A une échelle plus fine en revanche, et sans qu'il soit simple de le quantifier, le « petit » patrimoine de pays disparaît inexorablement, ôtant à La Réunion une part de son âme, de sa personnalité, de sa saveur : une petite case par-ci, un jardin par là, une boutique traditionnelle encore par là, etc.
A la demande du SDAP (Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine), Daniel Vaxelaire a réalisé dans les années 1990 tout un inventaire de ce patrimoine, qui a donné lieu à un ouvrage (« Trésors ! Le patrimoine caché de La Réunion », Azalées éditions 1996). La DRAC a de même effectué des inventaires des petites cases. Mais ces efforts n'ont pas été traduits dans les politiques publiques locales : identifications aux documents d'urbanisme, acquisitions et rénovation, soutien à la gestion et à l'entretien, valorisation économique et touristique, …
Les éléments de ce patrimoine fragile sont nombreux : les maisons de villes, de banlieues, le « changement d’air », les champs, les commerces, les lieux de savoir (écoles, collèges, …), de santé (lazaret, …), de prière, les jardins, les cimetières, les canaux, les usines, les minoteries et moulins, les ponts, les marinas et les ports, les batteries et poudrières, les fontaines, les escaliers, les puits, les entrepôts, …
Au-delà de ces « objets construits » qui font patrimoine, on peut considérer que certains ensembles composent un paysage à caractère patrimonial, précieux pour la mémoire, la culture, l'histoire et l'identité insulaire, outre la valeur touristique qu'ils peuvent prendre par ailleurs. Les anciens domaines, associant la maison principale, le jardin, les dépendances et l'espace agricole, en font partie au premier chef. On peut aussi citer certaines portions de routes « lignes de vie », où la « symbiose » harmonieuse et délicate s'opère entre les cases, la route et la nature jardinée qui environne l’ensemble, telle qu’elle a été initialement identifiée dans l’Est avec la RN2 dans l'ouvrage « Paysage Côte Est » (B. Folléa CAUE 1990). C'est le cas du chemin du Tour des Roches, qui mérite depuis longtemps une réhabilitation à caractère patrimonial, et de routes habitées de fonds de ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin …). Les îlets sont également des paysages patrimoniaux fragiles : havres de fraîcheur et d'accueil perdus dans la rudesse sauvage des temples de l'érosion que forment les cirques, ils constituent de précieux témoignages de la vie dans des conditions hors du commun de montagne tropicale. Enfin, en milieu urbain, le bourg de L'Entre-Deux est le seul, avec Hell-Bourg, à avoir su préserver un ensemble bâti et végétal à caractère patrimonial. Ailleurs, des quartiers-jardins composent des paysages culturels qui méritent d'être identifiés avant que des opérations de densification ne les fassent totalement disparaître.
L'urbanisation est parfois étroitement inféodée à un lieu particulier, constituant alors un site bâti qui, perceptible de loin, contribue à la qualité du paysage : une baie, un piémont, un sommet, un bord de rivière, un replat, …
A La Réunion, ce sont les îlets dans les cirques qui composent les sites bâtis les plus remarquables et spectaculaires. Ailleurs, la relative régularité des pentes ne contribue pas à « caler » le développement urbain dans une topographie particulière.
Aussi l’urbanisation tend-elle insidieusement à effacer les espaces de respiration (ou coupures d’urbanisation), souvent agricoles, qui séparent les bourgs les uns des autres. C’est d’autant plus vrai que la contrainte de la pente incite à urbaniser en linéaire, au fil des routes qui relient les bourgs les uns aux autres. Par ce processus, une conurbation périphérique du pourtour de l’île se met en place.
Outre les problèmes de consommation d'espace agricole et naturel (voir 2.1. La fragilisation des paysages agricoles), le phénomène de conurbation gomme l'identité de chaque bourg, efface les repères, oblige les habitants à vivre dans des espaces urbains continus, indifférenciés et éloignés des sites de nature ou de loisirs de proximité. Par ailleurs il provoque des conflits d'usage entre urbanisation et infrastructures, baissant à la fois la qualité de vie (autour des voies) et la qualité de circulation (intra-urbaine, sans efficacité inter-urbaine). Dans ce contexte, les rares sites bâtis intéressants du littoral tendent à être débordés par l'urbanisation, malgré les dispositions de la Loi Littoral en faveur des coupures d'urbanisation : à Saint-Paul (Grande Fontaine), à Boucan Canot, à Saint-Gilles, par exemple, l'urbanisation remonte du piémont, atteint les pentes et gagne les crêtes de façon continue et indifférenciée.