A une échelle plus fine en revanche, et sans qu'il soit simple de le quantifier, le « petit » patrimoine de pays disparaît inexorablement, ôtant à La Réunion une part de son âme, de sa personnalité, de sa saveur : une petite case par-ci, un jardin par là, une boutique traditionnelle encore par là, etc.
A la demande du SDAP (Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine), Daniel Vaxelaire a réalisé dans les années 1990 tout un inventaire de ce patrimoine, qui a donné lieu à un ouvrage (« Trésors ! Le patrimoine caché de La Réunion », Azalées éditions 1996). La DRAC a de même effectué des inventaires des petites cases. Mais ces efforts n'ont pas été traduits dans les politiques publiques locales : identifications aux documents d'urbanisme, acquisitions et rénovation, soutien à la gestion et à l'entretien, valorisation économique et touristique, …
Les éléments de ce patrimoine fragile sont nombreux : les maisons de villes, de banlieues, le « changement d’air », les champs, les commerces, les lieux de savoir (écoles, collèges, …), de santé (lazaret, …), de prière, les jardins, les cimetières, les canaux, les usines, les minoteries et moulins, les ponts, les marinas et les ports, les batteries et poudrières, les fontaines, les escaliers, les puits, les entrepôts, …
Au-delà de ces « objets construits » qui font patrimoine, on peut considérer que certains ensembles composent un paysage à caractère patrimonial, précieux pour la mémoire, la culture, l'histoire et l'identité insulaire, outre la valeur touristique qu'ils peuvent prendre par ailleurs. Les anciens domaines, associant la maison principale, le jardin, les dépendances et l'espace agricole, en font partie au premier chef. On peut aussi citer certaines portions de routes « lignes de vie », où la « symbiose » harmonieuse et délicate s'opère entre les cases, la route et la nature jardinée qui environne l’ensemble, telle qu’elle a été initialement identifiée dans l’Est avec la RN2 dans l'ouvrage « Paysage Côte Est » (B. Folléa CAUE 1990). C'est le cas du chemin du Tour des Roches, qui mérite depuis longtemps une réhabilitation à caractère patrimonial, et de routes habitées de fonds de ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin …). Les îlets sont également des paysages patrimoniaux fragiles : havres de fraîcheur et d'accueil perdus dans la rudesse sauvage des temples de l'érosion que forment les cirques, ils constituent de précieux témoignages de la vie dans des conditions hors du commun de montagne tropicale. Enfin, en milieu urbain, le bourg de L'Entre-Deux est le seul, avec Hell-Bourg, à avoir su préserver un ensemble bâti et végétal à caractère patrimonial. Ailleurs, des quartiers-jardins composent des paysages culturels qui méritent d'être identifiés avant que des opérations de densification ne les fassent totalement disparaître.
L'urbanisation est parfois étroitement inféodée à un lieu particulier, constituant alors un site bâti qui, perceptible de loin, contribue à la qualité du paysage : une baie, un piémont, un sommet, un bord de rivière, un replat, …
A La Réunion, ce sont les îlets dans les cirques qui composent les sites bâtis les plus remarquables et spectaculaires. Ailleurs, la relative régularité des pentes ne contribue pas à « caler » le développement urbain dans une topographie particulière.
Aussi l’urbanisation tend-elle insidieusement à effacer les espaces de respiration (ou coupures d’urbanisation), souvent agricoles, qui séparent les bourgs les uns des autres. C’est d’autant plus vrai que la contrainte de la pente incite à urbaniser en linéaire, au fil des routes qui relient les bourgs les uns aux autres. Par ce processus, une conurbation périphérique du pourtour de l’île se met en place.
Outre les problèmes de consommation d'espace agricole et naturel (voir 2.1. La fragilisation des paysages agricoles), le phénomène de conurbation gomme l'identité de chaque bourg, efface les repères, oblige les habitants à vivre dans des espaces urbains continus, indifférenciés et éloignés des sites de nature ou de loisirs de proximité. Par ailleurs il provoque des conflits d'usage entre urbanisation et infrastructures, baissant à la fois la qualité de vie (autour des voies) et la qualité de circulation (intra-urbaine, sans efficacité inter-urbaine). Dans ce contexte, les rares sites bâtis intéressants du littoral tendent à être débordés par l'urbanisation, malgré les dispositions de la Loi Littoral en faveur des coupures d'urbanisation : à Saint-Paul (Grande Fontaine), à Boucan Canot, à Saint-Gilles, par exemple, l'urbanisation remonte du piémont, atteint les pentes et gagne les crêtes de façon continue et indifférenciée.
Cependant, il y aura également des conséquences négatives comme la pression sur les abords de la Route des Tamarins, en commençant par les abords des échangeurs, avec le risque de création de vitrine commerciale banalisante, et le développement de l’urbanisation des mi-pentes de l’Ouest dans une situation déjà très conflictuelle entre vocation urbaine et vocation agricole des terres, dont une bonne part mises en irrigation par le Projet ILO. Ainsi, sans même parler de pollution et de réchauffement climatique, la Route des Tamarins risque d’apparaître globalement déstructurante en matière de paysage, favorisant une nouvelle fois la diffusion du bâti et l’usage individuel de la voiture, grâce à l’amélioration des temps de parcours offerts entre domicile et services/lieux de travail Les conséquences de cette facilité des déplacements dans l'Ouest se mesurent déjà : elle provoque désormais des bouchons d'une nouvelle importance à l'entrée de Saint-Denis, sur la route du littoral, qui a vu son trafic bondir de 15% en 2009 ; la Route des Tamarins rend donc plus urgente la création de la nouvelle route du littoral … Le cercle vicieux du tout voiture poursuit son cours.
Le même risque guette le projet de liaison rapide Saint-Pierre/Saint-Benoît par les plaines (nouvelle RN 3) : la belle et fragile plaine des Cafres (laissée hors territoire du Parc National) va se retrouver desservie de façon efficace et ses terres plates, malgré l’austérité du climat, pourront devenir attractives pour le développement de l’urbanisation. De même les pentes hautes du Tampon, déjà marquées par l’urbanisation diffuse.
Quant aux déviations, chacune est une porte ouverte à l’étalement urbain, posant à terme des conflits de vocation et d’usage entre logique routière de transit et logique urbaine de cabotage.
Les espèces exotiques envahissantes, introduites au fil des trois derniers siècles (voir le chapitre « les paysages et les espaces naturels » dans la partie « les fondements des paysages » du présent atlas), posent aujourd'hui problème ; elles sont responsables de la diminution de la diversité floristique, de la disparition d'espèces et de milieux indigènes, de l'uniformisation des milieux et de la banalisation des paysages. Certaines couvrent même de grandes surfaces impénétrables, inaptes à tout usage de loisir (promenade, …) ; c'est le cas des fourrés épineux composés, selon les secteurs, du Cassie blanc (Leucaena leucocephala), de l'Avocat marron (Litsea glutinosa), du choca vert (Furcraea foetida), du Zépinard (Dicranopteris cinerea).
De l'ouest à l'est, du nord au sud et des Hauts aux Bas, il n'y a pas d'espaces qui échappent aujourd'hui à cette dynamique en cours. Outre la savane et les fourrés secs de l'ouest, citons :
Cette dynamique de plantes exotiques apparaît à peu près impossible à stopper et de plus en plus sensible dans le paysage au fil des années, au fur et à mesure que les plantes gagnent du terrain. De coûteux efforts de réduction de leur présence portent sur des points précis, comme le rabattage manuel des ajoncs autour du point de vue du Maïdo. Quant à la lutte biologique, elle fait l'objet de virulents conflits, notamment depuis l'introduction de la « mouche bleue » pour lutter contre la vigne marronne, accusée d'occuper la niche écologique des abeilles. Et l'éradication d'une peste végétale dans un endroit donné laisse entier le problème du devenir et de la gestion de l'espace en question.
En 1950, la route du littoral de Sainte-Marie à Sainte-Suzanne s'ouvre en continu sur l'océan. En 1984 (à la veille de la Loi Littoral qui date de 1986), cette ouverture est encore offerte en continu.
En 2008, l'espace de respiration a été divisé par 2, suite à l'urbanisation des confins de Sainte-Marie et du quartier Ravine des Chèvres les Bas.
En 1950, l'étang de Saint-Paul prend place dans un vaste territoire « naturel » de littoral et de pentes non bâtis. En 1984, la ville de Saint-Paul a colonisé sa flèche sableuse, la coupure avec l'étang étant renforcée par le doublement de la Chaussée Royale par la RN 1. En 2008, l'étang et son coteau sont désormais pris dans l'urbanisation : celle du littoral de Saint-Paul à l'ouest, celle des pentes au sud et à l'est, celle de la zone d'activités de Savannah au nord. La Réserve naturelle de l'étang, créée en janvier 2008, est désormais urbaine par son positionnement.
En 1984, l'étang du Gol est à la fois en communication avec le littoral et avec la plaine agricole du Gol. En 2008, la création de la nouvelle RN 1 a généré des espaces résiduels partis en friches autour de l'étang. La ravine du Gol passe dans les friches et est en partie bordée par l'urbanisation de Bel Air.
Le bord de la rivière des Galets est à peu près inhabité en 1950. En 1984, des quartiers bidonvilles se sont créés en marge de la plaine au bord de la rivière, qui donne son nom au quartier. L'urbanisation commence à s'étendre sur les pentes et dans la plaine. En 2008, l'urbanisation a gagné tous les bords de la rivière, réduisant l'ouverture naturelle vers Mafate depuis le littoral au seul lit de la rivière. Ailleurs les opérations se juxtaposent dans la plaine (commune du Port) comme sur les pentes (commune de La Possession).
Le chapitre « Aperçu général, les grands ensembles de paysages de La Réunion », dans la partie « Connaître et comprendre » du présent Atlas, a rappelé à quel point l'échelle des paysages Réunionnais est trompeuse. Les fractures verticales étant spectaculaires, avec des remparts dépassant 1000 m de hauteur, on parle de grands paysages et même de paysages grandioses. Mais, hormis ces profondeurs verticales, les étendues horizontales apparaissent infiniment plus modestes. Beaucoup de ces paysages paraissent grands alors qu'il restent objectivement petits : on peut rappeler comme exemple la Plaine des Sables, la Plaine des Remparts, la savane du Cap La Houssaye et celle de Pointe au Sel, la plaine des Cafres, la plupart des paysages littoraux …
Cette dimension réduite des paysages de l'île les fragilise doublement :
La fragilité intrinsèque de ces petits « grands paysages » est aggravée par les dispositions d'aménagement, qui les fragmentent et les réduisent. Aujourd'hui, beaucoup de paysages ne peuvent s'afficher et se vendre que comme des photographies étroitement cadrées :
Ainsi aujourd'hui, beaucoup de ces fragiles paysages sont réduits à des décors exigus, à des clichés, à voir et à prendre d'un point précis, mais impossibles à vivre et non créateurs d'ambiances authentiques.
Les paysages de La Réunion ont besoin d'une politique qui aille bien au-delà des « sites », capable de remettre en scène et de réhabiliter non seulement le site mais ses relations et ses transitions avec le contexte dans lequel il prend place.
Sur les pentes extérieures de La Réunion, les ravines, profondes et difficiles d'accès, sont souvent les seuls espaces de refuge de la faune et de la flore indigènes ou endémiques de l'île. Elles sont généralement identifiées et préservées à ce titre. La pression de l'urbanisation conduit malheureusement à urbaniser les rebords de ces ravines jusqu'au ras des remparts. Ce processus pose plusieurs problèmes écologiques et paysagers :
L'activité touristique, première source de richesse de l'île, reste fragile. Elle est notamment largement dépendante du coût du transport aérien, même si le tourisme intérieur produit plus de la moitié de la richesse. Mais elle est aussi dépendante de la qualité paysagère de l'île : comment attirer un tourisme haut de gamme et rémunérateur dans une situation mondiale très concurrentielle (nombreuses îles tropicales à coût de main d'œuvre peu élevé), sur une destination lointaine et isolée, si la qualité n'est pas au rendez-vous ?
Les évolutions récentes peuvent apparaître comme des signaux avertisseurs : raccourcissement des séjours, diminution des dépenses, augmentation de la dépendance à la métropole (les touristes métropolitains représentent plus de 8 clients sur 10), augmentation du tourisme affinitaire moins rémunérateur (plus de la moitié des touristes viennent à La Réunion voir leurs amis ou leur famille), baisse du nombre de touristes étrangers (-10 % entre 2008 et 2009) et du nombre de touristes d'affaires (-18%).
Certes les appellations prestigieuses sont des sources d'attractivité touristique très importantes : le Parc National, l'inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, vont à l'évidence jouer en faveur de l'attractivité de l'île dans les années à venir.
Mais au-delà des appellations, qui concernent uniquement les Hauts, l'activité touristique est confrontée à de nouveaux défis : comment développer le tourisme sans détruire le fond de commerce, à savoir paysages et culture locale ?
Comment préserver ou développer l'attractivité des bas (littoral et pentes agricoles - où l'on séjourne -) complémentaires au sanctuaire que forment les Hauts (- où l'on se promène et pratique des activités sportives ou de loisirs -), dans un contexte de développement urbain puissant et mal maîtrisé ? Comment mieux répartir les fréquentations dans l'espace et dans le temps pour limiter les problèmes grandissants de surfréquentation et de fragilisation de sites ?Dans tous les cas, il est urgent de mettre en adéquation la réalité du paysage avec celles des autres appellations, moins mondiales ou nationales, et plus locales : « villages créoles », par exemple, qui s'applique par endroits à des bourgs dont l'attractivité paysagère reste faible ; le même enjeu concerne plus globalement les centres-bourgs ainsi que, ponctuellement, de nombreuses adresses de location de gîtes, de chambres et tables d'hôte, etc.
Il a fallu l'invention du tourisme balnéaire pour que les paysages littoraux prennent toute leur attractivité. Né au XIXe siècle, il s'agit au départ d'un tourisme réservé à quelques favorisés qui viennent en villégiature à Saint-Gilles, jusqu'alors modeste village de pêcheurs sur la grande concession Desbassyns, et coupé de Saint-Paul par les falaises littorales du Cap Champagne et du Cap La Houssaye. C'est la route qui change la physionomie de Saint-Gilles, commencée par l'ingénieur Bonnin en 1863, à la fois depuis Saint-Paul et depuis Saint-Leu. Elle est suivie par le train, dont un premier tronçon est inauguré en 1882.
Aujourd'hui, le tourisme et les loisirs liés à la mer ont élargi leur spectre d'intérêt : baignade, mais aussi marche et vélo sur la côte, plongée et snorkeling, pêche à la ligne et pêche au gros, bateaux à fond de verre, surf, planche à voile et kite surf, sans oublier le rituel pique-nique. Le littoral attire non seulement les touristes mais l'ensemble de la population de l'île. Cet attrait se concentre principalement sur les plages baignables, rares dans l'île. L'attractivité est devenue telle que la côte, notamment la côte ouest balnéaire, est victime de surfréquentation. Cela se traduit par des problèmes multiples de circulation et de stationnement des véhicules, de dégradation et de banalisation des espaces d'accueil, d'érosion des plages, de dégradation des fonds marins et lagonaires, de pollution. Le Conservatoire du Littoral et la Loi Littoral sont des outils mis en place à peu près à temps pour éviter une urbanisation massive des côtes.
Le Conservatoire est propriétaire d'une dizaine de sites qui couvrent environ 800 ha : Chaudron, Grande Chaloupe, Rocher des Colimaçons, Pointe au Sel, Etang du Gol, Terre Rouge, Grande Anse, Anse des Cascades et Bois-Blanc. Quant à la Loi Littoral, elle a efficacement freiné le développement urbain littoral des vingt dernières années, qui s'est reporté plus à l'intérieur des terres sur les pentes.
Néanmoins les paysages littoraux s'abstraient difficilement de la présence du bâti, les pentes des planèzes étant propices à de vastes covisibilités.
Aussi les espaces littoraux proprement sauvages sont-ils rares et précieux sur une côte très densément habitée. Parmi les plages coralliennes, les plus fréquentées, seule celle de Grande Anse échappe à l'omniprésence du bâti ; le long du lagon de l'Ermitage-les-Bains, les filaos peuvent faire illusion et constituent de précieux espaces tampons entre le rivage et l'urbanisation balnéaire ; la plage noire de l'Etang-Salé-les-Bains, de belle ampleur, bénéficie de vrais espaces sauvages grâce à la forêt à laquelle elle s'adosse ; parmi les côtes rocheuses, seule celle de l'est échappe à la présence continue du bâti dans le paysage ; au nord-est, les champs de canne parviennent encore à descendre jusqu'au rivage, constituant des coupures d'urbanisation indispensables ; enfin la savane du Cap La Houssaye, bien que coupée par la Route des Tamarins et mangée partiellement par des projets d'aménagement, offre de vastes espaces de respiration sur un littoral en partie déchargé du trafic de transit lié à la RN1.Outre l'urbanisation, les paysages littoraux souffrent en certains points de privatisation, et presque partout de l'intense circulation des véhicules concentrés sur les routes littorales historiques que sont les RN 1 et RN2. Sur l'Ouest, les élus sauront-ils profiter de la Route des Tamarins pour rendre la côte aux circulations douces, piétonnes et cyclables ? Des propositions ont été faites en ce sens dans le cadre de la charte paysagère du tco (2008).
L'érosion des plages coralliennes
Les récifs coralliens, localisés à l'ouest de l'île, couvrent au total à peine 8 % du périmètre de l'île : 25 km répartis du Cap La Houssaye à Souris Chaude, à Saint-Leu, à Saint-Pierre, à Grande Anse et à Grand Bois. La destruction naturelle de ces paléo-récifs coralliens donne les plages de sable blanc. Ce sont de petits espaces naturels fragiles qui, en concentrant aujourd'hui l'essentiel des pratiques touristiques et de loisirs du littoral, subissent une forte pression anthropique. Cette pression se traduit par une érosion de la plage, liée à plusieurs phénomènes : surfréquentation, construction de murs de protection au bord des plages, urbanisation balnéaire, pollution chimique du lagon, vieillissement des plantations de fixation des sables…
Les paysages agricoles de canne, de vergers ou de maraîchage ne sont pas les seuls à pâtir du développement mal maîtrisé de l'île. Sur le littoral ouest, les paysages secs de savane tendent à disparaître, sous le triple phénomène de l'urbanisation, de l'irrigation et de l'abandon du pâturage. Si la forêt sèche à lataniers et à benjoin a disparu depuis longtemps, les étendues de savane, entretenues par le parcours des cabris ou des bœufs Moka et par le feu, sont en train de disparaître. Elles ont d'ores et déjà laissé place à de vastes étendues de fourrés épineux peu attractifs sur le littoral (entre la Grande Ravine et Saint-Leu). Depuis les dernières décennies, l'urbanisation grignote le reste des étendues de savane, qui, ainsi fragmentées, se transforment en friches résiduelles peu avenantes et guère capables « d'absorber » le bâti nouveau. Le pâturage, contraint par les ruptures de continuités (qu'aggrave la route des Tamarins localement), abandonne les espaces trop difficiles à gérer. L'irrigation en cours conduit à substituer de façon spectaculaire de vertes étendues de canne aux fauves ondulations de savane. Celle-ci devrait se maintenir partiellement sur le Cap La Houssaye, où la route des Tamarins a été dessinée et plantée dans cette perspective, aménagée en « route de savane » : chaussées décalées et séparées pour ouvrir les vues, terrassements morphologiques reprenant les modelés naturels de la savane, création d'ouvrages d'art supplémentaires pour favoriser la perméabilité de la route et le passage des troupeaux, choix de palette végétale adaptée au contexte. Un morceau de savane est également protégé sur la Pointe au Sel.
La quasi-disparition de la savane est une perte pour l'île dans son ensemble. La savane contribue en effet à la diversité et aux contrastes des paysages, valeur première de La Réunion. Elle a été identifiée comme précieuse dès 1992 (Etude des espaces naturels et culturels remarquables du littoral de La Réunion, DDE/Folléa-Gautier) et le Cap La Houssaye protégé de ce fait dans le SAR 1994. Au-delà, elle mérite aujourd'hui une réhabilitation et un réaménagement en « parcs de savane », en faisant une place à la recréation de forêt sèche et savane arborée, d'autant que la population s'y avère sensible, fréquentant de plus en plus densément la savane du Cap La Houssaye depuis l'ouverture du chantier de la Route des Tamarins au milieu des années 2000.
Détentrice de records mondiaux en matière de pluviométrie, l’île de La Réunion bénéficie annuellement d’un volume de pluie suffisant, à première vue, pour couvrir les besoins de la population, de l’agriculture et de l’industrie. Les ressources annuelles sont estimées entre 3 et 5 milliards de m3, et les besoins actuels à 200 millions de m3. Mais la gestion de l’eau s’avère délicate du fait d’une répartition très irrégulière entre Est et Ouest (pluviométrie moyenne : est : 4 900 mm ; ouest : 1 300 mm), entre les Hauts et les Bas (une eau de surface intermittente dans les Hauts et des nappes littorales pérennes dans les Bas) et dans le temps (alternance entre saison sèche et saison des pluies).
A ces handicaps naturels, s’ajoute l’évolution prévisible et à court terme des besoins en eau pour répondre à l’accroissement de la population, entraînant le risque de surexploitation et de pollution des nappes et des rivières. Et un fort enjeu éducatif pour être moins dispendieux : aujourd’hui, La Réunion consomme 300 litres d’eau par jour et par habitant, contre 190 litres en moyenne nationale.
La prise de conscience des enjeux liés à l’eau, tant au niveau économique que social, a trouvé expression dans la mise en place d’une politique de Gestion Globale de l'Eau. Initiée par le Département, en partenariat avec l’Etat et les collectivités locales, la gestion globale de l’eau définit un ensemble d’actions complémentaires destinées à sécuriser l’avenir de l’eau à La Réunion… pour le bien être de tous les Réunionnais. Elle se traduit par :
Cette prise en compte de l'eau dans sa gestion globale, en termes de risque, de ressource et d'assainissement, devrait être un puissant facteur de préservation et de structuration des paysages, notamment en maintenant des espaces inconstructibles et en intégrant des dispositions paysagères aux aménagements techniques entrepris. Pourtant, beaucoup reste à faire dans ce domaine.
En termes de risques, les inondations à La Réunion sont aléatoires et particulièrement dévastatrices. Toutes les communes sont concernées par ces phénomènes de crues torrentielles liées fréquemment aux perturbations cycloniques, mais dues aussi à des mouvements de terrains de grande ampleur (Salazie) ou localisés (érosion, glissements). Or l'urbanisation des zones inondables et plus généralement des zones à risques est un phénomène constant, que ce soit dans le cadre d'une urbanisation légale, qui n'intègre pas le risque (de nombreux POS ou PLU ne répertorient pas toutes les ravines), ou sous la forme d'une urbanisation spontanée. Le problème est d'autant plus choquant que les constructions sans permis liées à la pression démographique et aux faibles revenus d'une partie de la population se révèlent nombreuses et souvent réalisées dans les zones à risques.
Dans ce contexte, et conformément à la circulaire du 19 juillet 1994, un programme pluriannuel d'études, de cartographie réglementaire et de couverture de l'île par des plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR) relatifs aux risques d'inondations et/ou de mouvements de terrain, a été élaboré pour La Réunion. Ces études et procédures sont pilotées par la DDE et doivent aboutir à des arrêtés préfectoraux d'approbation des PPR.
En termes de travaux liés aux risques, les endiguements de ravines ont certes protégé des zones urbaines (ou à vocation urbaine), mais beaucoup ont totalement négligé l'énorme enjeu de paysage que représentent les ravines en milieu urbain. Cela s'est traduit selon les cas par la création de caniveaux bétonnés géants ou par des enrochements liés, sans attraits : des zones de relégation.
Aujourd’hui, à l’initiative de la DDE, la totalité du territoire est couverte par des schémas techniques de protection contre les crues (STPC) qui dimensionnent et évaluent les coûts des dispositifs de protection des zones urbaines.
Chaque année, en fonction des demandes des communes (maîtres d'ouvrages), un programme d'endiguement est retenu, qui bénéficie de subventions dans le cadre du contrat de plan et du plan de développement régional. La DDE est gestionnaire de ce programme baptisé PPER (Programme Pluriannuel d'Endiguement des Ravines).
En matière de ressource, la population réunionnaise est alimentée par plus de 194 captages dont au moins la moitié sont jugés vulnérables aux risques de pollutions. Or, il n'existe à l'heure actuelle que 47 périmètres de protection réglementairement instaurés (chiffres 2006 ; il y en avait seulement 8 en 1998, et les procédures sont en cours pour la plupart des communes). La rétention d'eau pluviale à la parcelle, encore peu mise en pratique dans les projets d'urbanisme, de paysage et d'architecture, pourrait être un puissant facteur d'amélioration de la situation, et de responsabilisation des habitants.
En termes de paysage, la production et la distribution de l'énergie posent surtout problème à l'échelle locale, par la prolifération des lignes électriques basse-tension qui s'ajoutent aux réseaux téléphoniques dans l'espace public des routes et des rues. Un grand travail reste à faire pour enterrer ou passer en façades les réseaux aériens. Cette amélioration paysagère, si importante pour une île appelée à jouer la carte de la qualité d'accueil, se doublerait d'une amélioration de la sécurité en approvisionnement, en soustrayant ces réseaux au risque cyclonique.
La Réunion, à travers GERRI, doit parvenir à atteindre l'autonomie énergétique. Cet objectif nécessite le développement de l'électricité photovoltaïque, seule énergie renouvelable de masse à ce stade sur l'île, et la mise en chantier rapide d'expérimentations sur les micro-turbines hydrauliques, l'énergie de la houle, l'énergie thermique de la mer, l'éolien off-shore ou l'exploration de la ressource en géothermie. Parallèlement les actions entreprises au titre de la maîtrise de l'énergie (MDE) sont poursuivies et amplifiées.
Les sources d'énergies renouvelables sont les énergies éolienne, solaire, géothermique, houlomotrice, marémotrice et hydraulique ainsi que l'énergie issue de la biomasse, du gaz de décharge, du gaz de stations d'épuration d'eaux usées et du biogaz (Loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, les Energies Renouvelables, article 29).
Le défi pour La Réunion va être de réussir ce développement de façon harmonieuse dans le paysage, afin qu'il n'obère ni la qualité du cadre de vie quotidien ni celle du cadre touristique, pour une île qui doit parier à l'avenir sur un tourisme haut de gamme, porté par son inscription récente sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
Les enjeux portent sur deux échelles bien distinctes :
1. L'échelle de la parcelle et du paysage habité de proximité
2. L'échelle du territoire et du grand paysage
Jusqu'à une période récente, le contexte géographique de l'île de La Réunion a favorisé le déploiement de systèmes de petites dimensions, à la parcelle : systèmes photovoltaïques dits en site isolé, qui ont permis notamment l'électrification des habitations enclavées de Mafate et des habitations en fin de réseau électrique ; chauffe-eau solaires individuels (près de 100 000 installés).
Ces installations posent parfois un problème d'intégration architecturale, lorsqu'elles se surajoutent comme un équipement à une structure architecturale récente. C'est particulièrement vrai pour une maison individuelle. Mais c'est nettement moins problématique pour les bâtiments d'activités dont les toitures plates apparaissent relativement peu dans le paysage, dont l'aspect industriel s'accorde avec l'équipement photovoltaïque lui-même industriel, et dont les grandes dimensions permettent d'efficaces productions.
L'intégration à l'architecture de ces dispositifs dès le stade de la conception facilite grandement leur inscription harmonieuse dans le paysage construit. C'est ce qu'il faut encourager.
Avec le renforcement de la politique en énergie renouvelable, le risque principal est la multiplication de sites de production de grandes dimensions, qui porteraient atteinte à des sites remarquables (projet abandonné de géothermie dans la plaine de Sables …) ou plus vraisemblablement qui concurrenceraient les rares espaces agricoles et de nature des pentes hors Parc National, qui fragmenteraient des espaces non bâtis déjà réduits, et qui satureraient à terme un espace de vie insulaire rare et précieux.
Il s'agit en particulier de fermes photovoltaïques au sol, des fermes éoliennes, …
Ces grandes implantations méritent d'occuper quelques rares espaces peu perceptibles (c'est le cas des pentes de Sainte-Rose qui ont commencé à être investies), mais la rareté des terres milite pour éviter leur développement au sol.
Par ailleurs, l'abondance excessive des surfaces urbanisées et des bâtiments déjà existants à La Réunion milite pour éviter la création de nouveaux bâtiments ou installations dans les paysages agricoles et naturels, qui seraient spécifiquement dédiés au support de panneaux photovoltaïques : hangars, serres, etc.
Si la ferme éolienne de Sainte-Rose apparaît relativement peu dans le grand paysage, on ne peut en dire autant de celle de Sainte-Suzanne, qui déroule une longue succession de mâts dans l'axe d'une belle perspective paysagère des bas vers les hauts.
Face à la petitesse de l'île, l'immensité de l'océan semble plus accueillante pour le développement de projets d'énergie renouvelables. Mais ces projets restent à l'heure actuelle à l'état de recherche : énergie houlomotrice, énergie thermique des mers (ETM), hydroliennes, …
Sur les dernières années, plusieurs expériences témoignent de la prise en compte croissante de l'enjeu qualitatif dans les opérations locales d'aménagement du territoire insulaire. A l'échelle de l'île, elles ne représentent encore que des piqûres d'épingle. Mais elles sont le reflet de plusieurs dispositions globales d'aménagement qui ont aussi émergé récemment : la création du Parc National (2007), l'inscription sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO (2010), la révision du SAR, la recherche de transports en commun structurants, la mise en place des intercommunalités et des SCOT, la réalisation de chartes paysagères et architecturales, etc. L'ensemble traduit une progressive prise de conscience d'un nécessaire aménagement durable de l'île, à la fois viable, vivable et équitable.
Le paysage urbain évolue dans des dispositions plus douces où le tout-voiture n'impose plus sa logique de façon exclusive.
A Saint-Denis par exemple, la rue du Maréchal Leclerc est partiellement piétonnisée, des voies en site propre sont mises en place pour les bus, le boulevard sud est heureusement aménagé dans des dispositions plus urbaines et moins routières.
A Saint-Leu l'aménagement de la place met en valeur les beaux bâtiments patrimoniaux de la mairie.
Les relations des villes à leur environnement s'améliorent.
A Saint-Pierre, le bord de mer est aménagé en promenade, les plantations généreuses d'essences diverses et en partie indigènes offrant des ambiances et un ombrage agréables tout en jouant leur rôle de lutte contre l'érosion de façon à la fois douce et efficace.
A Saint-Paul, la Chaussée Royale a été transformée en avenue plantée, avec trottoirs élargis, circulation douce et remise en valeur du canal, tandis qu'une grande Promenade relie désormais Saint-Paul au site classé de la ravine Bernica. Fait remarquable et trop rare, ce vaste projet urbain s'est réalisé concomitamment à la réalisation d'un projet d'infrastructure (la Route des Tamarins) dont on craignait les effets sur un site urbain et naturel fragile (ville, réserve naturelle de l'étang, site classé de la ravine Bernica, …). Inscrit dans un projet de paysage global, le projet routier a pu être initiateur de revalorisation du site de Saint-Paul.
A Saint-Paul toujours, le réaménagement du bord de mer est à l'étude (2010) et un appontement a déjà été créé pour favoriser les usages maritimes.
Au Port l'opération « la Ville est Port » vise à renouer les liens entre la ville et son littoral.
Le site de la Pointe de Trois-Bassins est réaménagé de façon simple et efficace en reculant les voitures du littoral et en créant des cheminements piétonniers.
Le site de la Pointe-au-Sel, outre la réhabilitation des salines, bénéficie d'un accueil mieux maîtrisé.
Le sentier littoral devient progressivement une réalité, permettant enfin aux visiteurs d'apprécier le trait de côte de La Réunion, merveilleusement diversifié.
Certains bourgs réussissent à valoriser leur patrimoine architectural jusqu'à composer des paysages urbains remarquables, notamment l'Entre-Deux et Hell-Bourg.
D'autres bourgs améliorent l'accueil au travers de leurs espaces publics (Cilaos rue principale).
Certains îlets des cirques réussissent à maîtriser leur architecture et leur environnement jusqu'à offrir des ambiances de grande qualité : Ilet-à-Bourse, Cayenne.
Des sites densément fréquentés parviennent à préserver et à mettre en scène la qualité du cadre d'accueil : le gîte du volcan, la plage de Grande Anse.
Quelques opérations marquent une progression dans le paysage bâti contemporain, en termes d’urbanisme, d’architecture et, au final, de paysage : le parc de la Poudrière à l’Etang Saint-Paul, (CBO territoria) par exemple présente un quartier paysagé et aéré proche de la forêt de l’étang par la qualité environnementale et architecturale des opérations de collectifs.
Depuis quelques années, une structure d’accompagnement des acteurs du cadre bâti s’est mise en place, sous l’impulsion de professionnels régionaux œuvrant dans la promotion de la construction durable.
Le Centre de Ressources Qualité Environnementale du Cadre Bâti, enviroBAT-Réunion, dont la gestion et l’animation en ont été confiées au CAUE de la Réunion, a pour objectif de sensibiliser, d’informer et d’accompagner les acteurs concernés par les préoccupations environnementales et le développement de la qualité environnementale dans les opérations concernant le cadre bâti (construction, réhabilitation, opération d’aménagement, d’infrastructure, …). Il favorise la sensibilisation et les échanges entre les différents acteurs afin de partager recherches, retours d’expériences et propositions de solutions intégrant les notions de développement durable.
Les opérations ainsi référencées participent à l’avancement des recherches, constituent une base de référence en architecture tropical et prennent une place grandissante dans le paysage réunionnais.
Une forte opposition se dégage aujourd’hui à l'échelle de l'île entre les pentes basses et intermédiaires, largement gagnées par l'urbanisation, et les pentes hautes et reliefs intérieurs, presque inhabités. Aujourd’hui, 85% de la population occupe 1/3 de la superficie de l’île. 80 % de la population habite dans une bande littorale de 5 km de large ; 47% vivent à moins de 100 m d'altitude.
Le schéma grossier de l'île est celui d'une ceinture littorale urbanisée encerclant un coeur vert de nature. « Nous sommes dans une île où le centre est la périphérie et la périphérie le centre », comme l'explique le géographe JM Jauze (Université de La Réunion) à ses étudiants.
Spatialement, le scénario tendanciel qui se dessine pour l’île au regard des dynamiques des dernières décennies est celui d’une ceinture d’urbanisation continue, courant de Sainte-Rose/Saint-Benoît à Saint-Joseph/Saint-Philippe en n’épargnant que le secteur des pentes du volcan actif. Cette ceinture se développe essentiellement sur les pentes basses et les mi-pentes habitables ; l’espace littoral est préservé tant bien que mal par la Loi Littoral, les acquisitions du Conservatoire du Littoral, les coupures d’urbanisation, les espaces naturels sensibles et les réserves créées ; les Hauts restent de fait stables, pris pour une grande majorité dans le Parc National, et dévolus à un tourisme de nature fondé sur l’équilibre délicat entre la fréquentation pour les usages de loisirs et la préservation de la biodiversité.
Ce scénario, dans son radicalisme simple, n'est pas sans poser problème. Il offre une vision planificatrice du territoire qui, poussée à l'extrême, constitue un risque de fracture environnementale et paysagère préjudiciable au développement durable de l'île : les dimensions viable, vivable et équitable du développement de l'île sont en jeu.