Atlas des paysages de La Réunion |
2.4. L’appauvrissement des paysages de natureLes espèces exotiques envahissantes, introduites au fil des trois derniers siècles (voir le chapitre « les paysages et les espaces naturels » dans la partie « les fondements des paysages » du présent atlas), posent aujourd'hui problème ; elles sont responsables de la diminution de la diversité floristique, de la disparition d'espèces et de milieux indigènes, de l'uniformisation des milieux et de la banalisation des paysages. Certaines couvrent même de grandes surfaces impénétrables, inaptes à tout usage de loisir (promenade, …) ; c'est le cas des fourrés épineux composés, selon les secteurs, du Cassie blanc (Leucaena leucocephala), de l'Avocat marron (Litsea glutinosa), du choca vert (Furcraea foetida), du Zépinard (Dicranopteris cinerea). De l'ouest à l'est, du nord au sud et des Hauts aux Bas, il n'y a pas d'espaces qui échappent aujourd'hui à cette dynamique en cours. Outre la savane et les fourrés secs de l'ouest, citons :
Cette dynamique de plantes exotiques apparaît à peu près impossible à stopper et de plus en plus sensible dans le paysage au fil des années, au fur et à mesure que les plantes gagnent du terrain. De coûteux efforts de réduction de leur présence portent sur des points précis, comme le rabattage manuel des ajoncs autour du point de vue du Maïdo. Quant à la lutte biologique, elle fait l'objet de virulents conflits, notamment depuis l'introduction de la « mouche bleue » pour lutter contre la vigne marronne, accusée d'occuper la niche écologique des abeilles. Et l'éradication d'une peste végétale dans un endroit donné laisse entier le problème du devenir et de la gestion de l'espace en question. 2.4.2. Le fractionnement des paysages en micro-sites résiduelsEn 1950, la route du littoral de Sainte-Marie à Sainte-Suzanne s'ouvre en continu sur l'océan. En 1984 (à la veille de la Loi Littoral qui date de 1986), cette ouverture est encore offerte en continu. En 2008, l'espace de respiration a été divisé par 2, suite à l'urbanisation des confins de Sainte-Marie et du quartier Ravine des Chèvres les Bas. En 1950, l'étang de Saint-Paul prend place dans un vaste territoire « naturel » de littoral et de pentes non bâtis. En 1984, la ville de Saint-Paul a colonisé sa flèche sableuse, la coupure avec l'étang étant renforcée par le doublement de la Chaussée Royale par la RN 1. En 2008, l'étang et son coteau sont désormais pris dans l'urbanisation : celle du littoral de Saint-Paul à l'ouest, celle des pentes au sud et à l'est, celle de la zone d'activités de Savannah au nord. La Réserve naturelle de l'étang, créée en janvier 2008, est désormais urbaine par son positionnement. En 1984, l'étang du Gol est à la fois en communication avec le littoral et avec la plaine agricole du Gol. En 2008, la création de la nouvelle RN 1 a généré des espaces résiduels partis en friches autour de l'étang. La ravine du Gol passe dans les friches et est en partie bordée par l'urbanisation de Bel Air. Le bord de la rivière des Galets est à peu près inhabité en 1950. En 1984, des quartiers bidonvilles se sont créés en marge de la plaine au bord de la rivière, qui donne son nom au quartier. L'urbanisation commence à s'étendre sur les pentes et dans la plaine. En 2008, l'urbanisation a gagné tous les bords de la rivière, réduisant l'ouverture naturelle vers Mafate depuis le littoral au seul lit de la rivière. Ailleurs les opérations se juxtaposent dans la plaine (commune du Port) comme sur les pentes (commune de La Possession). Le chapitre « Aperçu général, les grands ensembles de paysages de La Réunion », dans la partie « Connaître et comprendre » du présent Atlas, a rappelé à quel point l'échelle des paysages Réunionnais est trompeuse. Les fractures verticales étant spectaculaires, avec des remparts dépassant 1000 m de hauteur, on parle de grands paysages et même de paysages grandioses. Mais, hormis ces profondeurs verticales, les étendues horizontales apparaissent infiniment plus modestes. Beaucoup de ces paysages paraissent grands alors qu'il restent objectivement petits : on peut rappeler comme exemple la Plaine des Sables, la Plaine des Remparts, la savane du Cap La Houssaye et celle de Pointe au Sel, la plaine des Cafres, la plupart des paysages littoraux … Cette dimension réduite des paysages de l'île les fragilise doublement :
La fragilité intrinsèque de ces petits « grands paysages » est aggravée par les dispositions d'aménagement, qui les fragmentent et les réduisent. Aujourd'hui, beaucoup de paysages ne peuvent s'afficher et se vendre que comme des photographies étroitement cadrées :
Ainsi aujourd'hui, beaucoup de ces fragiles paysages sont réduits à des décors exigus, à des clichés, à voir et à prendre d'un point précis, mais impossibles à vivre et non créateurs d'ambiances authentiques. Les paysages de La Réunion ont besoin d'une politique qui aille bien au-delà des « sites », capable de remettre en scène et de réhabiliter non seulement le site mais ses relations et ses transitions avec le contexte dans lequel il prend place. Sur les pentes extérieures de La Réunion, les ravines, profondes et difficiles d'accès, sont souvent les seuls espaces de refuge de la faune et de la flore indigènes ou endémiques de l'île. Elles sont généralement identifiées et préservées à ce titre. La pression de l'urbanisation conduit malheureusement à urbaniser les rebords de ces ravines jusqu'au ras des remparts. Ce processus pose plusieurs problèmes écologiques et paysagers :
L'activité touristique, première source de richesse de l'île, reste fragile. Elle est notamment largement dépendante du coût du transport aérien, même si le tourisme intérieur produit plus de la moitié de la richesse. Mais elle est aussi dépendante de la qualité paysagère de l'île : comment attirer un tourisme haut de gamme et rémunérateur dans une situation mondiale très concurrentielle (nombreuses îles tropicales à coût de main d'œuvre peu élevé), sur une destination lointaine et isolée, si la qualité n'est pas au rendez-vous ? Les évolutions récentes peuvent apparaître comme des signaux avertisseurs : raccourcissement des séjours, diminution des dépenses, augmentation de la dépendance à la métropole (les touristes métropolitains représentent plus de 8 clients sur 10), augmentation du tourisme affinitaire moins rémunérateur (plus de la moitié des touristes viennent à La Réunion voir leurs amis ou leur famille), baisse du nombre de touristes étrangers (-10 % entre 2008 et 2009) et du nombre de touristes d'affaires (-18%). Certes les appellations prestigieuses sont des sources d'attractivité touristique très importantes : le Parc National, l'inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, vont à l'évidence jouer en faveur de l'attractivité de l'île dans les années à venir. Mais au-delà des appellations, qui concernent uniquement les Hauts, l'activité touristique est confrontée à de nouveaux défis : comment développer le tourisme sans détruire le fond de commerce, à savoir paysages et culture locale ? Comment préserver ou développer l'attractivité des bas (littoral et pentes agricoles - où l'on séjourne -) complémentaires au sanctuaire que forment les Hauts (- où l'on se promène et pratique des activités sportives ou de loisirs -), dans un contexte de développement urbain puissant et mal maîtrisé ? Comment mieux répartir les fréquentations dans l'espace et dans le temps pour limiter les problèmes grandissants de surfréquentation et de fragilisation de sites ?Dans tous les cas, il est urgent de mettre en adéquation la réalité du paysage avec celles des autres appellations, moins mondiales ou nationales, et plus locales : « villages créoles », par exemple, qui s'applique par endroits à des bourgs dont l'attractivité paysagère reste faible ; le même enjeu concerne plus globalement les centres-bourgs ainsi que, ponctuellement, de nombreuses adresses de location de gîtes, de chambres et tables d'hôte, etc. |
Agence Folléa-Gautier, paysagistes-urbanistes - Ne pas reproduire sans autorisation