Atlas des paysages de La Réunion




Accueil » DIAGNOSTIQUER ET AGIR » Les enjeux majeurs de paysage » Les enjeux : risques, problèmes et opportunités en termes de paysage » 2.5. La fragilisation des paysages littoraux

2.5. La fragilisation des paysages littoraux


2.5.1. L’excessive attractivité des sites littoraux

Jour d’affluence sur la plage de l’Hermitage-les-Bainscliquez pour agrandir la photoLe lagon à La Saline-les-Bains, sillonné par les kitesurfeurscliquez pour agrandir la photo

Il a fallu l'invention du tourisme balnéaire pour que les paysages littoraux prennent toute leur attractivité. Né au XIXe siècle, il s'agit au départ d'un tourisme réservé à quelques favorisés qui viennent en villégiature à Saint-Gilles, jusqu'alors modeste village de pêcheurs sur la grande concession Desbassyns, et coupé de Saint-Paul par les falaises littorales du Cap Champagne et du Cap La Houssaye. C'est la route qui change la physionomie de Saint-Gilles, commencée par l'ingénieur Bonnin en 1863, à la fois depuis Saint-Paul et depuis Saint-Leu. Elle est suivie par le train, dont un premier tronçon est inauguré en 1882.

Aujourd'hui, le tourisme et les loisirs liés à la mer ont élargi leur spectre d'intérêt : baignade, mais aussi marche et vélo sur la côte, plongée et snorkeling, pêche à la ligne et pêche au gros, bateaux à fond de verre, surf, planche à voile et kite surf, sans oublier le rituel pique-nique. Le littoral attire non seulement les touristes mais l'ensemble de la population de l'île. Cet attrait se concentre principalement sur les plages baignables, rares dans l'île. L'attractivité est devenue telle que la côte, notamment la côte ouest balnéaire, est victime de surfréquentation. Cela se traduit par des problèmes multiples de circulation et de stationnement des véhicules, de dégradation et de banalisation des espaces d'accueil, d'érosion des plages, de dégradation des fonds marins et lagonaires, de pollution. Le Conservatoire du Littoral et la Loi Littoral sont des outils mis en place à peu près à temps pour éviter une urbanisation massive des côtes.

Le Conservatoire est propriétaire d'une dizaine de sites qui couvrent environ 800 ha : Chaudron, Grande Chaloupe, Rocher des Colimaçons, Pointe au Sel, Etang du Gol, Terre Rouge, Grande Anse, Anse des Cascades et Bois-Blanc. Quant à la Loi Littoral, elle a efficacement freiné le développement urbain littoral des vingt dernières années, qui s'est reporté plus à l'intérieur des terres sur les pentes.


La côte des Souffleurs, sauvage mais parasitée par l’excessive proximité au rivage de la RN1cliquez pour agrandir la photoProblème de mitage du littoral de Trois-Bassins (photo février 2005)cliquez pour agrandir la photo

Néanmoins les paysages littoraux s'abstraient difficilement de la présence du bâti, les pentes des planèzes étant propices à de vastes covisibilités.

Aussi les espaces littoraux proprement sauvages sont-ils rares et précieux sur une côte très densément habitée. Parmi les plages coralliennes, les plus fréquentées, seule celle de Grande Anse échappe à l'omniprésence du bâti ; le long du lagon de l'Ermitage-les-Bains, les filaos peuvent faire illusion et constituent de précieux espaces tampons entre le rivage et l'urbanisation balnéaire ; la plage noire de l'Etang-Salé-les-Bains, de belle ampleur, bénéficie de vrais espaces sauvages grâce à la forêt à laquelle elle s'adosse ; parmi les côtes rocheuses, seule celle de l'est échappe à la présence continue du bâti dans le paysage ; au nord-est, les champs de canne parviennent encore à descendre jusqu'au rivage, constituant des coupures d'urbanisation indispensables ; enfin la savane du Cap La Houssaye, bien que coupée par la Route des Tamarins et mangée partiellement par des projets d'aménagement, offre de vastes espaces de respiration sur un littoral en partie déchargé du trafic de transit lié à la RN1.

Cas d’un bord de mer à revaloriser en réduisant la place de la voiture : le littoral du Cap La Houssayecliquez pour agrandir la photoCas d’un bord de mer à revaloriser en réduisant la place de la voiture : le littoral de Piton Saint-Leu (côte des « souffleurs »), où la RN1 est trop proche du trait de côte (photo octobre 2006).cliquez pour agrandir la photo

Cas de site à réaménager dans des dispositions moins routières et plus urbaines : la RN 1 à Boucan Canot (photo octobre 2006)cliquez pour agrandir la photoAccès confidentiel et peu valorisé au littoral de Souris Chaudecliquez pour agrandir la photo

Problème d’accès à la plage rare, confidentiel et peu valorisé (littoral de Trois-Bassins)cliquez pour agrandir la photoProblème d’accès à la mer peu avenant (La Possession)cliquez pour agrandir la photo

Outre l'urbanisation, les paysages littoraux souffrent en certains points de privatisation, et presque partout de l'intense circulation des véhicules concentrés sur les routes littorales historiques que sont les RN 1 et RN2. Sur l'Ouest, les élus sauront-ils profiter de la Route des Tamarins pour rendre la côte aux circulations douces, piétonnes et cyclables ? Des propositions ont été faites en ce sens dans le cadre de la charte paysagère du tco (2008).


2.5.2. L’érosion des plages coralliennes, l’érosion des terres et la pollution des étangs et lagons : dilapidation d’un capital vital en termes social et culturel, environnemental et économique


Le phénomène d’érosion des plages, dessins de  Roland Troadeccliquez pour agrandir la photoFilao déchaussé, témoignant de l’érosion (plage de l’Ermitage-les-Bains)cliquez pour agrandir la photo

L'érosion des plages coralliennes

Les récifs coralliens, localisés à l'ouest de l'île, couvrent au total à peine 8 % du périmètre de l'île : 25 km répartis du Cap La Houssaye à Souris Chaude, à Saint-Leu, à Saint-Pierre, à Grande Anse et à Grand Bois. La destruction naturelle de ces paléo-récifs coralliens donne les plages de sable blanc. Ce sont de petits espaces naturels fragiles qui, en concentrant aujourd'hui l'essentiel des pratiques touristiques et de loisirs du littoral, subissent une forte pression anthropique. Cette pression se traduit par une érosion de la plage, liée à plusieurs phénomènes : surfréquentation, construction de murs de protection au bord des plages, urbanisation balnéaire, pollution chimique du lagon, vieillissement des plantations de fixation des sables…

  • Le problème de surfréquentation est récent. Il est dû à l'augmentation du tourisme, mais aussi à l'évolution culturelle des Réunionnais, désormais attirés par le bord de mer et beaucoup plus nombreux à fréquenter le littoral qu'il y a une trentaine d'années. La fréquentation excessive de la plage fragilise le tapis végétal servant de couverture quand il est en place et provoque également le déplacement du sable repris plus facilement par le vent. Elle empêche donc la stabilisation de la plage.
  • L'extraction du sable aujourd'hui interdite a évidemment une action directe sur le dégraissement des plages. Cette action, courante dans le passé, a quasiment disparu aujourd'hui. Plus récemment, le nettoyage mécanique des plages a consisté à retirer les blocs de coraux des plages pour ne laisser que le sable fin, aggravant l'érosion. 

Problème de murs en haut de plage : dégradation du paysage balnéaire et aggravation de l’érosioncliquez pour agrandir la photoDestruction par érosion littorale (l’Ermitage-les-Bains photo janvier 2007)cliquez pour agrandir la photo
  • Les murets construits en haut de plage, par leur pouvoir de réflexion, renforcent la turbulence des vagues. Le ressac transfert ainsi le sable démobilisé vers le large. Par ailleurs ces murets perturbent et empêchent les échanges de sables réguliers entre le haut de plage et le bas de plage : après une forte houle agressive, le haut de plage ne peut plus jouer son rôle de réserve pour réalimenter le bas de plage dégraissé.

L’aspect excessivement minéral du littoral de Saint-Deniscliquez pour agrandir la photoL’urbanisation du trait de côte à Saint-Leucliquez pour agrandir la photo
  • L’urbanisation côtière de La Réunion a été partiellement réalisée directement sur les plages. La loi stipulant que « la plage relève du domaine public sur 80,20m de largeur » (les fameux 50 Pas géométriques) n’a que rarement été respectée. Cet empiètement de l’urbanisation sur le domaine côtier constitue un piège pour les stocks sableux qui n’entrent plus dans les échanges sédimentaires indispensables au maintien des estrans.

Erosion du trait de côte sur le littoral de galets de Saint-Louiscliquez pour agrandir la photo
  • La mise en place d’ouvrages portuaires et d’équipements littoraux  peut interrompre gravement la dérive littorale. Le transit des sédiments et l’hydrodynamique sont modifiés de manière significative.
  • La pollution d’origine chimique du lagon, la surexploitation des richesses du récif et son piétinement excessif dégradent rapidement le récif corallien qui n’est plus en mesure de tenir son rôle nourricier en sédiments pour les plages.

Appréciées pour l’ombrage qu’elles offrent, les plantations de filaos, réalisées au XIXe siècle, sont aujourd’hui vieillissantescliquez pour agrandir la photo
  • Les plantations de fixation des sables, notamment des filaos au XIXe siècle, à l'Ermitage-les-Bains, la Saline-les-Bains, Saint-Leu, l'Etang-Salé-les-Bains, sont aujourd'hui vieillissantes. Les arbres aujourd'hui hauts perchés sur leur faisceau de racines à nu témoignent de façon spectaculaire de l'érosion des plages. Des dispositions plus adaptées de replantations anti-érosives voient le jour, faisant appel aux essences endémiques ou indigènes, réparties progressivement depuis les herbacées ou rampantes jusqu'aux ligneux

L'érosion des terres et la pollution des étangs et lagons

Les terres arables de La Réunion (terres labourables en culture ou en jachère), qui occupent 35 000 hectares, sont soumises au risque d'érosion. Sur ces 35 000 ha, 26 000 sont occupés par la canne à sucre, considérée comme une culture heureusement peu érosive. L'érosion affecte les terres agricoles elles-mêmes, mais aussi les milieux naturels à l'aval.
Par ailleurs l'imperméabilisation grandissante des pentes par l'urbanisation et les infrastructures, couplée à la faiblesse des dispositifs de retenue et de traitement des eaux, aggravent l'érosion et la pollution.
Entre 1989 et 2003, la part de la surface urbanisée a été multipliée par 2 dans les bas, par 3 dans les mi-pentes et par 5,5 dans les hauts Par une imperméabilisation importante des sols, cette urbanisation a elle-même contribué à augmenter l'aléa inondation (source SDAGE –Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux- 2009).

  • Les pollutions d'origine agricole ne sont pas aussi importantes que sur certains bassins métropolitains mais leur augmentation est constante depuis quelques années.
  • Les eaux pluviales, par ruissellement sur les zones imperméabilisées urbaines, industrielles, portuaires, routières ou sur des décharges sauvages, se chargent en polluants, notamment en matières en suspension. Cette pollution n'a jamais été précisément caractérisée dans le contexte réunionnais où elle est considérée comme un facteur direct de dégradation des milieux sensibles comme les zones récifales.
  • Les stations d'épuration, même récentes, sont déjà saturées ou obsolètes vis-à-vis des traitements nécessaires. Cette situation a conduit à une dégradation de la qualité de l'ensemble des milieux aquatiques qui devrait s'aggraver avec l'accroissement important de la population urbaine.
  • De surcroît, les rejets industriels, rarement pré-traités avant rejet, contribuent à la saturation des stations d'épuration et à la pollution des milieux.
  • L’assainissement non collectif majoritaire actuellement (60%) est rarement conforme aux normes réglementaires. De par la structure en habitat diffus, l’assainissement non collectif restera, à terme, à un niveau important : 40% de la population de l’île. Sa contribution aux pollutions diffuses est jugée importante. (source : SDAGE 2009).
Sont particulièrement menacés les rares zones humides (notamment étangs de Saint-Paul et du Gol) et le fragile milieu récifal – les « lagons » : pollution par les nitrates, les phosphates et les pesticides, eutrophisation des étangs, baisse de salinité des lagons et baisse de la luminosité par les matières en suspension (MES) qui déséquilibrent l’écosystème récifal aux dépens des coraux. Entre 1978 et 1994, une diminution de la richesse corallienne de 25% a été constatée ainsi qu’une régression de 73% du taux de recouvrement en corail vivant.

Le scénario tendanciel décrit par le SAGE Ouest (2006) est :
  • Une poursuite de l'érosion littorale avec réduction des plages et arrière plages et surcoûts de travaux de confortement
  • Une augmentation des populations algales
  • Une régression de la population piscicole
  • Et au final un récif de moins en moins attractif pour la baignade, la plongée et les activités de découverte du milieu marin.
Des mesures récentes ont heureusement été prises, qui bonifient le paysage littoral :
  • Création de la Réserve naturelle marine en 2007, qui s'étend sur 40 km de côtes du Cap La Houssaye à Saint-Paul, à la Roche aux oiseaux à l'Etang Salé. La réserve a une surface de 35 km2 et s'articule autour de trois types de zones : périmètre général, protection renforcée (45%) et protection intégrale (5%) ;
  • Création de la Réserve naturelle nationale de l'étang de Saint-Paul en 2008 (400 ha)
  • Acquisition du Gol par le Conservatoire du Littoral en 1987 (30 ha)
  • Etang de Bois Rouge (38 ha de zone humide sur 54 ha de site, propriété privée, réserve naturelle volontaire, espace littoral remarquable à préserver au titre du SAR)
  • Mise en œuvre du SDAGE (2001 révisé 2009) et des SAGE -Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux- (les trois quarts de La Réunion sont couverts par des procédures de SAGE), outils de planification créés par la loi sur l'eau de 1992 pour contribuer à l'objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau. Les objectifs sont renforcés par la loi de transposition de la directive cadre européenne sur l'eau (loi n°2004-338) : aboutir à un bon état de l'ensemble des masses d'eau (eaux douce de surface, eaux côtières et eaux souterraines) au plus tard le 22 décembre 2015
  • Aménagements de hauts de plage dans des dispositions non érosives (plage de Saint-Pierre en particulier).

2.5.3. La dépréciation des paysages secs de l’ouest

La savane de Pointe au Sel, juin 2000cliquez pour agrandir la photoLa savane arborée vers Stella Matutina, juin 2000cliquez pour agrandir la photo

Les pentes sèches de La Saline-les-Bains, juin 2000cliquez pour agrandir la photoLes pentes sèches de la Saline les Bains en 2010cliquez pour agrandir la photo

La savane vers Stella/Pointe au Sel, juin 2000cliquez pour agrandir la photo

La savane de Stella / Pointe au Sel, juin 2000cliquez pour agrandir la photoLa savane de Stella / Pointe au Sel, juin 2000cliquez pour agrandir la photo

La savane de Stella en 2010, avec le passage de la route des Tamarins.cliquez pour agrandir la photo

Les paysages agricoles de canne, de vergers ou de maraîchage ne sont pas les seuls à pâtir du développement mal maîtrisé de l'île. Sur le littoral ouest, les paysages secs de savane tendent à disparaître, sous le triple phénomène de l'urbanisation, de l'irrigation et de l'abandon du pâturage. Si la forêt sèche à lataniers et à benjoin a disparu depuis longtemps, les étendues de savane, entretenues par le parcours des cabris ou des bœufs Moka et par le feu, sont en train de disparaître. Elles ont d'ores et déjà laissé place à de vastes étendues de fourrés épineux peu attractifs sur le littoral (entre la Grande Ravine et Saint-Leu). Depuis les dernières décennies, l'urbanisation grignote le reste des étendues de savane, qui, ainsi fragmentées, se transforment en friches résiduelles peu avenantes et guère capables « d'absorber » le bâti nouveau. Le pâturage, contraint par les ruptures de continuités (qu'aggrave la route des Tamarins localement), abandonne les espaces trop difficiles à gérer. L'irrigation en cours conduit à substituer de façon spectaculaire de vertes étendues de canne aux fauves ondulations de savane. Celle-ci devrait se maintenir partiellement sur le Cap La Houssaye, où la route des Tamarins a été dessinée et plantée dans cette perspective, aménagée en « route de savane » : chaussées décalées et séparées pour ouvrir les vues, terrassements morphologiques reprenant les modelés naturels de la savane, création d'ouvrages d'art supplémentaires pour favoriser la perméabilité de la route et le passage des troupeaux, choix de palette végétale adaptée au contexte. Un morceau de savane est également protégé sur la Pointe au Sel.

La quasi-disparition de la savane est une perte pour l'île dans son ensemble. La savane contribue en effet à la diversité et aux contrastes des paysages, valeur première de La Réunion. Elle a été identifiée comme précieuse dès 1992 (Etude des espaces naturels et culturels remarquables du littoral de La Réunion, DDE/Folléa-Gautier) et le Cap La Houssaye protégé de ce fait dans le SAR 1994. Au-delà, elle mérite aujourd'hui une réhabilitation et un réaménagement en « parcs de savane », en faisant une place à la recréation de forêt sèche et savane arborée, d'autant que la population s'y avère sensible, fréquentant de plus en plus densément la savane du Cap La Houssaye depuis l'ouverture du chantier de la Route des Tamarins au milieu des années 2000.


La savane du Cap La Houssaye vue depuis la route des Tamarinscliquez pour agrandir la photo

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