2.6. La dévalorisation des paysages de l’eau douce


2.6.1. Une gestion excessivement technique de l’eau


Détentrice de records mondiaux en matière de pluviométrie, l’île de La Réunion bénéficie annuellement d’un volume de pluie suffisant, à première vue, pour couvrir les besoins de la population, de l’agriculture et de l’industrie.  Les ressources annuelles sont estimées entre 3 et 5 milliards de m3, et les besoins actuels à 200 millions de m3. Mais la gestion de l’eau s’avère délicate du fait d’une répartition très irrégulière entre Est et Ouest (pluviométrie moyenne : est : 4 900 mm ; ouest : 1 300 mm), entre les Hauts et les Bas (une eau de surface intermittente dans les Hauts et des nappes littorales pérennes dans les Bas) et dans le temps (alternance entre saison sèche et saison des pluies).

A ces handicaps naturels, s’ajoute l’évolution prévisible et à court terme des besoins en eau pour répondre à l’accroissement de la population, entraînant le risque de surexploitation et de pollution des nappes et des rivières. Et un fort enjeu éducatif pour être moins dispendieux : aujourd’hui, La Réunion consomme 300 litres d’eau par jour et par habitant, contre 190 litres en moyenne nationale.

La prise de conscience des enjeux liés à l’eau, tant au niveau économique que social, a trouvé expression dans la mise en place d’une politique de Gestion Globale de l'Eau. Initiée par le Département, en partenariat avec l’Etat et les collectivités locales, la gestion globale de l’eau définit un ensemble d’actions complémentaires destinées à sécuriser l’avenir de l’eau à La Réunion… pour le bien être de tous les Réunionnais. Elle se traduit par :

  • l'élaboration d'un cadre juridique et administratif approprié : le SDAGE (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux),
  • la recherche de nouvelles ressources,
  • des investissements techniques en faveur d'une meilleure gestion qualitative et quantitative de l'eau (lutte contre le gaspillage, amélioration des équipements…),
  • le suivi des ressources (Observatoire Réunionnais de l'Eau),
  • la sensibilisation de tous les publics…

Cette prise en compte de l'eau dans sa gestion globale, en termes de risque, de ressource et d'assainissement, devrait être un puissant facteur de préservation et de structuration des paysages, notamment en maintenant des espaces inconstructibles et en intégrant des dispositions paysagères aux aménagements techniques entrepris. Pourtant, beaucoup reste à faire dans ce domaine.

En termes de risques, les inondations à La Réunion sont aléatoires et particulièrement dévastatrices. Toutes les communes sont concernées par ces phénomènes de crues torrentielles liées fréquemment aux perturbations cycloniques, mais dues aussi à des mouvements de terrains de grande ampleur (Salazie) ou localisés (érosion, glissements). Or l'urbanisation des zones inondables et plus généralement des zones à risques est un phénomène constant, que ce soit dans le cadre d'une urbanisation légale, qui n'intègre pas le risque (de nombreux POS ou PLU ne répertorient pas toutes les ravines), ou sous la forme d'une urbanisation spontanée. Le problème est d'autant plus choquant que les constructions sans permis liées à la pression démographique et aux faibles revenus d'une partie de la population se révèlent nombreuses et souvent réalisées dans les zones à risques.

Dans ce contexte, et conformément à la circulaire du 19 juillet 1994, un programme pluriannuel d'études, de cartographie réglementaire et de couverture de l'île par des plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR) relatifs aux risques d'inondations et/ou de mouvements de terrain, a été élaboré pour La Réunion. Ces études et procédures sont pilotées par la DDE et doivent aboutir à des arrêtés préfectoraux d'approbation des PPR.

En termes de travaux liés aux risques, les endiguements de ravines ont certes protégé des zones urbaines (ou à vocation urbaine), mais beaucoup ont totalement négligé l'énorme enjeu de paysage que représentent les ravines en milieu urbain. Cela s'est traduit selon les cas par la création de caniveaux bétonnés géants ou par des enrochements liés, sans attraits : des zones de relégation.
Aujourd’hui, à l’initiative de la DDE, la totalité du territoire est couverte par des schémas techniques de protection contre les crues (STPC) qui dimensionnent et évaluent les coûts des dispositifs de protection des zones urbaines.
Chaque année, en fonction des demandes des communes (maîtres d'ouvrages), un programme d'endiguement est retenu, qui bénéficie de subventions dans le cadre du contrat de plan et du plan de développement régional. La DDE est gestionnaire de ce programme baptisé PPER (Programme Pluriannuel d'Endiguement des Ravines).

En matière de ressource, la population réunionnaise est alimentée par plus de 194 captages dont au moins la moitié sont jugés vulnérables aux risques de pollutions. Or, il n'existe à l'heure actuelle que 47 périmètres de protection réglementairement instaurés (chiffres 2006 ; il y en avait seulement 8 en 1998, et les procédures sont en cours pour la plupart des communes). La rétention d'eau pluviale à la parcelle, encore peu mise en pratique dans les projets d'urbanisme, de paysage et d'architecture, pourrait être un puissant facteur d'amélioration de la situation, et de responsabilisation des habitants.


Le Palais Longchamp à Marseille, construit pour fêter l’arrivée des eaux canalisées de la Durance dans la ville, au XIXe siècle
Le Palais Longchamp à Marseille, construit pour fêter l’arrivée des eaux canalisées de la Durance dans la ville, au XIXe siècle

En termes de travaux liés à la ressource, des efforts sont faits ponctuellement pour « intégrer » dans le paysage certains éléments techniques, par exemple la canalisation de transfert des eaux dans sa traversée du site classé de Bernica (Saint-Paul). Mais cette intégration se confond souvent avec le masquage. Les bassins de stockage du projet ILO, par exemple, sont restés des équipements purement techniques, talutés, bâchés et grillagés, alors qu’ils devraient célébrer avec faste l’arrivée bienfaitrice de l’eau en provenance de l’Est. On est loin des palais édifiés pour fêter l’arrivée de l’eau d’irrigation, comme le Palais Longchamp à Marseille par exemple, ou comme l’Esplanade du Peyrou à Montpellier. On est là face à un problème culturel majeur, aujourd’hui négligé par la puissance fonctionnaliste de l’aménagement.

En matière d'assainissement, les deux tiers des logements de la population Réunionnaise ne sont pas équipés de tout-à-l'égout ; et parmi eux, la moitié seulement dispose d'une fosse septique. Le manque de système collectif freine la densité nécessaire de l'urbanisation et aggrave le mitage et la surconsommation de l'espace. Par ailleurs, la pollution véhiculée par les eaux usées et les eaux pluviales est un facteur de dégradation très important de la qualité des ressources en eaux des milieux aquatiques continentaux et des lagons.
Or la priorité donnée depuis longtemps à l'adduction d'eau nécessite encore à l'heure actuelle des financements conséquents. Ce contexte n'a pas permis à l'assainissement de bénéficier de l'attention nécessaire, comme le prouve le constat de sa mauvaise qualité. La mise en conformité réglementaire et la protection des milieux entraîneront des investissements considérables (plus de 800 M€ à l'horizon 2020) et auront une répercussion importante mais inévitable sur le prix de l'eau.

En termes de travaux liés à l'assainissement, peu de réalisations concrétisent des dispositifs de lagunage et de traitement par la phytoépuration, pourtant potentiellement créateurs de paysages. On leur reproche un besoin d'espace important, mais, judicieusement placés dans le territoire (interface entre espaces agricoles et espaces urbains par exemple), ils pourraient participer à la structuration du territoire, dans des dispositions plus douces et complémentaires aux stations d'épuration.

2.6.2. L’érosion des terres et la pollution des eaux