Atlas des paysages de La Réunion




Accueil » DIAGNOSTIQUER ET AGIR » Les enjeux majeurs de paysage » Les enjeux : risques, problèmes et opportunités en termes de paysage » 2.4. L’appauvrissement des paysages de nature

2.4. L’appauvrissement des paysages de nature


2.4.1. L’envahissement des milieux par les espèces exotiques

Envahissement par la vigne marronne (le Tévelave)cliquez pour agrandir la photoLes masses d’acacias héritées des anciennes plantations de géranium, dans les hauts de l’ouest : un appauvrissement biologique et paysager.cliquez pour agrandir la photo

Envahissement de la Pointe des Châteaux par les « kékés » (photo avril 2005)cliquez pour agrandir la photo

Les espèces exotiques envahissantes, introduites au fil des trois derniers siècles (voir le chapitre « les paysages et les espaces naturels » dans la partie « les fondements des paysages » du présent atlas), posent aujourd'hui problème ; elles sont responsables de la diminution de la diversité floristique, de la disparition d'espèces et de milieux indigènes, de l'uniformisation des milieux et de la banalisation des paysages. Certaines couvrent même de grandes surfaces impénétrables, inaptes à tout usage de loisir (promenade, …) ; c'est le cas des fourrés épineux composés, selon les secteurs,  du Cassie blanc (Leucaena leucocephala), de l'Avocat marron (Litsea glutinosa), du choca vert (Furcraea foetida), du Zépinard (Dicranopteris cinerea).

De l'ouest à l'est, du nord au sud et des Hauts aux Bas, il n'y a pas d'espaces qui échappent aujourd'hui à cette dynamique en cours. Outre la savane et les fourrés secs de l'ouest, citons :

  • la liane papillon (Hyptage benghalensis) qui occupe de très larges surfaces notamment sur les remparts des grandes ravines du Nord Ouest (Ravine de la Chaloupe, Ravine à Malheur,…) ;
  • le Bois de chapelet (Bohemeria penduliflora) et le Filaos (Casuarina equisetifolia), qui, à l'est, dominent aujourd'hui la végétation pionnière de coulées de lave récentes ;
  • le Faux poivrier (Schinus terebinthifolius) qui occupe les ravines hygrophiles dans l'aire de la forêt chaude et humide descendant également dans l'aire de la forêt sèche ;
  • le Jamrosa (Sysygium jambos) et le Goyavier (Psidium cattleianum) qui constituent les fourrés secondaires les plus étendues, tant sur la côte est qu'ouest. Le jamrosa ne devient réellement dominant que dans les ravines très humides de la côte « au vent ». Le goyavier pénètre aussi dans l'étage mésotherme des forêts pluviales et également, mais discrètement, dans les ravines fraîches de l'étage semi-xérophile ;
  • le Fuchsia (Fuchsia magellanica), le longose (Hedychium gardnerianum) qui ont envahi d'importantes surfaces en sous-bois des forêts de montagne ;
  • le raisin marron ou vigne marronne (Rubus alceifolius), partout où des trouées sont opérées dans le couvert boisé des forêts humides ;
  • La liane chouchou (Sechium edule) très présente sur les remparts de la rivière du Mât en montant à Salazie ;
  • l'Ajonc d'Europe (Ulex europeaus) dans les étages de végétation les plus élevés, notamment sur le Maïdo ;
  • la Corbeille d'or ou Galabert (Lantana camara), le grain noël (Ardisia crenata), etc.

Cette dynamique de plantes exotiques apparaît à peu près impossible à stopper et de plus en plus sensible dans le paysage au fil des années, au fur et à mesure que les plantes gagnent du terrain. De coûteux efforts de réduction de leur présence portent sur des points précis, comme le rabattage manuel des ajoncs autour du point de vue du Maïdo. Quant à la lutte biologique, elle fait l'objet de virulents conflits, notamment depuis l'introduction de la « mouche bleue » pour lutter contre la vigne marronne, accusée d'occuper la niche écologique des abeilles. Et l'éradication d'une peste végétale dans un endroit donné laisse entier le problème du devenir et de la gestion de l'espace en question.


Littoral sauvage de Saint Leu, dans les années 1990cliquez pour agrandir la photoLittoral sauvage de Saint Leu, fermeture visuelle par les plantes envahissantes se développant sur les abords en 2010cliquez pour agrandir la photo

2.4.2. Le fractionnement des paysages en micro-sites résiduels

Réduction des coupures d’urbanisation littorales : exemple à Sainte-Marie / Sainte-Suzannecliquez pour agrandir la photo

En 1950, la route du littoral de Sainte-Marie à Sainte-Suzanne s'ouvre en continu sur l'océan. En 1984 (à la veille de la Loi Littoral qui date de 1986), cette ouverture est encore offerte en continu.

En 2008, l'espace de respiration a été divisé par 2, suite à l'urbanisation des confins de Sainte-Marie et du quartier Ravine des Chèvres les Bas.


La « création » d’un paysage naturel urbain : exemple de l’étang de Saint-Paul.cliquez pour agrandir la photo

En 1950, l'étang de Saint-Paul prend place dans un vaste territoire « naturel » de littoral et de pentes non bâtis. En 1984, la ville de Saint-Paul a colonisé sa flèche sableuse, la coupure avec l'étang étant renforcée par le doublement de la Chaussée Royale par la RN 1. En 2008, l'étang et son coteau sont désormais pris dans l'urbanisation : celle du littoral de Saint-Paul à l'ouest, celle des pentes au sud et à l'est, celle de la zone d'activités de Savannah au nord. La Réserve naturelle de l'étang, créée en janvier 2008, est désormais urbaine par son positionnement.


Le fractionnement des espaces : exemple à Saint-Louis / étang du Golcliquez pour agrandir la photo

En 1984, l'étang du Gol est à la fois en communication avec le littoral et avec la plaine agricole du Gol. En 2008, la création de la nouvelle RN 1 a généré des espaces résiduels partis en friches autour de l'étang. La ravine du Gol passe dans les friches et est en partie bordée par l'urbanisation de Bel Air.


Développement de l’urbanisation à Rivière des Galetscliquez pour agrandir la photo

Le bord de la rivière des Galets est à peu près inhabité en 1950. En 1984, des quartiers bidonvilles se sont créés en marge de la plaine au bord de la rivière, qui donne son nom au quartier. L'urbanisation commence à s'étendre sur les pentes et dans la plaine. En 2008, l'urbanisation a gagné tous les bords de la rivière, réduisant l'ouverture naturelle vers Mafate depuis le littoral au seul lit de la rivière. Ailleurs les opérations se juxtaposent dans la plaine (commune du Port) comme sur les pentes (commune de La Possession).


Le chapitre « Aperçu général, les grands ensembles de paysages de La Réunion », dans la partie « Connaître et comprendre » du présent Atlas, a rappelé à quel point l'échelle des paysages Réunionnais est trompeuse. Les fractures verticales étant spectaculaires, avec des remparts dépassant 1000 m de hauteur, on parle de grands paysages et même de paysages grandioses. Mais, hormis ces profondeurs verticales, les étendues horizontales apparaissent infiniment plus modestes. Beaucoup de ces paysages paraissent grands alors qu'il restent objectivement petits : on peut rappeler comme exemple la Plaine des Sables, la Plaine des Remparts, la savane du Cap La Houssaye et celle de Pointe au Sel, la plaine des Cafres, la plupart des paysages littoraux …


Des paysages qui semblent grands… mais qui ne le sont pas. De gauche à droite : la pointe au sel, la plaine des sables, le souffleur (Saint-Leu), la plaine des Cafres.cliquez pour agrandir la photo

Cette dimension réduite des paysages de l'île les fragilise doublement :

  • elle les rend sensibles à toute « intrusion » d'aménagement, équipement, construction, de quelque nature qu'il soit, qui « casse » l'échelle et leur fait perdre leur fausse grandeur ;
  • elle les rend sensibles à la présence du public qui, en se concentrant sur un espace modeste, provoque les problèmes de surfréquentation évoqués ci-dessus.

La fragilité intrinsèque de ces petits « grands paysages » est aggravée par les dispositions d'aménagement, qui les fragmentent et les réduisent. Aujourd'hui, beaucoup de paysages ne peuvent s'afficher et se vendre que comme des photographies étroitement cadrées :

  • cadre serré sur le cocotier ou le filao alangui au bord du lagon de l'Ermitage-les-Bains, pour échapper aux équipements touristiques ;
  • cadre serré sur la côte sauvage des souffleurs de Piton Saint-Leu battue par les flots, pour échapper à la route nationale rasant ce même trait de côte ;
  • cadre serré sur la « forêt » de vacoas en bord de mer de Vincendo, réduite dans la réalité à un maigre bosquet ;
  • cadre serré sur le champ de canne vert tombant dans la mer bleue à Sainte-Marie, pour oublier l'urbanisation qui le grignote de part et d'autre ;
  • cadre serré sur les étendues d'eau sereines de l'étang du Gol, pour échapper à son contexte routier et périurbain ;
  • cadre serré sur l'échancrure profonde et sauvage de Bernica, en tournant le dos à la Route des Tamarins ;
  • cadre serré et plongeant sur Grand Bassin, en ignorant les étendues de parkings qui bordent le point de vue ;
  • cadre serré sur la gracieuse case et son jardin charmant, pour ôter du regard les cubes de béton sans âme qui la dominent de part et d'autre ;
  • cadre serré sur l'alignement de palmiers de Savanna, pour ignorer la zone d'activités attenante ;
  • etc : les exemples sont innombrables.

Ainsi aujourd'hui, beaucoup de ces fragiles paysages sont réduits à des décors exigus, à des clichés, à voir et à prendre d'un point précis, mais impossibles à vivre et non créateurs d'ambiances authentiques.

Les paysages de La Réunion ont besoin d'une politique qui aille bien au-delà des « sites », capable de remettre en scène et de réhabiliter non seulement le site mais ses relations et ses transitions avec le contexte dans lequel il prend place.


2.4.3. L’urbanisation des rebords de ravines

Problème d’urbanisation des champs en rebord de ravine : dégradation du paysage, aggravation des risques liés aux glissements et à la pollution (pentes de Saint-Paul/Bellemène)cliquez pour agrandir la photoProblème d’urbanisation trop proche du rebord de la ravine.cliquez pour agrandir la photo

Urbanisation en bord de ravine, générant des risques de glissement et de pollution, ainsi que des problèmes de paysage.cliquez pour agrandir la photoProblème d’urbanisation trop proche du rebord de ravine (Saint-Paul)cliquez pour agrandir la photo

Problème de déversement d’ordures en ravine (ravine de Trois-Bassins)cliquez pour agrandir la photoL’absence de recul de l’urbanisation par rapport à la ravine aggrave les risques d’inondation et empêche l’appropriation publique des bords de ravine (Etang-Salé)cliquez pour agrandir la photo

Problème d’urbanisation excessivement collée à la ravine, qui aggrave les risques d’inondation et empêche l’appropriation publique des bords de ravine (Etang-Salé)cliquez pour agrandir la photoProblème de manque de place réservée en bord de ravine, conduisant à des murs de protection peu avenants et sans possibilité de cheminement doux (Boucan Canot)cliquez pour agrandir la photo

Problème de parking en remblai dans la ravine, sans espace public de transition en bord de ravine (Boucan Canot, photo octobre 2006)cliquez pour agrandir la photo

Sur les pentes extérieures de La Réunion, les ravines, profondes et difficiles d'accès, sont souvent les seuls espaces de refuge de la faune et de la flore indigènes ou endémiques de l'île. Elles sont généralement identifiées et préservées à ce titre. La pression de l'urbanisation conduit malheureusement à urbaniser les rebords de ces ravines jusqu'au ras des remparts. Ce processus pose plusieurs problèmes écologiques et paysagers :

  • il aggrave le problème de dérangement des espèces et de pollution des ravines (bennage des ordures domestiques, ruissellement des eaux des surfaces imperméabilisées, chargées de polluants) ;
  • par endroits il aggrave les risques liés aux glissements et aux inondations ;
  • il privatise définitivement des espaces attractifs pour la population, offrant des vues et constituant des sites de pique-nique, promenade ou loisirs appréciés ;
  • il rend impossibles les liaisons douces continues amont-aval au fil des ravines ;
  • il contribue à dégrader les paysages et les milieux liés aux ravines par les murs de soutènement des maisons en béton ou parpaing brut au ras des rebords de ravines, très visibles depuis la rive opposée.

2.4.4. La fragilité du tourisme

Parking sans qualité pour la plage de Grand Fond. Cas de site d’accueil touristique à requalifier.cliquez pour agrandir la photoProblème d’accueil du public à Bourg-Murat (route du Volcan)cliquez pour agrandir la photo

Réseaux aériens problématiques au Tévelave (Village Créole)cliquez pour agrandir la photoRéseaux aériens problématiques au Tévelave (Village Créole)cliquez pour agrandir la photo

Insuffisante attractivité des centres-bourgs (ici Le Plate)cliquez pour agrandir la photoManque de confort pour le fonctionnement doux et piéton. Ici à Boucan Canot (photo octobre 2006)cliquez pour agrandir la photo

L'activité touristique, première source de richesse de l'île, reste fragile. Elle est notamment largement dépendante du coût du transport aérien, même si le tourisme intérieur produit plus de la moitié de la richesse. Mais elle est aussi dépendante de la qualité paysagère de l'île : comment attirer un tourisme haut de gamme et rémunérateur dans une situation mondiale très concurrentielle (nombreuses îles tropicales à coût de main d'œuvre peu élevé), sur une destination lointaine et isolée, si la qualité n'est pas au rendez-vous ?

Les évolutions récentes peuvent apparaître comme des signaux avertisseurs : raccourcissement des séjours, diminution des dépenses, augmentation de la dépendance à la métropole (les touristes métropolitains représentent plus de 8 clients sur 10), augmentation du tourisme affinitaire moins rémunérateur (plus de la moitié des touristes viennent à La Réunion voir leurs amis ou leur famille), baisse du nombre de touristes étrangers (-10 % entre 2008 et 2009) et du nombre de touristes d'affaires  (-18%).

Certes les appellations prestigieuses sont des sources d'attractivité touristique très importantes : le Parc National, l'inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, vont à l'évidence jouer en faveur de l'attractivité de l'île dans les années à venir.

Mais au-delà des appellations, qui concernent uniquement les Hauts, l'activité touristique est confrontée à de nouveaux défis : comment développer le tourisme sans détruire le fond de commerce, à savoir paysages et culture locale ?

Comment préserver ou développer l'attractivité des bas (littoral et pentes agricoles - où l'on séjourne -) complémentaires au sanctuaire que forment les Hauts (- où l'on se promène et pratique des activités sportives ou de loisirs -), dans un contexte de développement urbain puissant et mal maîtrisé ? Comment mieux répartir les fréquentations dans l'espace et dans le temps pour limiter les problèmes grandissants de surfréquentation et de fragilisation de sites ?

Dans tous les cas, il est urgent de mettre en adéquation la réalité du paysage avec celles des autres appellations, moins mondiales ou nationales, et plus locales : « villages créoles », par exemple, qui s'applique par endroits à des bourgs dont l'attractivité paysagère reste faible ; le même enjeu concerne plus globalement les centres-bourgs ainsi que, ponctuellement, de nombreuses adresses de location de gîtes, de chambres et tables d'hôte, etc.


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