces introduites dont 460 se seraient naturalisées. Une trentaine d'entre elles sont particulièrement envahissantes et ont un effet destructeur vis-à-vis des milieux naturels.
Au XIXème siècle, 2217 espèces de plantes à fleurs officiellement introduites sur l'Île ont été dénombrées (Bréon, 1825 ; Richard, 1856). Si 70% de ces espèces ne se sont pas acclimatées et ont disparu, 628 d'entre elles se sont naturalisées (Lavergne, 2000). Et aujourd'hui des espèces végétales exotiques restent encore à inventorier.
Les plantes envahissantes sont celles qui ont trouvé sur l'Île des conditions favorables à leur expansion.
Les espèces animales n’ont pas échappés à ces introductions massives volontaires ou involontaires dont des mollusques, des crustacés, des papillons, des fourmis, des araignées, des lézards, des tortues, des serpents, des poissons, des oiseaux, … Parmi celles-ci certaines se sont naturalisées et sont devenues des concurrentes très agressives des espèces indigènes et contribuent également à la dissémination des espèces végétales envahissantes. A noter notamment le cas de Bulbul orphée (
Pycnonotus jocosus), originaire des Indes et du Sud-est asiatiques, introduit sur l’Île en 1972. Cette espèce qui occupe un vaste territoire à La Réunion, est en compétition avec plusieurs espèces endémiques et participe activement à la propagation de nombreuses espèces végétales envahissantes dont le Goyavier et le Raisin marron pour ne citer qu’eux.
Ces invasions ont dans certaines régions de l'île complètement transformé les paysages.
Ainsi, dans les bas de l’Ouest, les milieux naturels de type savane de l’Ouest, sont en grande partie secondarisés par des espèces exotiques dont certaines sont dominantes.
Les savanes herbeuses ont totalement remplacé la végétation originelle. Elles dominent les secteurs les plus secs de l’Île recouvrant ainsi une superficie d’environ 7500 ha. Les vastes cônes de déjection de la côte Ouest (Rivière des galets, Rivière Saint-Etienne) offrent des biotopes particulièrement secs ou la savane occupe des surfaces parfois importantes. L’aspect monotone de la savane herbeuse de teinte fauve, ocre et jaunâtre en hiver, reverdit rapidement avec les premières pluies de l’été, offrant un contraste saisonnier fort du paysage dans ces secteurs de l’Île. La sécheresse, les incendies réguliers et le pâturage itinérant entraînent une sélection drastique des espèces les mieux adaptées. Les plantes indigènes n’ont pratiquement plus leur place. Les familles qui dominent sont les graminées et les légumineuses. La savane à herbe esquine (
Themeda quadrivalvis), originaire d’Asie, s’installe comme pionnière sur les sols squelettiques ou sur d’anciennes cultures abandonnées. Cette espèce est parfois accompagnée par
Hyparhenia rufa légèrement plus hygrophile. La savane à fataque (
Panicum maximum) s’installe parfois directement sur les anciennes cultures et jachères ou finit par supplanter les colonies d’herbe esquine lorsque la savane est épargnée par les incendies ou le surpâturage. Ces différents groupements plutôt pionniers sont assez rapidement remplacés par une savane herbacée dominée par l’Herbe polisson (
Heteropogon contortus). C’est cette savane bien présente au niveau du Cap La Houssaye qui domine souvent le paysage.
Les fourrés d'épineux souvent impénétrables se développent dans les anciennes jachères et les savanes et peuvent coloniser les reliques de formations indigènes encore présentes. Les espèces formant ces fourrés appartiennent au groupe des Mimosacées (Légumineuses). Deux espèces exotiques dominent souvent ces fourrés arbustifs denses : le Cassie blanc
(Leucaena leucocephala) originaire d'Amérique centrale et l'Avocat marron
(Litsea glutinosa) introduite de Sud-Est asiatique.
Fourrés à cassi blanc
Dans ces zones on retrouve également en sous bois le choca vert (Furcraea foetida) aloes originaire d’Amérique tropicale qui ponctue les savanes sèches de l’Ouest et forme des fourrés denses impénétrables.
Dans l'Ouest on peut également citer une espèce de légumineuse, le Zépinard (Dicranopteris cinerea) qui a entièrement colonisé des espaces bouleversés de la pointe des Châteaux à Saint-Leu formant ainsi des fourrés monospécifiques et impénétrables.
Dans les bas de l’Île et notamment sur le massif de la Montagne et particulièrement à la Grande Chaloupe où subsistent des reliques non négligeables de forêt semi-sèche, c’est la liane papillon (Hyptage benghalensis) qui se montre très préoccupante tant son invasion est rapide. Il s’agit d’un arbuste lianescent formant des fourrés impénétrables, étouffant la végétation indigène et exotique et la remplaçant très rapidement. Il occupe de très larges surfaces notamment sur les remparts des grandes ravines du Nord Ouest (Ravine de la Chaloupe, Ravine à Malheur,…).
Dans les bas de l’Est, les espèces végétales pionnières des coulées volcaniques, telle le Bois de rempart (Agarista salicifolia), sont en compétition avec des espèces exotiques envahissantes, bouleversant ainsi la dynamique de recolonisation des coulées de lave et donc le paysage naturel de l’Île. Désormais, des espèces comme le Bois de chapelet (Bohemeria penduliflora) et le Filaos (Casuarina equisetifolia), dominent la végétation pionnière des coulées récentes, appauvrissant ainsi les chances d’obtenir à terme les forêts climaciques telles que nous les observons aujourd’hui (Strasberg, 1994).
Sur la côte sous le vent, le fourré à Faux poivrier (Schnius terebinthifolius) occupe les ravines hygrophiles dans l’aire de la forêt chaude et humide descendant également dans l’aire de la forêt sèche. Cette espèce forme ainsi dans l’Ouest des coulées sombres arbustives et denses souvent de couleur verte au milieu de la savane sèche.
Sur la côte au vent, le Faux poivrier résistant dans une certaine mesure aux embruns salés, se limite à la frange littorale, trop fortement concurrencé par une espèce mieux adaptée, le Jamrosa (Sysygium jambos). Cette dernière espèce, souvent associées au Goyavier (Psidium cattleianum), constitue les fourrés secondaires les plus étendus, tant sur la côte Est quela côte Ouest.
Le Goyavier possède cependant une amplitude écologique plus large. Il pénètre ainsi dans l’étage mésotherme des forêts pluviales et également, mais discrètement, dans les ravines fraîches de l’étage semi-xérophile.
Le jamrosa ne devient réellement dominant que dans les ravines très humides de la côte « au vent ». Il forme d’ailleurs au sein de ces ravines des « voûtes » arborées très sombres en sous bois (exemple la rivière Sainte-Suzanne). Au début de la saison des pluies cette espèce débourre ces nouvelles feuilles parant ainsi les formations envahies d’une couleur bordeaux.
Au sein des forêts de montagne, les invasions végétales, bien que généralement moins spectaculaires qu’à basse altitude, constituent une véritable menace. Certaines espèces dont le Fuchsia (Fuchsia boliviana), l'herbe chiffon ou Jouvence (Ageratina riparia), le Longose (Hedychium gardnerianum) ont envahi d’importantes surfaces en sous-bois. Dans la forêt de Bébour et Bélouve l’on peut notamment faire ce constat.
De même, le raisin marron (Rubus alceifolius), originaire de java et introduit comme curiosité horticole vers 1840, colonise efficacement les ouvertures forestières (chablis). Cette espèce lianescente prolifère sur les remparts et dans les zones d'éboulis, le rempart de la rivière des Marsouins bien visibles du point de vue de Takamaka est un bel exemple.
La liane chouchou (Sechium edule), considérée comme potentiellement envahissante, s’est bien dispersée en marge des cultures. Elle est ainsi très présente sur les remparts de la rivière du Mât en montant à Salazie.
Envahissement par la liane chouchou
Les invasions biologiques n’épargnent hélas pas la végétation d’altitude, même si l’on dénombre beaucoup moins d’espèces invasives qu’à basse altitude. L’espèce exotique la plus menaçante est l’Ajonc d’Europe (Ulex europeaus) qui forme des fourrés mono spécifiques très denses, de couleur ocre s’étalant parfois sur de grandes distances. L’Ajonc est une espèce pyrophile, elle est donc particulièrement envahissante sur les zones incendiées. Le Maïdo est un des sites touristiques très touchés par cette espèce.
Par ailleurs, un petit nombre de Composées et de Graminées est déjà largement naturalisé dans la végétation éricoïde.
Ulex europaeus
Il faudrait malheureusement citer d’autres espèces exotiques envahissantes qui forment par endroits des fourrés quasi-monospécifiques : la Corbeille d’or ou Galabert (Lantana camara), le grain noël (Ardisia crenata) et de nombreuses espèces naturalisées au comportement envahissant encore limité dans l’espace.
Les espèces exotiques envahissantes sont responsables de la diminution de la diversité floristique, de la disparition d'espèces et de milieux indigènes, de l'uniformisation des milieux et donc de la banalisation des paysages.
L'histoire est hélas riche en exemples d'introduction biologiques désastreuses ayant conduit à l'extinction de nombreuses espèces indigènes et endémiques, voire de milieux naturels. Malgré ces constats, force est de constater que de telles introductions potentiellement dangereuses pour les milieux naturels ne cessent de perdurer de nos jours.
Les plantations d’espèces exotiquesLa pénurie de bois du XIXème siècle se faisant sentir, l’exploitation des forêts pour fournir des bois de charpente, de sciage, de fente, de charronnage et d’ébénisterie s’épuise, tandis que les surfaces boisées régressent devant l’extension des terres cultivables et les défrichements. Ces derniers sont encore opérés à grande échelle pour produire du bois de chauffe réclamé par la population et les usines à sucre. Vers 1850, on commence à parler de ruine des forêts du pays.
Pour faire face à la pénurie de bois, les reboisements sont encouragés dés la fin du XVIIIème siècle. Pour ce faire, le Filaos est dans un premier temps planté sur les pas géométrique de Saint-Paul, de Saint-Leu, puis sur les dunes de l’Etang Salé et le littoral de Saint-Philippe créant ainsi les paysages boisés des côtes de La Réunion que l’on connaît aujourd’hui. Ces plantations atteignent au moins 1900 ha en 1900, tandis que le Filao se répand spontanément sur les coulées de lave de Sainte-Rose et de Saint-Philippe. Dans cette frénésie de reboisement souvent associée à des préoccupations de fixation des sols et de lutte contre l’érosion, notamment au niveau de zones laissées en friches en altitudes suite à des essais économiquement infructueux de pâturage ou de culture de géranium, de nombreuses essences sont testées avec plus ou moins de succès.
Le Bois noir des bas (Albizia lebbeck), le Lilas d’Inde (Melia azedarach) et le Tamarinier (Tamarindus indica) sont plantés dans les parties sèches de l’Île.
Le filao de la Nouvelle-Hollande (Casuarina cunninghamania) et divers acacias dont (Acacia dealbata) sont testés dans les cirques, ainsi que diverses essences susceptibles de fournir du bois d’œuvre : Eucalyptus (Eucalyptus sp.), Pins (Pinus sp.), Araucarias (Araucaria sp.), Grevillaire (Grevillea robusta), Camphrier (Cinanomum camphora)… C’est ainsi que l’on retrouve par endroit encore des formations dominées par l’une de ces espèces. Par exemple : les formations dominées par le camphrier le long de la route forestière de l’Eden dans les hauts de Bras-Panon ou de la route départementale menant au Barrage de Takamaka I, ainsi que les formations arrière-littorales de l’Etang-Salé plantées en Eucalyptus ou en Lilas de l’Inde.
Parmi ces essais de plantation, c’est le Cryptoméria du japon (Cryptomeria japonica), résineux introduit en 1880, qui fera réellement l’objet d’une culture intensive, favorisée par une succession de programmes de reboisement qui concerneront environ 2 600 ha. Les principaux secteurs d’implantation encore visibles aujourd’hui sont situés entre 900 et 1600 mètres dans les Hauts de l’Ouest, le Brûlé de Saint-Denis, la Petite Plaine des Palmistes et le Plateau de Bébour. Constituées de peuplements monospécifiques denses, sensibles aux cyclones, les forêts artificielles de Cryptomeria revêtent une diversité d’autant plus réduite que les plantations succèdent à des terres à Géranium. Les pestes végétales y trouvent un terrain favorable à leur prolifération, notamment le Longose de Gardner (Hedychium gardneranum), au point d’inventer un nouveau paysage forestier aux allures asiatiques. Ces forêts résineuses à Longose et Cryptomeria en forme de coton tige occupent une bonne part des Hauts du Tévelave et ne sont certes pas sans attrait visuel et odorant quand explose la floraison jaune et spectaculaire du Longose.
Les peuplements de Cryptomeria couvrent aujourd’hui une superficie de 1 880 ha, parmi lesquels 1300 ha associent une fonction première de production de bois d’œuvre à des fonctions de protection des sols et souvent d’accueil du public ; seuls 580 ha sont assignées à un objectif unique de protection des sols.
Les paysages et l’agriculture
Les paysages et l'agriculture
L’importance sensible des paysages agricoles de l’île, parties intégrantes du cadre de vie
Du littoral aux hauts : de larges ouvertures visuelles, qui rendent sensibles les paysages agricoles (et urbains) ; ici vers Piton Saint-Leu et Le Plate
La surface agricole utilisée (SAU) de La Réunion représente moins d'un cinquième du territoire, notamment en raison de l'importance du massif montagneux qui occupe la majeure partie de l'île. Les terres arables (terres labourables en culture ou en jachère) occupent 35 000 hectares. Au total, les terres détenues par les exploitations agricoles représentent une surface estimée à 55 000 ha, dont plus de 44 000 ha de superficie agricole utilisée, parmi laquelle la canne à sucre prend 25 000 ha.
Mais il faut se méfier des chiffres : ce petit 20% de la superficie de l'île illustre mal le rôle absolument majeur de l'agriculture dans la qualité des paysages de La Réunion. Dans la réalité de la perception du territoire, les surfaces agricoles occupent en effet essentiellement les mêmes espaces que ceux qui sont habités, longuement déroulés sur les pentes extérieures des grandes planèzes : qu'on le veuille ou non, les paysages agricoles sont ainsi au cœur des espaces les plus construits et circulés de l'île : ils font partie du cadre de vie le plus quotidien. Par ailleurs, cette occupation dominante sur les pentes les rend visuellement très présents et sensibles. Même dans les hauts, lorsqu'ils se parcellisent en minuscules surfaces isolées sur des îlets de cirques, l'importance des reliefs environnants les donne à voir très aisément. Sauf exception comme les fonds de ravines cultivés, les paysages agricoles de La Réunion n'ont ainsi rien de confidentiels : ils sont sous le feu des regards des habitants et des visiteurs, et au cœur des pratiques quotidiennes d'habitat, de travail et de déplacement.
La diversité des paysages agricoles
Canne et ananas vers Mont Vert les Hauts
Champ de lentilles, cirque de Cilaos
La diversité des climats provoquée par les différences d'altitude et par la position géographique de l'île (21 degrés de latitude sud) a engendré un vaste éventail de productions allant des cultures purement tropicales (mangue, canne à sucre, vanille...) aux productions caractéristiques des zones tempérées (pomme de terre, élevage laitiers, ...). Il existe peu d'endroits dans le monde où une telle variété agricole peut être observée sur un espace aussi restreint (2 500 km²). Par ce fait, l'agriculture participe à la valeur fondatrice et première de l'île : celle de la diversité et même des contrastes de ses paysages (voir l'introduction au présent Atlas). Aux vertes et lumineuses étendues de canne succèdent des vergers ombreux de manguiers et de letchis, des forêts cultivées pour la discrète vanille, des « alpages » ouverts sur les cieux des hauts et balayés par les nuages, des pâtures où les vaches ruminent à l'ombre des fougères arborescentes, des damiers de parcelles où se succèdent ananas, poireaux, oignons, géranium et tomates.
Aujourd'hui, le territoire agricole est occupé principalement par la canne à sucre (57 %), en léger recul toutefois (59 % en 2005), par les pâturages (29 %), en progression de 8 % en 7 ans, puis par les cultures fruitières (7 %) et légumières (3,7 %), également en légère croissance.
Les « riantes » campagnes diversifiées du 18e siècle
La vocation agricole diversifiée de l'île est fondée sur son potentiel naturel, mais elle est également largement ancrée dans son histoire. Cette histoire se scinde principalement en deux périodes : celle de la conquête des terres, du café et de la diversification des cultures aux 17e-18e siècles, et celle liée à la canne à sucre à partir du 19e siècle.
La mode du café, née dans les dernières années du règne de Louis XIV, prend de l'ampleur sous Louis XV. Après des premiers essais engagés en 1709 à La Réunion, le gouverneur Justamond ordonne en 1715 que chaque colon plante au moins cent caféiers (moka) par individu vivant sur sa plantation (libre ou esclave). L'ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon du 1er décembre 1724 punit même de mort les malfaiteurs qui détruiraient leurs beaux caféiers. Ce développement du café transforme les paysages de l'île, mais aussi son paysage social avec le développement de l'esclavage et l'enrichissement des plus fortunés et dynamiques capables d'investir. Dès son arrivée en 1735, Mahé de La Bourdonnais, gouverneur générale de l'île, conforte la vocation agricole de La Réunion, complémentaire à la vocation plus commerciale de Maurice, avantagée sur ce point par ses rivages plus accueillants au trafic maritime : port, escale militaire, escale sur la route des Indes. La Réunion quant à elle a vocation à servir de réservoir de main d'œuvre et de produits agricoles. A côté du café, les colons sont incités à produire du blé nécessaire aux navires de passage. Ils développent également le tabac, le coton (vers la Rivière d'Abord), l'indigotier (acheté à Saint-Domingue), le maïs, le riz, les plantes à parfum, les plantes vivrières, et les épices, ces dernières favorisées par Joseph Hubert à partir des conquêtes de Poivre. La palette de cultures s'élargit ainsi tout au long de ce siècle, révélée par les témoignages enthousiastes de l'époque sur l'aspect « riant » des campagnes (voir la partie « Les fondements culturels » du présent atlas). L'apogée de la diversité paysagère de l'île se situe sans doute au tournant du 18e et du 19e siècle. Elle est révélée par un des témoins de l'époque les plus importants : Bory de Saint-Vincent (voir la partie « Les fondements culturels »). La carte de Claude Wanquet (1990) sur la situation économique de Bourbon en 1788 précise la répartition de ces diverses cultures sur les pentes extérieures de l'île : le blé et le maïs dominants partout, l'élevage dans les parties basses de l'ouest et du sud, le riz et les légumes sur les mi-pentes, le coton un peu plus haut.
Les paysages agricoles fluctuants liés à la canne à sucre depuis le 19e siècle
A partir du début du 19e siècle, le développement de la canne à sucre va progressivement supplanter de nombreuses cultures et contribuer à unifier quelque peu les paysages des pentes cultivées. C'est la perte de l'Ile de France et de Saint-Domingue, entérinée par le Traité de Paris de 1815 signé avec les Anglais, qui pousse la France à développer la culture et l'industrie de la canne sur l'île redevenue « Bourbon » : le pays manque en effet de sucre. Par ailleurs, les cyclones de 1806 et 1807 ont ravagé toutes les plantations ; dans cette reconstruction nécessaire, la canne offre l'avantage d'être plus résistante aux cyclones que bien d'autres cultures, notamment le café. L'île prospère au XIXe siècle grâce à la canne : sa culture exige de la main d'œuvre et des capitaux pour les installations coûteuses de son industrie. L'immigration indienne tamoule débute dès 1828, vingt ans avant l'abolition de l'esclavage par Sarda Garriga. Les premiers Chinois arrivent à partir de 1844. L'abolition de l'esclavage va accélérer le phénomène.
Ainsi, curieusement, la canne au 19e siècle est en quelque sorte tout à la fois vectrice d'une forme d'uniformisation des paysages culturaux et vectrice d'une forme de diversification des paysages culturels.
L’usine de Vue Belle, réhabilitée en centre nautique
Jusqu'à 200 usines sortent de terre dans les années 1830. Elles sont principalement localisées au nord-est et égrenées à l'ouest et au sud. Il ne reste aujourd'hui que celles du Gol et de Bois Rouge en activité ; mais plusieurs ruines marquent les paysages des pentes basses de l'île par la silhouette de leur cheminée et leurs vieux murs.
Le développement de la canne est tel que dès 1850 s'instaure une dépendance alimentaire extérieure, du fait de l'abandon des cultures vivrières, du blé, du riz, au bénéfice de la monoculture de canne.
Le dernier tiers du 19e siècle voit se dessiner une crise économique avec l'effondrement du cours du sucre ; les causes sont multiples : maladie de la canne attaquée par une chenille, le Borer, développement en Europe de la betterave à sucre, épidémies de choléra puis de paludisme provoquées par l'afflux de l'immigration qui déciment la population, manque de capitaux et de main d'oeuvre.
Pour faire face, la diversification est ainsi à nouveau recherchée : production de vanille (on exporte 199 tonnes en 1902), développement du manioc pour faire du tapioca (introduit dès 1736 par La Bourdonnais ; 4000 tonnes de farine exportées en 1909), mais aussi thé, mûrier, coton, paille chouchou, plantes à parfum. Ces dernières sont variées : ylang ylang vers La Possession/Saint-Paul, géranium et vétyver dans les hauts, gardénia et patchouli à La Montagne, mais aussi champac, longose (dont on extrayait une cire servant de base aux parfums), etc. Les belles années des plantes à parfums se situent vers 1930.
Le redressement de la canne s'amorce à partir de 1920 : 40 346 tonnes en 1922, 110 702 tonnes en 1940. Elle s'écroule à nouveau au cours de la deuxième guerre mondiale, les plantes vivrières se substituant à la canne pour assurer la survie de la population : 13 164 tonnes en 1944. Le redressement sera rapide après la départementalisation, avant de nouvelles difficultés dans les années 1960. La filière canne est sauvée par un plan de modernisation de l'économie sucrière : épierrage, renouvellement des cannes et amélioration génétique, engrais, rationalisation des transports, irrigation, remembrement des terres, concentration et modernisation des usines.
Aujourd'hui, deux cents ans après l'impulsion de son développement, la filière canne - sucre - rhum - bagasse demeure une des activités essentielle de l'île. La culture de la canne occupe 57 % de la SAU et représente près du tiers de la valeur agricole finale. Deux unités sucrières (Le Gol et Bois Rouge) et une douzaine de centres de réception reçoivent et traitent chaque année entre 1 800 000 et 2 000 000 tonnes de cannes. L'usine de Bois Rouge brasse l'ensemble de la récolte de la région dite "au vent" ainsi que les cannes issues du centre de réception du Grand Pourpier (Ouest), tandis que l'usine du Gol traite la production des bassins du Sud (Gol et Grand-Bois) et des plates-formes des Tamarins et Stella Matutina, situées elles dans l'Ouest.
Environ 200 à 220 000 tonnes de sucre en sont extraites pour un quota de 295 000 tonnes dans le cadre de l'OCM sucre. Ces deux unités sont performantes. Elles sont couplées chacune avec une centrale thermique fonctionnant à la bagasse qui produisent une part de l'énergie électrique nécessaire à l'île (11,5 % de la consommation de l'île). Le sucre est le premier produit exporté de l'île (70 % des exportations totales). En 2006, la convention tripartite " industriels, planteurs, Etat " a été signée, elle définit les règles dont la filière se dote pour les neufs campagnes à venir. Les statuts du nouveau comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre ont été signés mi-2007 par les organisations représentatives des industriels et des planteurs.
Sur les dernières décennies, la surface cannière a fortement diminué, passant de 37 860 hectares cultivés en 1987 à 30 900 en 1993, et à 25/26 000 ha aujourd'hui, stabilisée grâce notamment à la vaste opération de remise en culture de terres en friche, orchestrée par la Chambre d'Agriculture, la SAFER, la DAF et certaines communes.
Près de 4 700 planteurs cultivent ces 26 000 ha, soit plus de la moitié de la surface agricole réunionnaise, et les exploitations de taille moyenne (5 à 20 ha) sont majoritaires dans l'île.
Les rendements (78 tonnes/ha en moyenne), très hétérogènes sur l'île de par la diversité des zones de production, sont en progression. Le rendement moyen de canne par hectare a ainsi progressé de 30%, entre 1989 et aujourd'hui.
L'activité canne à sucre est la principale source d'emplois de l'agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d'exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations.
L’agriculture créatrice de nouveaux paysages
Depuis les années 1960, la diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l'élevage.
Cette diversification compose aujourd'hui des paysages récents ou nouveaux, à une altitude supérieure à celle de la canne. Elle enrichit l'étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l'île (voir l'introduction au présent atlas).
Pâturages de la Plaine des Cafres
Pâturage à sophoras sur les pentes de Notre Dame de la Paix
Sur l'Ouest, au-dessus des 800 m d'altitude à laquelle navigue la route Hubert-Delisle, l'élevage s'est considérablement développé au cours des dernières années, occupant les friches laissées par l'abandon du géranium ; les acacias-mimosas qui servaient à la cuite du géranium forment aujourd'hui un bocage en suivant les limites des enclos et les bords des ravines. On retrouve l'élevage sur la plaine des Cafres, descendant même sur les pentes hautes du Tampon et de Notre Dame de la Paix. Dans le cirque de Salazie, Grand Ilet concentre les élevages porcins et avicoles, matérialisés principalement par des bâtiments de tôle.
Cultures mixtes sur les pentes du Petit Tampon
Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d'altitude, entre l'étage de la canne et celui de l'élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, ouverts sur les grands paysages du littoral et des hauts.
A l'heure actuelle, le secteur fruits et légumes, encore en développement, représente en valeur plus du tiers de la production agricole totale et répond à plus de 70 % des besoins locaux en frais. L'offre reste fortement atomisée alors que la demande est de plus en plus concentrée. La filière se structure lentement : 5 organisations de producteurs reconnues et pré-reconnues, un marché de producteurs qui draine le moins du quart des productions, et une association d'organisations de producteurs qui se met progressivement en place. Les productions commercialisées par la filière organisée représenteraient ainsi un peu moins de 15 % de la production locale estimée à 80 - 100 000 t selon les années. Elles ont triplé en 20 ans (30 900 t en 1981 et 105 000 t en 1997). Les principales productions sont les tomates, pomme de terre, choux, laitues, carotte, oignon, pour les légumes, ananas, letchi, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits. Les importations de produits frais représentent 30 000 t, (dont ail, oignon, pomme de terre, carotte, fruits des zones tempérés), selon les années, les exportations représentent 1 500 à 2 000 tonnes (ananas, mangues, letchis).
Pépinière dans le beau cadre du Grand Pourpier (Cambaie, Saint-Paul)
L'horticulture est une filière peu organisée. Les principales productions sont les arbres d'ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Il n'y a pas d'exportation et le taux de couverture est estimé à 70 %. Cette filière représente cependant plus d'une centaine d'hectares et 270 professionnels fédérés en un syndicat.
Vanille en forêt à Saint-Philippe
Maison du curcuma, Plaine des Grègues
Quant aux filières végétales traditionnelles (vanille, géranium, vétyver), elles ont été victimes d'une régression structurelle forte et continue depuis plusieurs années. Ce sont des filières fortement organisées autour d'une coopérative. Les programmes sectoriels mis en œuvre avaient permis de stabiliser ces productions, mais les difficultés de ces dernières années (cyclone, éruption volcanique) les ont fortement contraintes. Moins de 2 tonnes d'essence de géranium et quelques dizaines de kilos d'huile de vétyver sont produites. Une orientation nouvelle apparaît avec les Baies Roses (environ 15 tonnes sèches). En ce qui concerne la vanille, la production dépassait les 20 tonnes avant l'éruption volcanique de 2006 ; aujourd'hui elle serait de 15 à 20 tonnes. Des démarches sont en cours pour l'obtention d'une IGP.
Six types de paysages agricoles
Au total aujourd'hui six types de paysages agricoles se rencontrent à travers l'île : les paysages de canne, les paysages agricoles mixtes, les paysages de savane, les paysages de pâturages d'altitude, les paysages de nature jardinée et les paysages agricoles des cirques et des îlets.
Les paysages de canne
Paysage de canne sur les pentes de Saint-Benoît
La canne soulignant la géographie des ravines sur les pentes ; ici la ravine du Mouchoir Gris, pentes des Makes
La canne et la toile de fond offerte par l’échancrure de la rivière des Pluies
Floraison de canne sur les pentes de Petite Ile
Depuis 200 ans, la canne à sucre domine l'occupation agricole du sol. Sa présence sur pente (et non sur plaine plate comme c'est le cas dans beaucoup de pays producteurs) génère de magnifiques paysages, longuement déroulés sur les planèzes extérieures de l'île entre 0 et 800 m d'altitude, rehaussés par les toiles de fond bleutées ou grises des hauts boisés. Son vert clair illumine les pentes, tranchant avec le vert dense des forêts. En s'approchant au plus près des cassures de pente, les champs de canne dessinent notamment soigneusement le lacis des ravines sombres qui les incisent, révélant la géographie fondamentale des pentes. Ils animent les paysages au fil des saisons, par leurs couleurs, leurs hauteurs et leur floraison : beiges après la coupe de l'hiver, ils reverdissent rapidement le reste de l'année ; bas après la coupe, ils forment des murs végétaux de 3 m de hauteur en fin de saison des pluies ; l'étalement de la saison de coupe sur six mois (de juillet à décembre) dessine un damier de parcelles (le plus souvent entre 5 et 20 ha), de hauteurs et de couleurs variées, qui enrichit les paysages ; enfin la floraison soyeuse, blanche aux reflets mauves, allume les étendues cannières avant leur exploitation hivernale.
Les grandes étendues couvertes de canne au-dessus de Piton Saint-Leu : rare paysage de canne pure, non conquise par l’urbanisation diffuse
Les quelques grandes propriétés foncières encore existantes contribuent à la lutte contre le mitage ; elles composent les rares paysages agricoles épargnés par l'urbanisation diffuse : dans le Nord-est sur Sainte-Marie/Sainte-Suzanne, dans le nord-ouest à Savanna, dans l'ouest à Villèle et l'Ermitage, dans le sud-ouest au-dessus de Piton Saint-Leu et de Saint-Louis. Elles composent alors de grandes perspectives paysagères précieuses, et certaines forment des coupures d'urbanisation, protégées à ce titre par la Loi Littoral et par les documents d'urbanisme.
L’ancienne sucrerie de Grand-Bois
Alignement de cocotiers dans les champs de canne de la plaine du Gol
Vieil alignement de palmiers royaux à Savanna
Bois de chandelle vers Mont Vert les Hauts
La longue histoire de la canne a par ailleurs légué un patrimoine qui marque encore les paysages des pentes : - les longues et élégantes allées des grands domaines plantées de cocotiers, en particulier au nord-est (Sainte-Marie Sainte-Suzanne) et dans la plaine du Gol,
- les « arbres » marqueurs du foncier, postés en limites de parcelles : bois de chandelle (Dracaena sp.) dans l'ouest, et pimpins (vacoas) dans l'est ;
- les andains de blocs rocheux créés par l'épierrage des champs, qui dessinent les paysages et aident à lutter contre l'érosion ;
- d'anciens canaux d'irrigation ;
- et des ruines des anciennes usines qui constellaient le territoire (120 usines encore en 1860, - et même 200 dans les années 1830 selon certaines sources -, 2 aujourd'hui), signalées par leurs cheminées et leurs pans de murs de basalte sombre. Autant d'éléments qui enrichissent les paysages, mais qui sont fragiles car ponctuels et sans usages.
Les énormes efforts d'irrigation engagés par le projet ILO (voir le chapitre « Les paysages et l'eau »), étendent progressivement les champs de canne sur l'ouest à une altitude basse longtemps réservée au pâturage de zone sèche, déroulant des étendues vertes nouvelles, striées par les bandes sombres d'andains formés par l'épierrage des champs.
Les paysages agricoles mixtes
Canne et plantes aromatiques sur les pentes de Petite-Ile
Cultures diversifiées sur les pentes du Sud (Pitons Manapany)
Verger de papayers, entre La Saline et Les Avirons
Exemple de paysage agricole jardiné : mixité palmiers et agrumes, Le Tévelave
Cultures mixtes vers Petite-Ile
A côté de la canne, des cultures diversifiées et spécialisées de légumes, de fruits, de plantes à parfum, dessinent des paysages agricoles radicalement différents. Les parcelles en général petites composent un damier composite qui font de l'ensemble un paysage agricole jardiné. Il marque tout particulièrement le sud, au-dessus de Saint-Pierre/le Tampon vers 1000 m d'altitude, ou plus proche du littoral vers Petite-Ile et Saint-Joseph, la canne se mêlant alors à l'ensemble.
Ananas et vergers sur les pentes de Mont-Vert
L'aspect ouvert de ces cultures dégage là encore des perspectives lointaines remarquables sur le littoral comme sur les hauts, à la fois familières par les cultures en place et grandioses par les bleutés des horizons lointains montagneux ou océaniques.
Cressonnière et bananeraie dans le fond de la rivière Langevin
Des paysages agricoles et jardinés, plus intimistes, marquent également les fonds de ravines fertiles et les rares plaines humides comme celle de l’étang de Saint-Paul.
Des paysages agricoles et jardinés, plus intimistes, marquent également les fonds de ravines fertiles et les rares plaines humides comme celle de l'étang de Saint-Paul.
Les paysages de savane
La savane du Cap La Houssaye, visible depuis la Route des Tamarins
La savane du Cap La Houssaye, visible depuis la Route des Tamarins
Les paysages de savane sont bien des paysages agricoles et non des paysages « naturels ». Spécifiques de l'Ouest au climat sec et chaud sur les pentes basses, ils sont directement liés à l'élevage, développé dès l'arrivée des hommes sur l'île, entretenu par le feu pour favoriser la repousse verte tendre mangée par les cabris (chèvres) ou les bœufs Moka (zébus). Le passage répété du feu et des animaux a conduit au développement de plantes pyrophytes (qui profitent du feu), notamment de l'Heteropogon contortus. Cette graminée fait presque à elle seule le paysage de savane qui en résulte : elle constitue de vastes étendues lumineuses rousses-orangées en saison sèche, verte en saison des pluies et bronze en saison intermédiaire : des paysages uniques qui concourent fortement à la diversité contrastée des paysages de l'île, valeur fondatrice de La Réunion comme évoqué dans l'introduction du présent atlas. Ils sont enrichis par les silhouettes de quelques arbres résistant aux dures conditions de sécheresse qui règnent : notamment le bois noir (Albizzia lebbeck). Les paysages de savane sont en voie de disparition aujourd'hui, mangés par l'urbanisation et par les mises en culture rendues possibles par l'irrigation. Ce sont des paysages fragiles, qui exigent de grandes surfaces entretenues pour être valorisants : lorsqu'ils se réduisent à quelques arpents pris entre deux secteurs habités, ils prennent limage d'une friche peu valorisée ; lorsqu'ils sont abandonnés par le pâturage et non incendiés, ils s'arment, gagnés par les touffes de chokas ou les fourrés denses et épineux du Prosopis (Zépinard), ce dernier peu attractif par sa couleur grisâtre et son caractère piquant impénétrable. On le voit en particulier entre la Grande Ravine et Saint-Leu, sur les pentes basses des Colimaçons et la Pointe des Châteaux.
C'est pourquoi les savanes tendent à être préservées au moins sur les deux grands caps de l'Ouest : le Cap La Houssaye d'une part et le Pointe au Sel d'autre part. Sur le Cap La Houssaye, la présence nouvelle de la Route des Tamarins supprime la zone de calme que constituait le Cap ; mais elle révèle au plus grand nombre la valeur méconnue de ces vastes étendues lumineuses ; la conception de la route a pris le parti de valoriser le paysage de la savane, par le tracé des chaussées en terrasses séparées et décalées, par le façonnage adapté des talus de déblais et de remblais, par l'aspect des ouvrages d'art, par la recherche de la perméabilité physique de la route pour laisser passer les troupeaux, et par la palette végétale adaptée aux conditions de milieu.
Les paysages de pâturages d’altitude
Pâturages sur les pentes hautes du Tampon/Notre-Dame de la Paix
Pâturages sur les pentes du volcan
Plus haut en altitude, à partir de 800 m d'altitude où les conditions climatiques plus fraîches et plus humides deviennent défavorables à la canne, de tout autres paysages liés à l'élevage se dessinent : verts pâturages, bordés de forêts, parfois piqués de fougères arborescentes, où paissent des vaches. L'ensemble baigne dans une ambiance lumineuse tôt dans la matinée puis rapidement brumeuse et mystérieuse le restant de la journée. Ce sont des paysages déjà traditionnels sur la Plaine des Cafres, plus récents sur les hauts de l'Ouest où ils se sont substitués aux champs de géranium à partir des années 1990. Ils contribuent puissamment à la palette surprenante de diversité des paysages Réunionnais. Sur la Pointe des Cafres en particulier, ils jouent un rôle stratégique particulièrement important en étant traversés par la RN3 et en servant de seuil aux paysages les plus attractifs et touristiques de l'île formés par le massif du Piton de la Fournaise. Le développement anarchique de l'urbanisation et d'équipements menace malheureusement ces magnifiques étendues de la Plaine des Cafres, qui paraissent grands et sont en réalité petits et fragiles.
Les paysages de nature jardinée
Elégante ambiance de nature jardinée à Piton Saint-Leu
Nature jardinée, pentes sud
Nature jardinée, vers le Baril
La « nature jardinée » a été identifiée dans « Paysage Côte Est » (CAUE 1990), qualifiant ainsi les paysages de la côte de Saint Benoît, Sainte-Rose, Saint-Philippe, formés par les cultures arborées mêlées qui accompagnent les cases égrenées au fil de la RN 2 : vergers plantureux plantés de letchis puissants, d'agrumes ronds et de bananiers aux verts lumineux, de vacoas étranges porteurs de vanille, de palmistes gracieux, d'arbres à pain vernissés et élégants, et de bien d'autres espèces généreuses ; autant d'essences magnifiques par leurs formes, souvent mêlées les unes aux autres, plus épanouies que partout ailleurs du fait d'un climat chaud et humide favorable, l'ensemble constituant une nouvelle facette particulièrement originale du kaléidoscope agricole de l'île. Outre la côte est, on retrouve la nature jardinée çà et là autour de l'île, sur la côte sud ou à la faveur des conditions favorables, humides et abrités des vents, rencontrées en fonds de certaines ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin, etc).
Les paysages agricoles des cirques et des îlets
Fragile îlet cultivé vers Mare à Martin/Bé Cabot, cirque de Salazie
Agriculture jardinée des hauts, Les Makes
Les espaces agricoles développés dans les cirques, et notamment perchés sur les étroits « replats » formés par les îlets, contribuent à la valeur paysagère des hauts : ils tempèrent la rudesse des puissantes pentes ravinées qui marquent les horizons de toutes parts, soulignent la présence des hommes dans des conditions naturelles improbables, révèlent et donnent à lire des sites étonnants. Ils proposent des paysages familiers et domestiques qui renforcent l'aspect oasis des îlets, en contrepoint des vastes étendues naturelles ou boisées alentours. Ils contribuent aussi à la diversité et à l'agrément des paysages de l'île en soulignant les spécificités propres à certains secteurs : le chouchou à Salazie, la vigne et la lentille à Cilaos, le cresson dans le fonds des ravines en eau (rivière du Mât, rivière Langevin, …), etc.
Les environs de Petite Ile
Globalement l'agriculture prend place principalement entre l'urbanisation littorale et les forêts ou espaces naturels d'altitude, sur les longues pentes extérieures de l'île, entre 0 et, selon les pentes, 400, 800 ou 1200 m d'altitude. De ce fait, elle est en concurrence directe avec la pression du développement de l'urbanisation d'habitat et d'activités, des infrastructures et des équipements, principalement concentrés sur les 800 premiers mètres d'altitude. La SAU a d'ailleurs diminué de 53 200 ha en 1980 à 43 700 ha en 2000. Chaque année, l'urbanisation consomme 500 ha de terres agricoles : soit l'équivalent de 3 terrains de football par jour tous les jours…
Cette situation se lit aujourd'hui dans le grand paysage, avec une présence presque systématique du semis d'urbanisation blanche piquant les étendues vertes agricoles, dans une imbrication parfois très étroite et complexe. Partout où porte le regard, le bâti est largement présent dans le grand paysage agricole ; il faut cadrer serré pour échapper à la présence des constructions. Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, les paysages agricoles de La Réunion sont de fait presque partout périurbains, et les logiques de développement ne peuvent ignorer les concepts d'agriculture périurbaine et urbaine.
Imbrication agro-urbaine, ici sur les pentes de Petite Ile
Grandes étendues agricoles vers Piton Saint-Leu
Grandes étendues agricoles vierges de construction à Savanna
Grands espaces cultivés des pentes de l’Ermitage, récemment irriguées par le projet ILO
Dans ce contexte, les grands paysages agricoles vierges de présence d'urbanisation, purement agricoles, deviennent particulièrement rares et précieux : ils constituent de véritables respirations sur les pentes (on parle de « coupures d'urbanisation »), bienvenues dans un contexte généralisé d'urbanisation diffuse et globalement médiocre ; en étant ouverts, ils mettent en scène de façon majestueuse les vues, non seulement vers le littoral et l'océan à l'aval, mais aussi vers les hauts et leurs sommets découpés comme de la dentelle, bleutés dans la vive lumière du matin, plus mystérieux l'après-midi en se voilant d'écharpes nuageuses. Il existe ainsi de véritables perspectives paysagères d'importance patrimoniale majeure.
Promenade dans les champs vers Le Bernica
Mais surtout, la situation périurbaine de l'agriculture apparaît encore peu reconnue économiquement et socialement. Outre son avenir économique même, c'est l'image de l'agriculture qui apparaît fragilisée, voire dégradée par la présence non maîtrisée d'urbanisation diffuse dans les parcelles ; mais c'est aussi l'usage socio-économique de l'espace agricole qui apparaît aujourd'hui décalé. Alors que les espaces naturels des hauts (volcan, cirques, forêts) comme ceux des plages sur le littoral, sont publics et largement appropriés par la population, les espaces agricoles sont privés et l'appropriation est au mieux visuelle : hormis leur rôle premier d'espaces de production, ils constituent de simples « décors » pour les habitants et visiteurs, visuellement sensibles mais vides d'usages. L'appropriation physique, par les chemins, par les « séjours à la ferme », par l'achat direct chez le producteur, ou par tout autre moyen favorisant l'échange entre agriculteurs et visiteurs, mais aussi entre espaces agricoles et urbains, reste un enjeu fort pour faire de l'agriculteur un acteur reconnu du cadre de vie et de l'agriculture une pièce maîtresse de l'aménagement du territoire. Le récent « schéma intercommunal d'aménagement des lisières agro-urbaines », engagé sur l'ouest (tco), devrait aider à aller dans ce sens.
Les paysages, l’urbanisation et les infrastructures
Les paysages, l'urbanisation et les infrastructures
Une ceinture d'urbanisation ?
L’urbanisation de Saint-Denis à la conquête des pentes, vue d’avion
La Réunion voit son organisation urbaine étroitement dépendante de la puissance de sa géographie naturelle. La carte de l'urbanisation montre à quel point le bâti se concentre sur les pentes basses de l'île, littorales ou proches du littoral. Hormis le dessous du volcan actif entre Sainte-Rose et Saint-Philippe, où le Grand Brûlé et ses environs restent principalement sauvages et naturels d'aspect, ces pentes basses apparaissent partout ailleurs franchement marquées par l'urbanisation. Le bâti s'y étend en un semis généralisé de taches blanches, d'autant plus visibles que les pentes s'affichent partout comme des présentoirs. Depuis le niveau zéro du littoral ouest par exemple, la ligne d'urbanisation qui suit la route Hubert-Delisle, à 800 m d'altitude, est souvent parfaitement visible.
Localement ces taches s'agglomèrent en amas pour former les villes qui s'égrènent sur le littoral, dans les plaines et sur les pentes. La nuit, c'est une constellation de lumières qui révèle l'omniprésence du bâti.
Des coupures d'urbanisation, dont certaines difficilement protégées par la Loi Littoral, parviennent encore à rendre lisible la succession différenciée des communes sur les pentes ; mais il s'agit de coupures physiques : visuellement, le littoral et les pentes basses n'échappent pas à l'urbain généralisé.
Le cirque de Mafate vu du Maïdo
En contraste, les pentes hautes, au-dessus de 800 mètres, ainsi que les cirques autour du Piton de Neiges et le massif du volcan actif, avec la plaine des Cafres entre les deux, apparaissent très peu habitées : ces « hauts » cumulent en effet les résistances naturelles au développement urbain : la force des reliefs, les difficultés d'accès et de dessertes, l'instabilité des sols et l'érosion, les rigueurs climatiques, la rareté des terres cultivables.
Les institutions ont contribué à fixer ce contraste entre hauts « naturels » et bas urbanisés : historiquement, les concessions ont été octroyées « du battant des lames au sommet des montagnes », ce sommet étant considéré comme la ligne de crête perceptible depuis le bord de mer. Concrètement, après d'innombrables conflits liés au flou de cette limite amont, les hauts ont ainsi été définis par une ligne domaniale et sont, depuis la départementalisation de 1946, propriété du Département. Depuis 2007, la création du Parc National, prenant presque l'ensemble des hauts et de l'intérieur de l'île, conforte cette dichotomie forte entre Bas et Hauts.
Urbanisation sur les pentes de La Possession
Une forte opposition se dégage ainsi à l'échelle de l'île entre les pentes basses et intermédiaires, largement gagnées par l'urbanisation, et les pentes hautes et reliefs intérieurs, presque inhabités. Aujourd'hui, 85% de la population occupe 1/3 de la superficie de l'île. 80 % de la population habite dans une bande littorale de 5 km de large ; 47% vivent à moins de 100 m d'altitude.
Remontée d’urbanisation sur les pentes de La Plaine Saint-Paul
Le schéma grossier de l'île est celui d'une ceinture littorale urbanisée encerclant un coeur vert de nature. « Nous sommes dans une île où le centre est la périphérie et la périphérie le centre », comme l'explique le géographe JM Jauze à ses étudiants. Ce schéma, dans son radicalisme simple, n'est pas sans poser problème. Il offre une vision planificatrice du territoire qui, poussée à l'extrême, constitue un risque de fracture environnementale et paysagère préjudiciable au développement durable de l'île.
L’étagement et l’alternance
Ce schéma d'ensemble, même s'il est tendanciel, apparaît trop grossier pour saisir la réalité des paysages habités des pentes.
Des nuances apparaissent, héritées de l'histoire et de la géographie, qui contribuent fort heureusement à diversifier les paysages habités : tous les bas ne sont pas urbanisés, même si les paysages véritablement sans bâti, exempts de toute construction, proprement agricoles ou naturels, y sont devenus rares (de même tous les hauts ne sont pas « vierges », et la présence des îlets dans les cirques, fragiles radeaux perdus dans l'océan déchaîné des pentes, des remparts, des mornes et des pitons, marque l'émouvante présence des hommes : tout petits dans une nature grandiose et sauvage d'aspect).
Sur les pentes, l'organisation de l'urbanisation est double : un étagement d'une part, une alternance d'autre part. L'étagement correspond à des « strates » d'organisation du territoire en fonction de l'altitude. Les paysages des pentes diffèrent en partie par cette organisation étagée et ses variations. De façon très grossière :
les pentes du nord-est sont organisées en quatre étages : littoral urbanisé, pentes agricoles, mi-pentes habitées, hauts (forêt) ;
- les pentes du sud en trois étages : urbanisation littorale, espace agricole et urbanisation des mi-pentes, hauts ;
- les pentes de Saint-Philippe et de Sainte-Rose comptent trois étages : littoral plus ou moins urbanisé (RN 2), pentes agricoles, forêt ;
- les pentes de l'ouest, les plus longues, comptent au moins six étages principaux : littoral urbanisé, pentes littorales sèches ou irriguées, urbanisation des mi-pentes, espace agricole plus ou moins mité, urbanisation des hauts (route Hubert-Delisle), hauts (pâturages, forêts, branles) ;
- les pentes de Saint-Denis sont urbanisées en continu entre littoral et mi-pentes, de même que les pentes de Saint-Pierre – Le Tampon, ainsi que Le Port-La Possession ; pour ces pentes, l'étagement est donc d'une autre nature en trois ou quatre strates : plaine urbanisée, pente urbanisée, espace agricole (le cas échéant), hauts (forêt).
Il existe bien des nuances et des situations particulières. L'essentiel est de saisir la nature stratifiée de l'urbanisation, étroitement liée à ses espaces non bâtis, littoraux, agricoles ou naturels
A cette stratification (ou étagement) s'ajoute une alternance (ou séquençage), cette fois pour un même étage :- alternance de littoral construit et de littoral « naturel » : une alternance essentielle, qui garantit la lisibilité et l'existence même des villes et stations balnéaires successives, dans leur identité, et qui garantit également l'accessibilité au littoral, espace de liberté et aujourd'hui de loisirs ; ce jeu d'alternance est organisé aujourd'hui par les propriétés du Conservatoire du Littoral ou du Conseil Général et la Loi Littoral.
- alternance de pentes agricoles et de pentes urbaines : une alternance aujourd'hui fragilisée par le mitage et l'urbanisation linéaire qui tendent à noyer l'ensemble dans une émulsion généralisée ; c'est l'un des enjeux les plus forts du devenir de l'île en termes de paysage : savoir décanter cette situation, en organisant l'étagement et l'alternance à des échelles fines, en inventant une forme « d'agro-urbanisme ».
L'histoire du peuplement de l'île par les hommes permet de comprendre la situation actuelle, la constitution progressive des paysages urbanisés et de dégager leur typologie actuelle. Elle permet également de mesurer à quel point le phénomène urbain est puissant et récent. Cette histoire est largement liée aux infrastructures de transports et de déplacements.
1646-1715 : « Baie du meilleur ancrage » et « Beau Pays »
l'implantation humaine au nord
Les premières implantations humaines de La Réunion, engagées à partir du milieu du XVIIe siècle, sont dépendantes à la fois du seul moyen de transport d'origine possible qu'est le bateau, et des facilités de mise en valeur des terres. Ce sont sans doute les deux raisons qui expliquent la prééminence du développement d'origine dans le nord de l'île. Au nord-ouest, la baie de Saint-Paul est la seule qui soit accueillante pour les bateaux. Déroulée en arc de cercle entre la Pointe des Galets et le Cap La Houssaye, sableuse et non rocheuse, à l'abri des vents alizés, c'est « la baie du meilleur ancrage ». Au nord-est, les pentes de Sainte-Suzanne sont les plus douces et les plus fertiles que l'on puisse trouver sur l'île : elles vont rapidement devenir « le Beau Pays ».
C'est sur ces deux points de l'île que sont débarqués les premiers habitants : en 1646 à ce qui deviendra Quartier Français près de Sainte-Suzanne (12 mutins ou « ligueurs » exilés de Fort-Dauphin par le commandant Pronis) ; en 1654 à Saint-Paul (14 mutins de Fort-Dauphin à nouveau, dont Couillard, le second du commandant Flacourt).
La commodité d'accès par la baie de Saint-Paul favorise l'installation progressive autour de la lagune : Payen et ses compagnons en 1663 (12 personnes au total), et les premiers colons officiels en 1665 (dont Regnault). Immédiatement après Saint-Paul en 1665, le quartier de Sainte-Suzanne est fondé en 1667.
A mi-chemin entre les deux, celui de Saint-Denis est créé dès 1669 : c'est « la clef du Beau Pays », selon Regnault. Le site de la ville est en effet aux portes des pentes douces et fertiles du nord-est, déroulées jusqu'à Saint-Benoît en passant par Sainte-Suzanne ; et la rivière Saint-Denis, au pied du rempart de la Montagne, permet des débarquements ; plus tard, le site de Saint-Denis sera préféré aussi pour des raisons militaires et géographiques qui s'ajoutent aux motivations économiques : la rade paraît plus facilement défendable en cas d'attaque en provenance de la mer, et les liaisons avec l'Ile-de-France sont plus rapides grâce aux alizés et à la moindre distance à parcourir.
1715-1807 : la colonisation du XVIIIe siècle, le temps des implantations littorales, la naissance du paysage urbain
La population n'atteint pas le millier d'habitants en 1710 (894 habitants en 1709). Le café à partir de 1715, ainsi que les indispensables cultures vivrières, vont accélérer son augmentation, d'autant que la mise en valeur des terres nécessite de la main d'oeuvre et va conduire au développement massif de l'esclavage : 8000 habitants en 1735 (à l'arrivée de La Bourdonnais), 22 300 en 1761, 47 195 en 1788 (dont ... 38 000 esclaves), 67 569 habitants en 1805 (dont 52 188 esclaves). La traite s'organise d'Afrique orientale, de Madagascar mais aussi d'Inde. La progression des colons est rapide : ils occupent la région du Gol en 1719, les pentes du Bras de Cilaos et du Bras de la Plaine en 1725, Vincendo en 1731. En 1740, les basses pentes sont pratiquement occupées. Cinq quartiers principaux se constituent. Outre Saint-Paul, Saint-Denis et Sainte-Suzanne, les quartiers de Saint-Benoît et de Saint-Pierre marquent les prolongements des premières implantations vers l'est et vers le sud. C'est de cette époque que datent les plans en damiers, qui marquent aujourd'hui les paysages urbains de Saint-Denis et de Saint-Pierre au premier chef, mais aussi de Saint-Paul. Celui de Saint-Denis est tracé par l'ingénieur Paradis en 1732, sur ordre du gouverneur Dumas.
Pour conquérir les terres vierges, de nouveaux quartiers sont fondés : Sainte-Marie, Saint-André et Saint-Louis en 1768, Saint-Leu en 1777, Saint-Joseph en 1785. Quant aux Hauts, c'est la soif de liberté qui conduit à leur occupation par les noirs marrons, esclaves évadés, premiers habitants des cirques.
Presque tous les quartiers restent des villages aux habitations dispersées dans les « écarts », aux multiples paillotes. Seules les villes de Saint-Denis, de Saint-Paul et de Saint-Pierre se constituent progressivement dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Sur la base des plans en damiers, les pâtés de maisons se remplissent, de nouvelles rues se créent. A Saint-Denis, des nouveaux entrepôts s'implantent sur le bord de mer ; le Jardin du Roi, futur jardin de l'Etat, est aménagé en haut de la rue Royale. « Le règlement d'urbanisme de Bellecombe et Crémont de 1772 et le plan de Banks de 1774 définissent enfin des normes : l'entourage des « emplacements », le type de construction (suppression des paillotes), la largeur des rues et jusqu'à l'emplacement des latrines sont codifiés. (...) Les moyens accrus des propriétaires leur permettent de construire, en bois ou en dur, les premières « villas créoles ». (D. Vaxelaire, le grand livre de l'histoire de La Réunion).
Entre les quartiers qui s'établissent autour de l'île, les échanges se font par voie de mer, au moyen de chaloupes pontées, de goélettes, de gabares, qui s'ajoutent aux bricks ou aux trois-mâts venus de France. Le littoral est donc investi par nécessité et des débarcadères essaiment sur la côte. On compte ainsi une quarantaine de « marines » sur le tour de l'île, dont une dizaine sur Saint-Denis. Les chemins terrestres sont empruntés à pied, à cheval ou en palanquins portés par les esclaves ; ils sont difficiles, et supposent notamment la traversée des ravines à gué.
Entre le nord et l'ouest, l'obstacle des falaises de la Montagne, à pic dans la mer, a conduit à la création d'un chemin au-dessus des falaises, entre Saint-Denis et La Possession, pavé entre 1730 et 1735 : c'est le « chemin des Anglais », ainsi appelé parce que les Anglais l'ont emprunté en 1810 pour attaquer Saint-Denis.
1807-1860, l'âge d'or cannier
la création des domaines, la conquête des hauts, l'embellissement des villes et le développement des infrastructures
Au XIXe siècle, la population gagne un peu plus de 100 000 habitants : elle passe de 67 569 habitants en 1805 (52 188 esclaves) à 110 000 en 1848 (62 000 esclaves) et à 173 000 en 1900. Cette croissance est toutefois ralentie à partir des années 1860 par les maladies favorisées par l'arrivée des engagés : les épidémies de variole, de choléra, de typhus et surtout de paludisme, vont durer jusqu'au lendemain de la première guerre mondiale.
Cheminée d’ancienne usine à Piton Saint-Leu
En termes de paysage, la transformation est surtout le fait des cultures elles-mêmes, puisque la canne se substitue rapidement aux autres cultures du XVIIIe siècle : café, mais aussi blé, coton, riz, épices, etc. (voir le chapitre « les paysages et l'agriculture »). La canne s'accompagne d'un essaimage extraordinaire des usines, avant qu'un mouvement de fermeture et de concentration irréversible s'engage : on en compte 120 en 1860 et déjà deux fois moins en 1880, seulement 20 en 1915. Pour certaines, leurs ruines marquent encore aujourd’hui les paysages des pentes basses de l'île, notamment les cheminées. Toutes servent de repères dans le paysage local, certaines ont même fait l’objet d’une inventive réhabilitation comme le centre nautique de La Saline.
Si le paysage agricole est profondément transformé au XIXe siècle, le paysage habité quant à lui évolue également, mais la poussée démographique ne conduit pas à un développement urbain massif. C'est une économie de plantation qui est en place, beaucoup plus que de services et de commerces. L'habitat ne s'agrège pas vraiment en centres urbains. L'enrichissement se lit dans les villes centres de Saint-Denis et de Saint-Pierre par l'édification de monuments, mais la transformation du paysage habité est surtout le fait de la colonisation des hauts et de la création de domaines agricoles, avant que, dans la seconde moitié du siècle, se développent les infrastructures.
Les paysages habités des hauts, les îlets
Quatre raisons au moins expliquent la conquête des hauts au XIXe siècle : la fin du danger représenté par le marronnage, la pauvreté qui pousse à la conquête de nouvelles terres, le thermalisme dans les cirques, et l'hygiénisme qui incite à rechercher le bon air.
La colonisation des cirques est lente après le marronnage. Elle s'opère d'abord de façon individuelle, puis par des concessions. Elle est le fait des « pauvres blancs », ou « petits créoles », qui deviendront les « petits blancs des hauts », ruinés par la disparition de la main d'oeuvre esclave à partir de 1848, ainsi que par la réduction des tailles d'exploitations au fil des héritages et des partages successifs. Le développement du thermalisme va favoriser le processus de conquête : Salazie est fondée en 1831, l'année même de la découverte des sources ; le village compte 1700 habitants en 1848, 6000 en 1880. Cilaos se développe à partir de 1840 (la source est connue depuis 1816), plus lentement que Salazie du fait des difficultés d'accès : un premier chemin permet d'atteindre Cilaos en 1832, à pied ou ... en chaise à porteur! Il est complété par un dangereux chemin cavalier en 1842. Il faut compter trois jours de voyage pour atteindre le cirque depuis Saint-Denis. Le village compte 2000 habitants en 1880. A Mafate, la source du Bronchard est trop difficile d'accès pour permettre le développement du thermalisme ; seulement quelques centaines d'habitants peuplent le cirque en 1880. Quant aux Plaines (plaine des Palmistes et plaine des Cafres), leur colonisation est difficile malgré l'octroi de concessions de 3 à 40 ha dans les années 1850.
Le Domaine de Montgaillard en ruine, avant sa réhabilitation : ancien domaine de villégiature, au frais sur les pentes de Saint-Denis
Au cours de ce siècle hygiéniste, l'attraction des hauteurs est renforcée par le bon air qu'on y respire, et qui favorise le développement de résidences d'altitude : dans les hauteurs de Saint-Denis, sur les Plaines, dans les hauts de l'Ouest : le Tévelave, les Avirons, Trois-Bassins, Piton Saint-Leu, la Saline. Des hauteurs d'autant plus recherchées que les maladies, notamment le paludisme, sévissent tout au long de la deuxième moitié du siècle.
Les grands domaines
Le Domaine des Colimaçons, repérable dans le paysage à ses grands araucarias-signaux
L'enrichissement grâce au développement de la canne à sucre conduit à la création de domaines agricoles qui marquent encore les paysages des pentes basses de l'île aujourd'hui : allée de palmiers à travers champs, vaste jardin protecteur, grande maison accueillant par la varangue sur la façade principale et dépendances cachées à l'arrière : cuisines, magasins, logements des domestiques, basse-cour, ... Certains de ces domaines sont restés privés, comme le Grand Hazier sur les pentes de Sainte-Marie, d'autres sont devenus publics : Villèle, Bois Rouge, les Colimaçons, ... De grandes propriétés foncières se constituent, la plus vaste étant celle des Kervéguen, dont on retrouve aujourd'hui le toponyme en plusieurs endroits. En 1860, cet « empire » comprend des usines et domaines principalement dans le sud-ouest de l'île : le Portail, le Gol, la Chapelle, Etang Salé, Le Tampon, Terre Rouge, les Casernes, Mahavel, Mon Caprice, Ravine Blanche, Ravine des Cabris, Rivière Saint-Etienne, Langevin et Vincendo ; mais aussi dans l'est avec Quartier Français et Champ-Borne
Les monuments des villes
Belle case rue de Paris (Conseil Général, Direction de la Culture)
Ancienne case Deramond-Barre rue de Paris, siège du SDAP
La ville coloniale qui prend corps n'est fondamentalement pas « urbaine ». Elle apparaît comme « la reproduction de la structure agraire d'habitation, dans la mesure où l'on y retrouve cette disposition spatiale caractéristique, marquée par l'opposition : demeure du maître-centre, camps des travailleurs-périphérie. » (JM Jauze).
La richesse produite par la canne permet néanmoins la construction de monuments civils, religieux et militaires. C'est ainsi que Saint-Denis construit sa nouvelle mairie, sa cathédrale et son immense caserne. Les bâtiments en pierre se multiplient. La ville est stratifiée d'aval en amont : bas de la ville maritime et militaire, pris par les batteries, les magasins et les marines ; rues intermédiaires mêlant logements et commerces ; rues hautes partagées entre demeures de l'élite sucrière et commerçante et maisons plus modestes.
Les routes et les ponts
Il faut attendre les années 1850 pour que les routes commencent réellement à desservir de façon fiable le territoire réunionnais : la route de ceinture côtière (actuelles RN 1 et RN 2) est bouclée en 1854, avec le franchissement du Grand-Brûlé (la route des laves). Sous l'impulsion de l'énergique Henri Hubert-Delisle, gouverneur de 1852 à 1858, la route d'altitude créée à 500-800 m d'altitude et qui porte aujourd'hui son nom, est ouverte en 1857 ; il est également le créateur de la route des plaines (actuelle RN 3), seule route à traverser de part en part l'intérieur de l'île. Des ponts permettent de franchir les ravines. D'abord construits en bois, ils seront détruits par les cyclones et progressivement reconstruits en pierre.
1860-1945 : le train et le port
1860-1945 : le train et le port
La crise qui se développe à partir des années 1860 va fortement ralentir le développement de l'île. La population de 173000 habitants en 1900, n'est pas plus nombreuse en 1920 et atteint 200 000 habitants à l'aube de la deuxième guerre mondiale.
Pourtant, l'amélioration des infrastructures s'avère indispensable. Il faut notamment un port pour l'île : avec l'ouverture du canal de Suez en 1869 et le développement de la marine à vapeur qui remplace la marine à voile, La Réunion doit accueillir des bateaux modernes exigeant de vastes bassins en eau profonde.
A ce titre, le destin de Saint-Pierre est cruel : la ville a investi dans un port sous l'impulsion d'Hubert-Delisle. Réalisé non sans mal, il est inauguré en 1865, au moment même où les bateaux à vapeur exigent d'autres dimensions. Il faut transformer l'ouvrage à peine mis en service, l'agrandir et surtout l'approfondir ; de nouveaux travaux s'engagent, en pleine crise, qui ne s'achèveront qu'en 1883. Entre temps, un autre projet est né, plus au nord ... qui connaîtra aussi son lot de difficultés. Mais dans le sud, la ville de Saint-Pierre est endettée pour longtemps.
La création du port de la Pointe des Galets est étroitement dépendante de celle du chemin de fer de Saint-Pierre à Saint-Benoît. En concentrant le chargement/déchargement des marchandises sur un seul port, les liaisons terrestres de raccordement deviennent vitales. C'est l'arrêté du 28 octobre 1876 qui déclare d'utilité publique leur création conjointe. On crée la CPR : compagnie du chemin de fer et du port de La Réunion. Le train doit par la même occasion permettre de vaincre l'obstacle contraignant des falaises du littoral de La Montagne, barrière terrestre entre le nord et l'ouest, qui coupe l'île en deux.
Le pont du CFR sur la Ravine Fontaine
Le pont du chemin de fer sur la Petite Ravine, pris aujourd’hui par la RN 1
Passerelle du CFR sur l’étang de Saint-Paul, utilisée aujourd’hui pour les circulations douces
Le chemin de fer est inauguré dès 1882 ; il s'allonge sur 126 kilomètres, franchit les ravines par 41 ponts métalliques et 14 ponts de maçonnerie. Il en reste quelques-uns aujourd'hui, qui marquent le paysage littoral par leur discrète et simple élégance. La plupart sont abandonnés, mais certains réutilisés pour d'autres usages : le viaduc de la Petite Ravine est emprunté par la RN1, le pont métallique du bras de l'étang Saint-Paul sert aux circulations douces. Quant aux emprises, elles offrent par endroits la possibilité de circulations piétonnes et cyclables.
Le port Ouest aujourd’hui
La création du port de la Pointe des Galets est laborieuse. Les travaux s'étendent de 1879 à 1886, gênés par la mer, les barres rocheuses imprévues, les épidémies dans le camp des ouvriers. Après son inauguration, d'autres problèmes surgissent: la modification des courants côtiers du fait des digues édifiées conduit à des dépôts d'alluvions devant l'entrée du port ; les cyclones de 1900 et 1904 détruisent les digues, ... Il faut attendre les années 1920 pour que le port fonctionne de façon fiable. Quant à la ville du Port, elle se développe rapidement sur la pointes des Galets : plus de 2000 habitants dès 1895, 4 355 en 1926, 9207 en 1946, à la veille de la départementalisation.
L'urbanisation reste faible. Les seules vraies villes sont celles de Saint-Denis, Saint-Pierre et désormais Le Port. Les quatre centres suivants (Saint-Paul, Saint-Louis, Saint-Benoît, Saint-André), bien que gros chacun de plus de deux mille habitants « ne pouvaient être considérés tout au plus que comme des gros bourgs semi-urbains » (JM Jauze). L'ensemble n'héberge que 20% de la population. Les 80 % restants habitent hors villes ou bourgs semi-urbains, dans les villages ou les bourgs ruraux.
Quant au réseau routier, il reste tout aussi modeste, principalement hérité des années 1850. Néanmoins la route de Cilaos (actuelle RN 5), véritable monument par les contorsions qu'il a fallu lui faire faire pour franchir les reliefs titanesques qui la dominent (37,7 km, 420 virages), est taillée héroïquement de 1927 à 1932, et son achèvement complet date de 1945.
Dès 1911, des autos-cars de 9 à 14 places sillonnent l'île pour compléter la desserte ferroviaire. Quant à la voiture individuelle, elle ne représente rien jusqu'à la deuxième guerre : la première voiture a roulé en 1900, mais en 1940, on en compte toujours moins de mille dans l'île. Il n'y a que 50 kilomètres de routes bitumées en 1940.
1946 - 2000, la croissance démographique et le règne de la voiture - Le phénomène urbain et l'essaimage de l'urbanisation
Le phénomène urbain et l'essaimage de l'urbanisation
Une typologie des paysages habités
A l'issue de 350 ans d'occupation humaine, - dont 60 ans d'extraordinaire bouleversement de l'île, au cours desquels la population a été quasiment multipliée par 4 et est devenue brutalement majoritairement urbaine -, il n'est pas aisé d'établir une typologie des paysages habités. Les documents d'urbanisme en général se cantonnent prudemment dans une hiérarchie quantitative ; par exemple dans le nouveau SAR : pôles principaux, pôles secondaires, villes relais, bourgs de proximité et bourgs multisites. Les documents d'urbanisme en général se cantonnent prudemment et classiquement dans une hiérarchie quantitative, entre (...).
Mais l'absence de typologie, de reconnaissance de paysages urbains différenciés, nuit à la définition de politiques autres que quantitatives (x logements/ha, xx% de logements sociaux, xxx% de logements collectifs, xxxx% de locatif,etc).
Certains paysages habités ont survécu aux bouleversements, gardant leur personnalité même si, bien sûr, ils ont évolué. D'autres sont récents et déjà vieillissants, appelés à poursuivre leur mutation ; d'autres enfin sont entièrement nouveaux, et préfigurent peut-être les paysages urbains de demain. La difficulté principale tient à la localisation de ces types de paysages habités, tant ils tendent désormais à s'entremêler à l'échelle de quartiers, voire à la parcelle, dans une hétérogénéité totale. Plutôt que d'ambitionner vainement l'exhaustivité, en affectant un « type » à tout quartier existant, la typologie suivante s'attache à mettre en évidence des paysages habités marquants.
Le paysage des îlets
Ilet-à-Cordes, cirque de Cilaos, vu de la fenêtre des Makes
Ilet à Bourses, perdu dans les verticales du cirque de Mafate
Les îlets, formés véritablement au XIXe siècle, ont bien sûr évolué en termes d'habitat, passant de la paillote au bois sous tôle et au dur, s'équipant de panneaux solaires et d'antennes paraboliques, s'agrandissant pour répondre à la demande touristique en gîtes d'étape. Mais leur situation, confinée par nécessité à d'étroits replats dérisoires comparés aux pentes vertigineuses et gigantesques qui les cadrent de toutes parts, en font un type bien particulier de paysage habité.
Mêlant intimement les surfaces domestiques et cultivées et l'habitat, leur qualité est fragile, à la merci d'équipements, d'aménagements et d'agrandissements incontrôlés. Leur maîtrise qualitative est un enjeu social et touristique fort.
Le paysage des centres urbains ordonnancés
Plan en damier à Saint-Pierre, perspective d’une rue descendante vers la mer
Les plans en damiers réguliers orthonormés, hérités du XVIIIe siècle, dessinent le paysage des centres-villes principaux : Saint-Denis, Saint-Pierre, Saint-Paul, ... Tracés par des militaires, ils dessinent également les bourgs moins denses comme la Plaine-des-Palmistes, ou Hell-Bourg. Ces plans perdurent, continuent à offrir des perspectives urbaines intéressantes, souvent cadrées sur des reliefs environnants, ou sur la mer, même si, autour de cette ossature pérenne, la chair urbaine évolue. C'est dans ces structures urbaines stables que le patrimoine bâti est le plus riche : monuments, cases et jardins.
Le paysage urbain du Port, ordonnancé par ses avenues plantées
Dans un tout autre registre, la ville du Port entreprend depuis des décennies la résorption de ses bidonvilles, les logements sortant de terre à partir d'une trame d'avenues plantées qui ordonnancent la ville. Ces avenues ont longtemps été les seuls espaces publics contemporains aménagés dans l'île.
Globalement, la croissance de l'urbanisation a été si rapide et si forte que beaucoup de quartiers de périphéries n'ont pas bénéficié de telles compositions. Les villes sont aujourd'hui largement environnées de quartiers poussés trop vite, cisaillés par les routes où le transit a pris le pas sur la desserte locale, bardés de bâtiments commerciaux, piqués de bâti d'habitation hétérogène, au point qu'il est difficile en l'état de parler de paysage constitué. Il s'agit plutôt d'espaces en devenir, appelés à se transformer sur eux-mêmes, à « s'urbanifier » après s'être urbanisés : les extensions est de Saint-Denis sont plus particulièrement marquantes dans ce registre.
Le paysage des routes lignes de vie
La route nationale, ligne de vie dans le sud-est : ici avec l’habitat de Manapany cristallisé à ses abords
Culturellement, l'égrenage des cases au fil de la route a généré des paysages habités traditionnels qui font encore par endroits le charme de la découverte de l'île, révélateurs d'un certain art de vivre : c'est « la route ligne de vie », telle qu'elle a été analysée en 1990 dans l'ouvrage « Paysage Côte Est » (CAUE/ Bertrand Folléa) portant sur la RN2 entre Sainte-Anne, Sainte-Rose et Saint-Philippe. Les cases, modestes mais souvent soignées, affichent coquettement leurs façades les plus travaillées et colorées du côté de la route. Un jardin plein de fleurs, non clôturé et fait pour être vu depuis la route, les accompagne. L'utilitaire est disposé sur les côtés ou caché des regards sur l'arrière dans la cour : plantes utilitaires médicinales, fruitières ou légumières, boucan (cuisine). Ce schéma d'organisation a été créateur d'un paysage habité de grande qualité. On le trouve encore autour des routes calmes dans les quartiers traditionnels.
Au cours des dernières décennies, la route ligne de vie été largement victime du développement des routes, recalibrées (c'est-à-dire élargies) pour être plus roulantes, et de ce fait plus agressives : suppression de la place pour le passage des piétons dans des conditions de confort et de sécurité satisfaisantes, vitesse excessive des voitures, création de clôtures privatives en dur et hétéroclites peu avenantes. Par ailleurs, la voiture a facilité l'allongement infini de ces quartiers, devenus longuement linéaires, supprimant les coupures d'urbanisation, les espaces de respiration et les ouvertures visuelles, fragilisant les espaces agricoles, et noyant l'identité des bourgs successifs dans un continuum ennuyeux et fastidieux à parcourir. C'est le mal qui a touché par exemple la route Hubert-Delisle.
Le paysage des quartiers-jardins
Quartier résidentiel à jardins, Saint-Joseph
Quartier résidentiel à jardins, la Plaine Saint-Paul
Quartier résidentiel à jardins, Piton Saint-Leu
Habitat collectif contemporain et trame végétale, Parc de la Poudrière, Saint-Paul
Les villes et villages-jardins sont hérités de l'économie de plantation qui a longtemps façonné le visage de l'île. Même en pleine ville, la case tend à reproduire le schéma du domaine agricole cannier : isolée dans son jardin, accueillant le visiteur et captant le regard par une façade principale travaillée, agrémentée d'une varangue, ouverte sur l'espace public par le barreau, parfois même ornée d'un guettali d'où l'on peut observer le va-et-vient de la rue, et espaces utilitaires masqués par derrière. La présence des jardins contribue à tempérer l'air chaud, à offrir de l'ombre et des plantes utilitaires ou décoratives, pour le plaisir. Qu'il habite une grande case opulente et ornée, ou à l'inverse une modeste case toute simple même faite de tôle, les Réunionnais ont développé une véritable civilisation végétale, un goût, un attrait et un savoir développés envers les plantes : à fleurs, à fruits, à épices, médicinales ; dans le jardin, dans la cour, sous la varangue ou sous l'ombrière ... et désormais sur le balcon.
De véritables quartiers-jardins se sont ainsi développés, parfois à grande échelle, bien visibles sur les pentes, comme Piton Saint-Leu, La Plaine/Bois de Nèfles Saint-Paul, …, mais couvrant aussi de vastes étendues de plaines, comme Champ-Borne à Saint-André ou, dans les hauts, la Plaine-des-Palmistes.
Les quartiers-jardins ont pu dédouaner les collectivités de leurs responsabilités, qui ont certes répondu à la demande sociale pour une case et un jardin, mais qui n'ont pas anticipé sur un certain nombre de problèmes liés à la généralisation du modèle. Globalement, ces quartiers désormais dilatés souffrent d'absence de centralités, de coupures physiques entre opérations, d'absence d'espaces publics. Le paysage qu'ils offrent de l'intérieur est largement dégradé par les clôtures en dur et la minéralité brute des « espaces publics » réduits à des voies de dessertes. Etendus sur de vastes superficies, ils rendent les habitants très dépendants de la voiture individuelle pour leurs déplacements et coûtent chers en services et en réseaux. Par ailleurs le même modèle « densifié » par l'octroi de parcelles plus petites supprime le seul intérêt de ces quartiers d'habitat individuel : la présence unificatrice et bienfaisante de la végétation arborée.
Des quartiers récents d'habitat collectif, prenant en compte la valeur du végétal pour la ville durable, commencent tout juste à sortir de terre. Ils préfigurent peut-être l'urbanisme végétal de La Réunion de demain.
Le paysage de l’habitat dispersé et le paysage du mitage
L’habitat dispersé est une caractéristique rurale de La Réunion, au point que l’on a longtemps eu du mal à parler de « villages », terme assez peu adapté au mode de vie et au paysage traditionnels Réunionnais. A la suite de l’abolition de l’esclavage, puis du morcellement de la propriété, la population s’est dispersée et les cases se sont essaimées dans le paysage agricole, chacune environnée de son jardin à caractère essentiellement utilitaire. Jusqu’aux années 1950, l’abondance, l’élégance et la diversité de cette végétation, alliées à la modestie et à la douceur de ces cases longtemps construites en matériaux naturels (paille, bois), ont créé un paysage habité de grande qualité, même si, à l’aune de nos critères actuels, l’habitat pouvait paraître « insalubre » : ambiance végétale, pourvoyeuse d’ombre et de lumière filtrée, ainsi que de fruits et légumes, discrétion du bâti, imbrication étroite de l’intime (jardin, case) et du grandiose (vue sur le grand paysage).
L’augmentation très forte de la population, alliée à la facilité des déplacements offerts par la voiture individuelle, a favorisé de façon généralisée cette dispersion de l’habitat, conduisant au « mitage » du paysage, terme désormais consacré et connoté négativement. Car le paysage qui en est résulté, et dont on hérite aujourd’hui, apparaît différent : les cases se sont durcies et agrandies, la végétation est moins présente avec le développement des pelouses et le rétrécissement des parcelles ; globalement le paysage a « blanchi » à la faveur de cet essaimage de cases désormais bien visibles sur les pentes basses et intermédiaires de l'île, égrenées dans l'espace agricole, en général à la faveur des routes. Le phénomène est à peu près généralisé partout, ne laissant que très peu de vrais grands espaces purement agricoles : à Sainte-Marie/Sainte-Suzanne, au-dessus de Piton Saint-Leu, au-dessus de Saint-Pierre en direction de Mont-Vert. Le mitage ainsi occasionné, outre les problèmes de coûts de réseaux et de services imposés, de dépendance à la voiture, de fragilisation des espaces agricoles et des corridors écologiques, affadit les paysages en les uniformisant dans une émulsion généralisée qui fait disparaître aussi bien le paysage urbain que le paysage agricole.