Atlas des paysages de La Réunion




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Les paysages et l’agriculture


Les paysages et l'agriculture cliquez pour agrandir la photo

L’importance sensible des paysages agricoles de l’île, parties intégrantes du cadre de vie

Du littoral aux hauts : de larges ouvertures visuelles, qui rendent sensibles les paysages agricoles (et urbains) ; ici vers Piton Saint-Leu et Le Platecliquez pour agrandir la photo
La surface agricole utilisée (SAU) de La Réunion représente moins d'un cinquième du territoire, notamment en raison de l'importance du massif montagneux qui occupe la majeure partie de l'île. Les terres arables (terres labourables en culture ou en jachère) occupent 35 000 hectares. Au total, les terres détenues par les exploitations agricoles représentent une surface estimée à 55 000 ha, dont plus de 44 000 ha de superficie agricole utilisée, parmi laquelle la canne à sucre prend 25 000 ha.
Mais il faut se méfier des chiffres : ce petit 20% de la superficie de l'île illustre mal le rôle absolument majeur de l'agriculture dans la qualité des paysages de La Réunion. Dans la réalité de la perception du territoire, les surfaces agricoles occupent en effet essentiellement les mêmes espaces que ceux qui sont habités, longuement déroulés sur les pentes extérieures des grandes planèzes : qu'on le veuille ou non, les paysages agricoles sont ainsi au cœur des espaces les plus construits et circulés de l'île : ils font partie du cadre de vie le plus quotidien. Par ailleurs, cette occupation dominante sur les  pentes les rend visuellement très présents et sensibles. Même dans les hauts, lorsqu'ils se parcellisent en minuscules surfaces isolées sur des îlets de cirques, l'importance des reliefs environnants les donne à voir très aisément. Sauf exception comme les fonds de ravines cultivés, les paysages agricoles de La Réunion n'ont ainsi rien de confidentiels : ils sont sous le feu des regards des habitants et des visiteurs, et au cœur des pratiques quotidiennes d'habitat, de travail et de déplacement.

La diversité des paysages agricoles

Canne et ananas vers Mont Vert les Hautscliquez pour agrandir la photoChamp de lentilles, cirque de Cilaoscliquez pour agrandir la photo
La diversité des climats provoquée par les différences d'altitude et par la position géographique de l'île (21 degrés de latitude sud) a engendré un vaste éventail de productions allant des cultures purement tropicales (mangue, canne à sucre, vanille...) aux productions caractéristiques des zones tempérées (pomme de terre, élevage laitiers, ...). Il existe peu d'endroits dans le monde où une telle variété agricole peut être observée sur un espace aussi restreint (2 500 km²). Par ce fait, l'agriculture participe à la valeur fondatrice et première de l'île : celle de la diversité et même des contrastes de ses paysages (voir l'introduction au présent Atlas). Aux vertes et lumineuses étendues de canne succèdent des vergers ombreux de manguiers et de letchis, des forêts cultivées pour la discrète vanille, des « alpages » ouverts sur les cieux des hauts et balayés par les nuages, des pâtures où les vaches ruminent à l'ombre des fougères arborescentes, des damiers de parcelles où se succèdent ananas, poireaux, oignons, géranium et tomates.

Aujourd'hui, le territoire agricole est occupé principalement par la canne à sucre (57 %), en léger recul toutefois (59 % en 2005), par les pâturages (29 %), en progression de 8 % en 7 ans, puis par les cultures fruitières (7 %) et légumières (3,7 %), également en légère croissance.

Les « riantes » campagnes diversifiées du 18e siècle

La vocation agricole diversifiée de l'île est fondée sur son potentiel naturel, mais elle est également largement ancrée dans son histoire. Cette histoire se scinde principalement en deux périodes : celle de la conquête des terres, du café et de la diversification des cultures aux 17e-18e siècles, et celle liée à la canne à sucre à partir du 19e siècle.

La mode du café, née dans les dernières années du règne de Louis XIV, prend de l'ampleur sous Louis XV. Après des premiers essais engagés en 1709 à La Réunion, le gouverneur Justamond ordonne en 1715 que chaque colon plante au moins cent caféiers (moka) par individu vivant sur sa plantation (libre ou esclave). L'ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon du 1er décembre 1724 punit même de mort les malfaiteurs qui détruiraient leurs beaux caféiers. Ce développement du café transforme les paysages de l'île, mais aussi son paysage social avec le développement de l'esclavage et l'enrichissement des plus fortunés et dynamiques capables d'investir. Dès son arrivée en 1735, Mahé de La Bourdonnais, gouverneur générale de l'île, conforte la vocation agricole de La Réunion, complémentaire à la vocation plus commerciale de Maurice, avantagée sur ce point par ses rivages plus accueillants au trafic maritime : port, escale militaire, escale sur la route des Indes. La Réunion quant à elle a vocation à servir de réservoir de main d'œuvre et de produits agricoles. A côté du café, les colons sont incités à produire du blé nécessaire aux navires de passage. Ils développent également le tabac, le coton (vers la Rivière d'Abord), l'indigotier (acheté à Saint-Domingue), le maïs, le riz, les plantes à parfum, les plantes vivrières, et  les épices, ces dernières favorisées par Joseph Hubert à partir des conquêtes de Poivre. La palette de cultures s'élargit ainsi tout au long de ce siècle, révélée par les témoignages enthousiastes de l'époque sur l'aspect « riant » des campagnes (voir la partie « Les fondements culturels » du présent atlas). L'apogée de la diversité paysagère de l'île se situe sans doute au tournant du 18e et du 19e siècle. Elle est révélée par un des témoins de l'époque les plus importants : Bory de Saint-Vincent (voir la partie « Les fondements culturels »). La carte de Claude Wanquet (1990) sur la situation économique de Bourbon en 1788 précise la répartition de ces diverses cultures sur les pentes extérieures de l'île : le blé et le maïs dominants partout, l'élevage dans les parties basses de l'ouest et du sud, le riz et les légumes sur les mi-pentes, le coton un peu plus haut.

Les paysages agricoles fluctuants liés à la canne à sucre depuis le 19e siècle

A partir du début du 19e siècle, le développement de la canne à sucre va progressivement supplanter de nombreuses cultures et contribuer à unifier quelque peu les paysages des pentes cultivées. C'est la perte de l'Ile de France et de Saint-Domingue, entérinée par le Traité de Paris de 1815 signé avec les Anglais, qui pousse la France à développer la culture et l'industrie de la canne sur l'île redevenue « Bourbon » : le pays manque en effet de sucre. Par ailleurs, les cyclones de 1806 et 1807 ont ravagé toutes les plantations ; dans cette reconstruction nécessaire, la canne offre l'avantage d'être plus résistante aux cyclones que bien d'autres cultures, notamment le café. L'île prospère au XIXe siècle grâce à la canne : sa culture exige de la main d'œuvre et des capitaux pour les installations coûteuses de son industrie. L'immigration indienne tamoule débute dès 1828, vingt ans avant l'abolition de l'esclavage par Sarda Garriga. Les premiers Chinois arrivent à partir de 1844. L'abolition de l'esclavage va accélérer le phénomène.
Ainsi, curieusement, la canne au 19e siècle est en quelque sorte tout à la fois vectrice d'une forme d'uniformisation des paysages culturaux et vectrice d'une forme de diversification des paysages culturels.


L’usine de Vue Belle, réhabilitée en centre nautiquecliquez pour agrandir la photo
Jusqu'à 200 usines sortent de terre dans les années 1830. Elles sont principalement localisées au nord-est et égrenées à l'ouest et au sud. Il ne reste aujourd'hui que celles du Gol et de Bois Rouge en activité ; mais plusieurs ruines marquent les paysages des pentes basses de l'île par la silhouette de leur cheminée et leurs vieux murs.
Le développement de la canne est tel que dès 1850 s'instaure une dépendance alimentaire extérieure, du fait de l'abandon des cultures vivrières, du blé, du riz, au bénéfice de la monoculture de canne.
Le dernier tiers du 19e siècle voit se dessiner une crise économique avec l'effondrement du cours du sucre ; les causes sont multiples : maladie de la canne attaquée par une chenille, le Borer, développement en Europe de la betterave à sucre, épidémies de choléra puis de paludisme provoquées par l'afflux de l'immigration qui déciment la population, manque de capitaux et de main d'oeuvre.
Pour faire face, la diversification est ainsi à nouveau recherchée : production de vanille (on exporte 199 tonnes en 1902), développement du manioc pour faire du tapioca (introduit dès 1736  par La Bourdonnais ; 4000 tonnes de farine exportées en 1909), mais aussi thé, mûrier, coton, paille chouchou, plantes à parfum. Ces dernières sont variées : ylang ylang vers La Possession/Saint-Paul, géranium et vétyver dans les hauts, gardénia et patchouli à La Montagne, mais aussi champac, longose (dont on extrayait une cire servant de base aux parfums), etc. Les belles années des plantes à parfums se situent vers 1930.

Le redressement de la canne s'amorce à partir de 1920 : 40 346 tonnes en 1922, 110 702 tonnes en 1940. Elle s'écroule à nouveau au cours de la deuxième guerre mondiale, les plantes vivrières se substituant à la canne pour assurer la survie de la population : 13 164 tonnes en 1944. Le redressement sera rapide après la départementalisation, avant de nouvelles difficultés dans les années 1960. La filière canne est sauvée par un plan de modernisation de l'économie sucrière : épierrage, renouvellement des cannes et amélioration génétique, engrais, rationalisation des transports, irrigation, remembrement des terres, concentration et modernisation des usines.

Aujourd'hui, deux cents ans après l'impulsion de  son développement, la filière canne - sucre - rhum - bagasse demeure une des activités essentielle de l'île. La culture de la canne occupe 57 % de la SAU et représente près du tiers de la valeur agricole finale. Deux unités sucrières (Le Gol et Bois Rouge) et une douzaine de centres de réception reçoivent et traitent chaque année entre 1 800 000 et 2 000 000 tonnes de cannes. L'usine de Bois Rouge brasse l'ensemble de la récolte de la région dite "au vent" ainsi que les cannes issues du centre de réception du Grand Pourpier (Ouest), tandis que l'usine du Gol traite la production des bassins du Sud (Gol et Grand-Bois) et des plates-formes des Tamarins et Stella Matutina, situées elles dans l'Ouest.
Environ 200 à 220 000 tonnes de sucre en sont extraites pour un quota de 295 000 tonnes dans le cadre de l'OCM sucre. Ces deux unités sont performantes. Elles sont couplées chacune avec une centrale thermique fonctionnant à la bagasse qui produisent une part de l'énergie électrique nécessaire à l'île (11,5 % de la consommation de l'île). Le sucre est le premier produit exporté de l'île (70 % des exportations totales). En 2006, la convention tripartite " industriels, planteurs, Etat " a été signée, elle définit les règles dont la filière se dote pour les neufs campagnes à venir. Les statuts du nouveau comité paritaire interprofessionnel de la canne et du sucre ont été signés mi-2007 par les organisations représentatives des industriels et des planteurs.

Sur les dernières décennies, la surface cannière a fortement diminué, passant de 37 860 hectares cultivés en 1987 à 30 900 en 1993, et à 25/26 000 ha aujourd'hui, stabilisée grâce notamment à la vaste opération de remise en culture de terres en friche, orchestrée par la Chambre d'Agriculture, la SAFER, la DAF et certaines communes.
Près de 4 700 planteurs cultivent ces 26 000 ha, soit plus de la moitié de la surface agricole réunionnaise, et les exploitations de taille moyenne (5 à 20 ha) sont majoritaires dans l'île.
Les rendements (78 tonnes/ha en moyenne), très hétérogènes sur l'île de par la diversité des zones de production, sont en progression. Le rendement moyen de canne par hectare a ainsi progressé de 30%, entre 1989 et aujourd'hui.
L'activité canne à sucre est la principale source d'emplois de l'agriculture réunionnaise. Elle reste une culture d'exportation et est considérée comme une production « pilier », incontournable pour la solidité financière des exploitations.

L’agriculture créatrice de nouveaux paysages

Depuis les années 1960, la diversification des cultures accompagne les efforts de maintien de la filière canne, vers les cultures maraîchères, fruitières et vers l'élevage.
Cette diversification compose aujourd'hui des paysages récents ou nouveaux, à une altitude supérieure à celle de la canne. Elle enrichit l'étagement des paysages qui contribue à leur organisation tout autour de l'île (voir l'introduction au présent atlas).

Pâturages de la Plaine des Cafrescliquez pour agrandir la photoPâturage à sophoras sur les pentes de Notre Dame de la Paixcliquez pour agrandir la photo
Sur l'Ouest, au-dessus des 800 m d'altitude à laquelle navigue la route Hubert-Delisle, l'élevage s'est considérablement développé au cours des dernières années, occupant les friches laissées par l'abandon du géranium ; les acacias-mimosas qui servaient à la cuite du géranium forment aujourd'hui un bocage en suivant les limites des enclos et les bords des ravines. On retrouve l'élevage sur la plaine des Cafres, descendant même sur les pentes hautes du Tampon et de Notre Dame de la Paix. Dans le cirque de Salazie, Grand Ilet concentre les élevages porcins et avicoles, matérialisés principalement par des bâtiments de tôle. 

Cultures mixtes sur les pentes du Petit Tamponcliquez pour agrandir la photo
Dans le sud, des paysages agricoles diversifiés de fruits et légumes, parfois encore de géranium et de vétyver, se dessinent sur les pentes à partir de 700/800m d'altitude, entre l'étage de la canne et celui de l'élevage : ils sont marqués par un damier moutonnant de cultures diverses sur petites parcelles, qui contribue à créer des ambiances de jardins agricoles, ouverts sur les grands paysages du littoral et des hauts.
A l'heure actuelle, le secteur fruits et légumes, encore en développement, représente en valeur plus du tiers de la production agricole totale et répond à plus de 70 % des besoins locaux en frais. L'offre reste fortement atomisée alors que la demande est de plus en plus concentrée. La filière se structure lentement : 5 organisations de producteurs reconnues et pré-reconnues, un marché de producteurs qui draine le moins du quart des productions, et une association d'organisations de producteurs qui se met progressivement en place. Les productions commercialisées par la filière organisée représenteraient ainsi un peu moins de 15 % de la production locale estimée à 80 - 100 000 t selon les années. Elles ont triplé en 20 ans (30 900 t en 1981 et 105 000 t en 1997). Les principales productions sont les tomates, pomme de terre, choux, laitues, carotte, oignon, pour les légumes, ananas, letchi, mangues, agrumes, bananes, pour les fruits. Les importations de produits frais représentent 30 000 t, (dont ail, oignon, pomme de terre, carotte, fruits des zones tempérés), selon les années, les exportations représentent 1 500 à 2 000 tonnes (ananas, mangues, letchis).

Pépinière dans le beau cadre du Grand Pourpier (Cambaie, Saint-Paul)cliquez pour agrandir la photo
L'horticulture est une filière peu organisée. Les principales productions sont les arbres d'ornements, plantes en pots, potées fleuries, plantes vertes et à massif, bouquets de fleurettes, fleurs coupées tropicales et tempérées. Il n'y a pas d'exportation et le taux de couverture est estimé à 70 %. Cette filière représente cependant plus d'une centaine d'hectares et 270 professionnels fédérés en un syndicat.

Vanille en forêt à Saint-Philippecliquez pour agrandir la photoMaison du curcuma, Plaine des Grèguescliquez pour agrandir la photo
Quant aux filières végétales traditionnelles (vanille, géranium, vétyver), elles ont été victimes d'une régression structurelle forte et continue depuis plusieurs années. Ce sont des filières fortement organisées autour d'une coopérative. Les programmes sectoriels mis en œuvre avaient permis de stabiliser ces productions, mais les difficultés de ces dernières années (cyclone, éruption volcanique) les ont fortement contraintes. Moins de 2 tonnes d'essence de géranium et quelques dizaines de kilos d'huile de vétyver sont produites. Une orientation nouvelle apparaît avec les Baies Roses (environ 15 tonnes sèches). En ce qui concerne la vanille, la production dépassait les 20 tonnes avant l'éruption volcanique de 2006 ; aujourd'hui elle serait de 15 à 20 tonnes. Des démarches sont en cours pour l'obtention d'une IGP.

Six types de paysages agricoles

Au total aujourd'hui six types de paysages agricoles se rencontrent à travers l'île : les paysages de canne, les paysages agricoles mixtes, les paysages de savane, les paysages de pâturages d'altitude, les paysages de nature jardinée et les paysages agricoles des cirques et des îlets.

Les paysages de canne

Paysage de canne sur les pentes de Saint-Benoîtcliquez pour agrandir la photoLa canne soulignant la géographie des ravines sur les pentes ; ici la ravine du Mouchoir Gris, pentes des Makescliquez pour agrandir la photo

La canne et la toile de fond offerte par l’échancrure de la rivière des Pluiescliquez pour agrandir la photoFloraison de canne sur les pentes de Petite Ilecliquez pour agrandir la photo
Depuis 200 ans, la canne à sucre domine l'occupation agricole du sol. Sa présence sur pente (et non sur plaine plate comme c'est le cas dans beaucoup de pays producteurs) génère de magnifiques paysages, longuement déroulés sur les planèzes extérieures de l'île entre 0 et 800 m d'altitude, rehaussés par les toiles de fond bleutées ou grises des hauts boisés. Son vert clair illumine les pentes, tranchant avec le vert dense des forêts. En s'approchant au plus près des cassures de pente, les champs de canne dessinent notamment soigneusement le lacis des ravines sombres qui les incisent, révélant la géographie fondamentale des pentes. Ils animent les paysages au fil des saisons, par leurs couleurs, leurs hauteurs et leur floraison : beiges après la coupe de l'hiver, ils reverdissent rapidement le reste de l'année ; bas après la coupe, ils forment des murs végétaux de 3 m de hauteur en fin de saison des pluies ; l'étalement de la saison de coupe sur six mois (de juillet à décembre) dessine un damier de parcelles (le plus souvent entre 5 et 20 ha), de hauteurs et de couleurs variées, qui enrichit les paysages ; enfin la floraison soyeuse, blanche aux reflets mauves, allume les étendues cannières avant leur exploitation hivernale.

Les grandes étendues couvertes de canne au-dessus de Piton Saint-Leu : rare paysage de canne pure, non conquise par l’urbanisation diffusecliquez pour agrandir la photo
Les quelques grandes propriétés foncières encore existantes contribuent à la lutte contre le mitage ; elles composent les rares paysages agricoles épargnés par l'urbanisation diffuse : dans le Nord-est sur Sainte-Marie/Sainte-Suzanne, dans le nord-ouest à Savanna, dans l'ouest à Villèle et l'Ermitage, dans le sud-ouest au-dessus de Piton Saint-Leu et de Saint-Louis. Elles composent alors de grandes perspectives paysagères précieuses, et certaines forment des coupures d'urbanisation, protégées à ce titre par la Loi Littoral et par les documents d'urbanisme.

L’ancienne sucrerie de Grand-Boiscliquez pour agrandir la photoAlignement de cocotiers dans les champs de canne de la plaine du Golcliquez pour agrandir la photo

Vieil alignement de palmiers royaux à Savannacliquez pour agrandir la photoBois de chandelle vers Mont Vert les Hautscliquez pour agrandir la photo
La longue histoire de la canne a par ailleurs légué un patrimoine qui marque encore les paysages des pentes :
  • les longues et élégantes allées des grands domaines plantées de cocotiers, en particulier au nord-est (Sainte-Marie Sainte-Suzanne) et dans la plaine du Gol,
  • les « arbres » marqueurs du foncier, postés en limites de parcelles : bois de chandelle (Dracaena sp.) dans l'ouest, et pimpins (vacoas) dans l'est ;
  • les andains de blocs rocheux créés par l'épierrage des champs, qui dessinent les paysages et aident à lutter contre l'érosion ;
  • d'anciens canaux d'irrigation ;
  • et des ruines des anciennes usines qui constellaient le territoire (120 usines encore en 1860, - et même 200 dans les années 1830 selon certaines sources -, 2 aujourd'hui), signalées par leurs cheminées et leurs pans de murs de basalte sombre. Autant d'éléments qui enrichissent les paysages, mais qui sont fragiles car ponctuels et sans usages.
Les énormes efforts d'irrigation engagés par le projet ILO (voir le chapitre « Les paysages et l'eau »), étendent progressivement les champs de canne sur l'ouest à une altitude basse longtemps réservée au pâturage de zone sèche, déroulant des étendues vertes nouvelles, striées par les bandes sombres d'andains formés par l'épierrage des champs.

Les paysages agricoles mixtes

Canne et plantes aromatiques sur les pentes de Petite-Ilecliquez pour agrandir la photoCultures diversifiées sur les pentes du Sud (Pitons Manapany)cliquez pour agrandir la photo

Verger de papayers, entre La Saline et Les Avironscliquez pour agrandir la photoExemple de paysage agricole jardiné : mixité palmiers et agrumes, Le Tévelavecliquez pour agrandir la photo

Cultures mixtes vers Petite-Ilecliquez pour agrandir la photo
A côté de la canne, des cultures diversifiées et spécialisées de légumes, de fruits, de plantes à parfum, dessinent des paysages agricoles radicalement différents. Les parcelles en général petites composent un damier composite qui font de l'ensemble un paysage agricole jardiné. Il marque tout particulièrement le sud, au-dessus de Saint-Pierre/le Tampon vers 1000 m d'altitude, ou plus proche du littoral vers Petite-Ile et Saint-Joseph, la canne se mêlant alors à l'ensemble.

Ananas et vergers sur les pentes de Mont-Vertcliquez pour agrandir la photo
L'aspect ouvert de ces cultures dégage là encore des perspectives lointaines remarquables sur le littoral comme sur les hauts, à la fois familières par les cultures en place et grandioses par les bleutés des horizons lointains montagneux ou océaniques.

Cressonnière et bananeraie dans le fond de la rivière Langevincliquez pour agrandir la photo
Des paysages agricoles et jardinés, plus intimistes, marquent également les fonds de ravines fertiles et les rares plaines humides comme celle de l’étang de Saint-Paul.
Des paysages agricoles et jardinés, plus intimistes, marquent également les fonds de ravines fertiles et les rares plaines humides comme celle de l'étang de Saint-Paul.

Les paysages de savane

La savane du Cap La Houssaye, visible depuis la Route des Tamarinscliquez pour agrandir la photoLa savane du Cap La Houssaye, visible depuis la Route des Tamarinscliquez pour agrandir la photo
Les paysages de savane sont bien des paysages agricoles et non des paysages « naturels ». Spécifiques de l'Ouest au climat sec et chaud sur les pentes basses, ils sont directement liés à l'élevage, développé dès l'arrivée des hommes sur l'île, entretenu par le feu pour favoriser la repousse verte tendre mangée par les cabris (chèvres) ou les bœufs Moka (zébus). Le passage répété du feu et des animaux a conduit au développement de plantes pyrophytes (qui profitent du feu), notamment de l'Heteropogon contortus. Cette graminée fait presque à elle seule le paysage de savane qui en résulte : elle constitue de vastes étendues lumineuses rousses-orangées en saison sèche, verte en saison des pluies et bronze en saison intermédiaire : des paysages uniques qui concourent fortement à la diversité contrastée des paysages de l'île, valeur fondatrice de La Réunion comme évoqué dans l'introduction du présent atlas. Ils sont enrichis par les silhouettes de quelques arbres résistant aux dures conditions de sécheresse qui règnent : notamment le bois noir (Albizzia lebbeck). Les paysages de savane sont en voie de disparition aujourd'hui, mangés par l'urbanisation et par les mises en culture rendues possibles par l'irrigation. Ce sont des paysages fragiles, qui exigent de grandes surfaces entretenues pour être valorisants : lorsqu'ils se réduisent à quelques arpents pris entre deux secteurs habités, ils prennent limage d'une friche peu valorisée ; lorsqu'ils sont abandonnés par le pâturage et non incendiés, ils s'arment, gagnés par les touffes de chokas ou les fourrés denses et épineux du Prosopis (Zépinard), ce dernier peu attractif par sa couleur grisâtre et son caractère piquant impénétrable. On le voit en particulier entre la Grande Ravine et Saint-Leu, sur les pentes basses des Colimaçons et la Pointe des Châteaux.

C'est pourquoi les savanes tendent à être préservées au moins sur les deux grands caps de l'Ouest : le Cap La Houssaye d'une part et le Pointe au Sel d'autre part. Sur le Cap La Houssaye, la présence nouvelle de la Route des Tamarins supprime la zone de calme que constituait le Cap ; mais elle révèle au plus grand nombre la valeur méconnue de ces vastes étendues lumineuses ; la conception de la route a pris le parti de valoriser le paysage de la savane, par le tracé des chaussées en terrasses séparées et décalées, par le façonnage adapté des talus de déblais et de remblais, par l'aspect des ouvrages d'art, par la recherche de la perméabilité physique de la route pour laisser passer les troupeaux, et par la palette végétale adaptée aux conditions de milieu.

Les paysages de pâturages d’altitude

Pâturages sur les pentes hautes du Tampon/Notre-Dame de la Paixcliquez pour agrandir la photoPâturages sur les pentes du volcancliquez pour agrandir la photo
Plus haut en altitude, à partir de 800 m d'altitude où les conditions climatiques plus fraîches et plus humides deviennent défavorables à la canne, de tout autres paysages liés à l'élevage se dessinent : verts pâturages, bordés de forêts, parfois piqués de fougères arborescentes, où paissent des vaches. L'ensemble baigne dans une ambiance lumineuse tôt dans la matinée puis rapidement brumeuse et mystérieuse le restant de la journée. Ce sont des paysages déjà traditionnels sur la Plaine des Cafres, plus récents sur les hauts de l'Ouest où ils se sont substitués aux champs de géranium à partir des années 1990. Ils contribuent puissamment à la palette surprenante de diversité des paysages Réunionnais. Sur la Pointe des Cafres en particulier, ils jouent un rôle stratégique particulièrement important en étant traversés par la RN3 et en servant de seuil aux paysages les plus attractifs et touristiques de l'île formés par le massif du Piton de la Fournaise. Le développement anarchique de l'urbanisation et d'équipements menace malheureusement ces magnifiques étendues de la Plaine des Cafres, qui paraissent grands et sont en réalité petits et fragiles.

Les paysages de nature jardinée

Elégante ambiance de nature jardinée à Piton Saint-Leucliquez pour agrandir la photoNature jardinée, pentes sudcliquez pour agrandir la photo

Nature jardinée, vers le Barilcliquez pour agrandir la photo
La « nature jardinée » a été identifiée dans « Paysage Côte Est » (CAUE 1990), qualifiant ainsi les paysages de la côte de Saint Benoît, Sainte-Rose, Saint-Philippe, formés par les cultures arborées mêlées qui accompagnent les cases égrenées au fil de la RN 2 : vergers plantureux plantés de letchis puissants, d'agrumes ronds et de bananiers aux verts lumineux, de vacoas étranges porteurs de vanille, de palmistes gracieux, d'arbres à pain vernissés et élégants, et de bien d'autres espèces généreuses ; autant d'essences magnifiques par leurs formes, souvent mêlées les unes aux autres, plus épanouies que partout ailleurs du fait d'un climat chaud et humide favorable, l'ensemble constituant une nouvelle facette particulièrement originale du kaléidoscope agricole de l'île. Outre la côte est, on retrouve la nature jardinée çà et là autour de l'île, sur la côte sud ou à la faveur des conditions favorables, humides et abrités des vents, rencontrées en fonds de certaines ravines (ravine des Lataniers, rivière Langevin, etc).

Les paysages agricoles des cirques et des îlets

Fragile îlet cultivé vers Mare à Martin/Bé Cabot, cirque de Salaziecliquez pour agrandir la photoAgriculture jardinée des hauts, Les Makescliquez pour agrandir la photo
Les espaces agricoles développés dans les cirques, et notamment perchés sur les étroits « replats » formés par les îlets, contribuent à la valeur paysagère des hauts : ils tempèrent la rudesse des puissantes pentes ravinées qui marquent les horizons de toutes parts, soulignent la présence des hommes dans des conditions naturelles improbables, révèlent et donnent à lire des sites étonnants. Ils proposent des paysages familiers et domestiques qui renforcent l'aspect oasis des îlets, en contrepoint des vastes étendues naturelles ou boisées alentours. Ils contribuent aussi à la diversité et à l'agrément des paysages de l'île en soulignant les spécificités propres à certains secteurs : le chouchou à Salazie, la vigne et la lentille à Cilaos, le cresson dans le fonds des ravines en eau (rivière du Mât, rivière Langevin, …), etc.

Les environs de Petite Ile cliquez pour agrandir la photo
Globalement l'agriculture prend place principalement entre l'urbanisation littorale et les forêts ou espaces naturels d'altitude, sur les longues pentes extérieures de l'île, entre 0 et, selon les pentes, 400, 800 ou 1200 m d'altitude. De ce fait, elle est en concurrence directe avec la pression du développement de l'urbanisation d'habitat et d'activités, des infrastructures et des équipements, principalement concentrés sur les 800 premiers mètres d'altitude. La SAU a d'ailleurs diminué de 53 200 ha en 1980 à 43 700 ha en 2000. Chaque année, l'urbanisation consomme 500 ha de terres agricoles : soit l'équivalent de 3 terrains de football par jour tous les jours…
Cette situation se lit aujourd'hui dans le grand paysage, avec une présence presque systématique du semis d'urbanisation blanche piquant les étendues vertes agricoles, dans une imbrication parfois très étroite et complexe. Partout où porte le regard, le bâti est largement présent dans le grand paysage agricole ; il faut cadrer serré pour échapper à la présence des constructions. Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, les paysages agricoles de La Réunion sont de fait presque partout périurbains, et les logiques de développement ne peuvent ignorer les concepts d'agriculture périurbaine et urbaine.

Imbrication agro-urbaine, ici sur les pentes de Petite Ilecliquez pour agrandir la photo
Grandes étendues agricoles vers Piton Saint-Leucliquez pour agrandir la photoGrandes étendues agricoles vierges de construction à Savannacliquez pour agrandir la photo

Grands espaces cultivés des pentes de l’Ermitage, récemment irriguées par le projet ILOcliquez pour agrandir la photo
Dans ce contexte, les grands paysages agricoles vierges de présence d'urbanisation, purement agricoles, deviennent particulièrement rares et précieux : ils constituent de véritables respirations sur les pentes (on parle de « coupures d'urbanisation »), bienvenues dans un contexte généralisé d'urbanisation diffuse et globalement médiocre ; en étant ouverts, ils mettent en scène de façon majestueuse les vues, non seulement vers le littoral et l'océan à l'aval, mais aussi vers les hauts et leurs sommets découpés comme de la dentelle, bleutés dans la vive lumière du matin, plus mystérieux l'après-midi en se voilant d'écharpes nuageuses. Il existe ainsi de véritables perspectives paysagères d'importance patrimoniale majeure.

Promenade dans les champs vers Le Bernicacliquez pour agrandir la photo
Mais surtout, la situation périurbaine de l'agriculture apparaît encore peu reconnue économiquement et socialement. Outre son avenir économique même, c'est l'image de l'agriculture qui apparaît fragilisée, voire dégradée par la présence non maîtrisée d'urbanisation diffuse dans les parcelles ; mais c'est aussi l'usage socio-économique de l'espace agricole qui apparaît aujourd'hui décalé. Alors que les espaces naturels des hauts (volcan, cirques, forêts) comme ceux des plages sur le littoral, sont publics et largement appropriés par la population, les espaces agricoles sont privés et l'appropriation est au mieux visuelle : hormis leur rôle premier d'espaces de production, ils constituent de simples « décors » pour les habitants et visiteurs, visuellement sensibles mais vides d'usages. L'appropriation physique, par les chemins, par les « séjours à la ferme », par l'achat direct chez le producteur, ou par tout autre moyen favorisant l'échange entre agriculteurs et visiteurs, mais aussi entre espaces agricoles et urbains, reste un enjeu fort pour faire de l'agriculteur un acteur reconnu du cadre de vie et de l'agriculture une pièce maîtresse de l'aménagement du territoire. Le récent « schéma intercommunal d'aménagement des lisières agro-urbaines », engagé sur l'ouest (tco), devrait aider à aller dans ce sens.

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