Atlas des paysages de La Réunion




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Le beau paysage de la campagne

et l'affreux pays de la montagne (XVIIIe siècle)


1. LE CAFÉ ET LE DÉVELOPPEMENT DES CAMPAGNES

L'introduction du café.

Le Gentil, s'il ne voit pas grand-chose de la Plaine des Cafres, est en revanche le premier à parler de café. En 1715 en effet sont introduits les premiers plants de caféiers en provenance de Moka, à peu près en même temps que l'on découvre, dans les forêts de l'île, une variété de caféier indigène. L'indifférence de la Compagnie des Indes à l'égard de Bourbon fait place alors à un certain intérêt et, dans le courant de 1717, les directeurs de la Compagnie élaborent un plan rationnel de mise en valeur de l'île. L'introduction du café marque le démarrage d'une évolution durable et profonde de l'aspect du pays. La campagne va véritablement naître et s'épanouir au cours du XVIIIe siècle.


Mahé de la Bourdonnais et la diversification des cultures.

Outre l'introduction du café et le développement de sa culture, l'arrivée de Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais comme gouverneur général de l'île est décisive également sur l'évolution de l'île. Bourbon est déclassée en tant qu'escale sur la route maritime des Indes, tandis que l'Ile-de-France devient un port et une escale militaire importante. En revanche, Bourbon va être considérée comme un réservoir de main d’œuvre et de produits agricoles. Le blé en particulier est nécessaire aux navires de passage. Aussi les colons sont-ils contraints de développer sa culture (moins rémunératrice et plus difficile que celle du café) en n'étant autorisé à payer leurs achats à la Compagnie qu'en blé.

Ce développement du blé va avoir une incidence profonde sur la perception des paysages de campagnes de l'île, qui vont souvent être comparés, on va le voir, à ceux de la France.

D'autres cultures commerciales sont tentées comme le tabac, présent en petite quantité depuis le début de la colonisation au XVIIe siècle, le coton, vers la rivière d'Abord, qui avait déjà été développé par le Père Bernardin lorsqu'il était gouverneur en 1680-1686 pour éviter que les habitants ne vivent "tous nus comme des nègres", l'indigotier, acheté à Saint-Domingue, et les plantes vivrières.

Les défrichements des pentes s'accentuent, notamment sur les quartiers agricoles de Sainte-Suzanne et de Saint-Louis, propices au café, et La Bourdonnais, en donnant la préférence à Saint-Denis plutôt qu'à Sainte-Suzanne et Saint-Paul, favorise l'accroissement de la "capitale".

2. LE CONTRASTE ENTRE UNE CAMPAGNE EPANOUIE ET UNE MONTAGNE ENCORE MAL CONNUE

    Le développement de la “campagne” n’est peut-être pas sans incidence sur le sentiment que l’on éprouve pour la montagne : en même temps que cette montagne est progressivement mieux connue, le sentiment s’exacerbe sur l’aspect qu’elle offre aux explorateurs. Les reliefs titanesques découverts dans l’île sont considérés comme d’autant plus “affreux” qu’ils contrastent de plus en plus avec les plaines littorales qui, elles, sont chaque jour davantage “riantes” en étant mises en valeur avec le développement des plantations de café.

La lettre du Père Ducros, missionnaire jésuite de passage à Mascarin en 1725, est à ce titre intéressante. Elle est adressée à l’abbé Raguet, “directeur ecclésiastique” de la Compagnie des Indes. Même de loin, sortant de la mer, la montagne devient affreuse ; sa stérilité et son austérité contrastent avec le bas des pentes cultivées, riantes et fertiles.

“Je ne me propose pas de vous entretenir fort au long de l’île de Mascareigne ou de Bourbon ; elle est trop connue. C’est un roc affreux qui sort de la mer à 21 degrés 5 minutes de latitude méridionale, et à 77 degrés 42 minutes de longitude ; mais ce roc n’est affreux qu’en dehors ; au dedans il est très riant et très fertile.”

Le Père Ducros est le premier à présenter l’île par ses caractères physiques avant de dresser le classique inventaire de ses richesses et de ses avantages. Il s’étend pour cela bien davantage que tous les autres récits qui le précédaient, malgré la brièveté générale de la lettre. Il est ainsi le premier à décrire le volcan avec quelques précisions sur sa forme, et le premier également à hiérarchiser les cours d’eau en notant la présence de trois rivières principales, sans doute les exutoires des trois cirques.
Ceci même si son explication sur la présence d’eau dans ces rivières reste quelque peu fantaisiste, puisqu’il l’incombe à la puissance de la mer qui ferait remonter l’eau au sommet des montagnes! Explication révélatrice de la méconnaissance des hauts : vivant sur la côte, comparativement peu arrosée par rapport à l’intérieur de l’île, les hommes du début du XVIIIe siècle ne peuvent imaginer la quantité de pluie qui peut tomber sur les sommets ; ils ont encore du mal à expliquer l’abondance de l’eau de la montagne et sa puissante capacité à entailler les pentes. C’est peut-être cette même difficulté à réaliser l’importance des précipitations sur les sommets qui avait fait imaginer à Antoine Thoreau l’existence du grand lac dans l’intérieur de l’île au milieu du XVIIe siècle et à Le Gentil la présence de “neiges qui couvrent les hautes montagnes de cette île (et qui) forment des torrents qui se jettent dans la mer et qui portent la fertilité et l’abondance dans toute la plaine”!

“Quoique (l’île) ne semble être qu’un roc sourcilleux, elle est réellement divisée en trois parties qui forment comme trois montagnes. Deux choses m’y ont paru dignes d’une attention particulière, le volcan et la montagne des Salazes.
Le volcan est la cime d’un mont figuré en pain de sucre. Au-dessous du sommet il y a un contour creux où, comme dans un large bassin, le volcan vomit des torrents de mâchefer enflammé. Le bassin étant une fois rempli, cette matière en dégorge avec tant d’impétuosité et d’abondance qu’elle a forcé la mer à se retirer assez considérablement, mais les flots regagnent insensiblement leur terrain. Le feu continuel que cette montagne nourrit se fait voir au voisinage presque toutes les nuits et cause de temps en temps de petits tremblements de terre qui varient beaucoup quant au lieu. C’est, pour ainsi parler, un feu ambulant.
La montagne des Salazes est au milieu de l’île, et elle domine toutes celles qui l’environnent. La violence de la mer, ou telle autre cause que vous voudrez, élève jusqu’à son sommet, par des voies souterraines, une si grande quantité d’eau que les trois plus grandes rivières de l’île en sont formées. Ces rivières se précipitent avec une extrême rapidité et font sur leur route un nombre prodigieux de bruyantes cascades. Les autres rivières sont aussi fort impétueuses, excepté celle qui porte le nom de Sainte-Suzanne, qui est assez tranquille ; mais elles ont leurs sources ailleurs.”

Le marquis d’Albert, en route vers Pondichéry et le Bengale, relate dans son Journal de voyage son séjour à l’île Bourbon en 1725 et y décrit l’île dans le même esprit que le Père Ducros :

“Le terrain de l’île est encore plus élevé que celui de Maurice et plus rempli de hautes montagnes qui, avec des ravines affreuses, coupent dans l’île et rendent son milieu impraticable : il n’est presque pas connu, on ne saurait traverser l’île, ne communiquant d’un quartier à l’autre que le long des côtes.(...)
(Le chemin) de Saint-Denis à Saint-Paul, le plus pratiqué, est pourtant le pire, à cause de quatre lieues d’affreuses montagnes qu’il faut traverser de Saint-Denis à un lieu au bord de la mer où les Portugais et les Français ont abordé en arrivant dans l’île et qui a pris là son nom de la Possession. Les gens à pied y passent avec peine ; il faudra de la dépense et un long détour pour que les gens à cheval puissent y passer. (...)
De la Rivière d’Abord au pays brûlé, en faisant le tour de l’île par cet endroit jusqu’à la Rivière de l’Est, il y a par intervalles des montagnes d’une prodigieuse hauteur et des creux de ravines affreux. Le pays est d’ailleurs si peu connu qu’on ignore si l’on pourrait y trouver du passage. (...)
Le milieu de l’île est de même regardé comme impraticable, si bien qu’il n’y a rien de cultivé, c’est-à-dire destiné pour la culture, (car il n’y a guère que la vingtième partie des terres concédées qu’on ait encore défrichée), que les côtes et les montagnes voisines qui les entourent depuis la rivière de l’Est passant par le nord à celle d’Abord.”

3. L’AFFREUX PAYS DE LA MONTAGNE DEVIENT EN PLUS DANGEREUX

Avec le développement des campagnes, la population augmente considérablement. Alors qu'au début du siècle elle n'atteint pas encore le millier, le R.P. Caulier, dans ses "fragments sur l'île Bourbon", soit en 1764, en compte déjà près de 25 000.
Le besoin en main d’œuvre nécessite le recours aux esclaves. Et le nombre d'esclaves marrons qui s'enfuient dans les hauteurs augmente d'autant. La chasse aux marrons se développe aussi, avec son sinistre cortège de peines spectaculaires : fleurs de lys marquées au fer, pieds coupés, coups de fouets, port de chaînes, pendaisons.
Il est probable donc que des îlets d'esclaves marrons se soient développés dans les hauts à cette époque, notamment dans les cirques.
Il est possible aussi que cette présence humaine insoumise ait constitué un danger suffisant pour ralentir la timide progression des connaissances de l'île qui s'était amorcée aux premières années du XVIIIe siècle avec Feuilley et Villers, puisque l'observation comparative des cartes entre le début et la fin du siècle montre bien peu de progrès sur la connaissance de l'intérieur de Bourbon.

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